Le périph parisien à 50km/h : pour Jean Viard, "la démocratie doit s'adapter à nos modes de vie, sinon on ne fait que créer des conflits"
Une passe d'armes, et une annonce, à propos des transports en Île de France. On évoque l'annonce par la maire de Paris, Anne Hidalgo du 22 novembre dernier : le périphérique parisien passera à 50 km/h maximum, contre 70 aujourd'hui – 80km/h, il n'y a pas si longtemps encore. La date du 14 septembre 2024, après les JO, a été avancée. La "voie olympique" dédiée aux athlètes sur le périphérique deviendrait à terme une voie dédiée au covoiturage et aux transports en commun.
franceinfo : D'abord, qu'est-ce que ça changerait d'abaisser la vitesse maximale sur le périphérique parisien à 50 km/h ?
Jean Viard : Le débat est double. Est-ce qu'il est légitime que ce soit la ville-centre qui décide pour toute l'Île de France ? Parce que le périphérique, ce n'est pas uniquement un axe parisien, puisqu'une grosse partie des gens qui l'utilisent vont d'une banlieue à une banlieue. Donc, c'est un outil de lien entre et autour de Paris.
40% des usagers du périphérique se déplacent de la banlieue vers la banlieue, et n'entrent pas dans Paris. Et plus globalement, 80% des usagers n'habitent pas à Paris. Ce sont les chiffres donnés par la présidente de la Région, Valérie Pécresse...
Tout à fait. Ce qui montre bien une chose, c'est que notre modèle politique pour gérer l'Ile de France est devenu absurde. Moi je suis tranquille, je dis qu'on a fait le Grand Londres, quand est-ce qu'on va faire le Grand Paris avec un président élu, qui décide de l'ensemble de ses 11 millions d'habitants ? Parce qu'effectivement, je trouve complètement discutable qu'il y ait cet anneau, qui ne soit décidé que par un côté du périphérique sur Paris, car l'autre côté, en général, il n'est pas sur Paris. Je pense franchement qu'on a des cartes politiques qui sont profondément archaïques, donc on ne sait plus où est la légitimité des décisions.
À Paris, il y a 2 millions d'habitants, dont 700.000 qui travaillent dans la ville. Il y a 1 million de gens qui rentrent dans Paris tous les jours, pour travailler avec un poste de travail stable. Il y a à peu près 3 millions d'autres personnes qui rentrent dans la ville pour travailler, des touristes, des gens comme moi, je viens à Paris deux fois par mois, etc. Et donc qui organise ? Qui gère ? Qui gère les mobilités ?
C'est un sujet absolument important, et j'aurais tendance à le poser à ce niveau-là, de repenser l'ensemble du système. Et vous savez, il faut faire très attention. Les Gilets jaunes, c'est né quand on a décidé le 80 km/h sur le périph, on avait un peu le sentiment que c'était des élites parisiennes qui géraient leur départ en week-end, alors que nous, en province, on roule tous les jours beaucoup – 60 % des Français ont des jardins – et le problème, c'est que la vitesse est un enjeu majeur, je ne dis pas qu'il ne faut pas la réguler, mais bon, ça n'avait pas du tout été discuté.
Là, on est un peu dans la même situation. Le territoire de vie d'un citoyen aujourd'hui est multicommunal, en réalité. Il habite là où il ne travaille pas, il travaille là où il n'habite pas. Une de mes grandes revendications, c'est qu'on ait tous deux droits de vote. Un où on dort, un où on travaille. Regardez l'Île de France, si le million de travailleurs qui ont leur contrat de travail dans Paris avaient le droit de vote, vous croyez qu'on aurait la même politique ? Certainement pas. La démocratie doit s'adapter à nos modes de vie, sinon on ne fait que créer des conflits.
Ce qui est critiqué aussi, face à cette annonce de la maire de Paris, c'est l'absence d'étude d'impact, parce qu'il est question, après les J.O, de maintenir comme héritage, une file de covoiturages et de transports en commun sur la voie de gauche. Est-ce que ce n'est pas l'avenir qui se prépare petit à petit, aux dépens de quelques crispations dans l'immédiat ?
Oui, mais il y a ça aussi bien sûr, il y a plein d'endroits, par exemple, prenez l'entrée de Marseille, il y a maintenant des bus, une voie réservée entre Aix et Marseille – alors elle n'est pas réservée tout le temps parce qu'il y a des endroits, il faut encore faire des travaux – mais presque tout le temps.
Vous avez même une ville comme Montréal, où on sort à contresens sur les autoroutes aux heures de pointe. Il y a des voies spécialisées réservées pour les bus, pour sortir à contresens aux heures où tout le monde va dans le même sens, si on peut dire. Et donc, c'est que les bus, ce n'est pas les voitures, et on vide la ville comme un seau avec des bus qui vont, disons, de l'hôtel de ville à un grand parking, à 20 kilomètres, et il fait qu'un trajet, vous allez ainsi de point en point, et vous récupérez votre voiture à l'extérieur.
Il y a des façons nouvelles de penser les mobilités qui sont devant nous, et c'est à ça qu'il faut réfléchir. Et on ne peut pas non plus tout reporter avec des études d'impact, on fait un essai pendant les JO, quelque part, c'est un test grandeur nature, on va voir si ça fonctionne. Et je crois qu'il faut pousser dans ce sens. Oui, il faut développer les bus, oui, il faut développer les trains, le vélo, il faut essayer que ça ne soit pas antagoniste. Revenons à l'idée qu'on n'a pas le même mode de vie, même si on vit dans la même métropole.
Et comment est-ce qu'effectivement, on tient compte des stratégies de chacun, et comment on doit faire des études d'impact ? Tout le monde sait qu'il faut qu'il y ait moins de voitures dans les villes, et je crois que ça, ça ne doit pas se discuter. Mais effectivement, après, chaque fois qu'on gagne un peu dans le collectif, c'est bien, mais n'opposons pas le collectif à la voiture, le collectif au vélo, etc.
La ville doit être hybridité, elle doit être mélange des différentes populations, mélange entre l'habitant permanent et le saisonnier, mélange avec le touriste et le non-touriste. C'est cette hybridité qu'il faut protéger et penser.
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