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Les séries : "C'est très important parce que ça devient le premier lieu de transmission des codes culturels, à côté de l'éducation", estime Jean Viard

Alors que l'on passe autant de temps devant le téléviseur qu'au travail, quel est notre rapport au petit écran, et en particulier, aux séries ? Quelques éléments de réponse avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"En moyenne dans leur vie, les Français sont 100 000 heures devant la télé, ils travaillent à peu près 70 000 heures, ils font 30 000 heures d'études." (THETHOMSN / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Les séries télé sont à l'honneur depuis hier soir, et jusqu'à vendredi prochain, 24 mars à Lille, c'est le festival Séries Mania. Faut-il encore parler de séries télé, à l'heure des plateformes Internet ? Ce qui est certain, c'est que notre consommation a changé. Décryptage avec le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CNRS, au centre CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po.

franceinfo : Les Français n'ont plus du tout le même rapport à la télévision qu'autrefois. Il y a notamment le replay qui a tout changé ?

Jean Viard : Oui. La première chose qu'il faut dire, c'est que, en moyenne, les Français sont 100.000 heures dans leur vie devant la télé, ils travaillent à peu près 70.000 heures, ils font 30.000 heures d'études. Donc en gros, ils sont autant devant la télé qu'au travail, et à l'école. C'est juste pour donner un ordre de grandeur.  Et ces 100.000 heures, en fait, c'est exactement le temps de vie qu'on a gagné depuis l'invention de la télévision dans tous les foyers. En fait, la vie a augmenté de 100.000 heures et  ces 100.000 heures, on les passe entièrement devant la télévision. 

Après, ce qui est vrai, c'est qu'il y a eu la première période où la télé, c'était dans le salon, devant le canapé, en famille, en tout cas en couple, on regarde très peu la télé tout seul. Et donc c'était effectivement les grandes émissions, les trois chaînes et la chaîne d'État, et puis il y a explosion des chaînes. Et puis il y a effectivement explosion des séries, donc tout un nouveau rapport à la discontinuité du temps, qui fait qu'effectivement on le regarde souvent dans son lit, on le regarde sur un ordinateur portable.

Donc ça nous accompagne, ça prend un temps fou en réalité, et comme on est amorcé, un peu comme dans le temps, j'étais abonné à Tintin et à la fin de chaque page du numéro de la semaine, il y avait un dernier dessin qui faisait qu'on voulait absolument savoir ce qui allait se passer la fois d'après. Au fond, cette technique de la bande dessinée, on l'a reprise dans la série, et donc on est complètement absorbé par des séries qui nous prennent un nombre d'heures absolument incroyables. Et c'est très important parce que ça devient en fait le premier lieu de transmission des codes culturels à côté de l'éducation. 

C'est ce qui nous relie, les séries, et en même temps, il y en a tant. Fut un temps où ça pouvait être une discussion le lendemain, à la machine à café. Tout le monde avait vu la même chose. Ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Ça nous relie et en même temps, on a chacun son programme différent ?

Oui, ça ne nous relie pas de la même manière, je suis d'accord. On était tous devant l'émission "Les dossiers de l'écran" dans les années 70, et tout ça a disparu. Mais en même temps, on n'arrête pas d'en parler, parce qu'au fond, c'est une jungle, où l'information est très compliquée à capter. Il y en a plein, on ne connaît pas forcément les acteurs, on n'a pas forcément les clés. On a des séries qu'on a beaucoup aimées. Alors, c'est fléché. Si vous avez beaucoup aimé une série, on va vous dire : ça, ça ressemble. Et c'est l'intelligence artificielle qui travaille là-dessus.

Mais surtout, on s'informe, on se parle, on se dit : cette série tu l'as aimée, elle était bien ? Donc moi, je ne le pense pas comme un phénomène d'isolement mais comme un espace de dialogue. C'est un peu comme quand on se passait des livres après-guerre, dans les familles qui lisaient beaucoup. Au fond, je pense que ça a un peu le même type de fonction, justement de ce qui est bon et ce qui n'est pas bon. Pourquoi t'as aimé ça ? Donc au fond, il y a cette dimension dialogue, qu'il faut regarder. 

Ce sera demain le début du printemps du cinéma. Est-ce que le cinéma peut résister à cette offre pléthorique ? 

Ecoutez, c'est difficile, mais en même temps, on est dans une société où les deux termes, c'est le proche, la maison. Je suis seul devant ma série, ou je partage avec un copain, une copine etc. Et en même temps, j'ai envie de moments communs. Et ça peut être une grande manifestation, et ça peut être aussi justement d'aller au cinéma, c'est-à-dire que le cinéma, prend une autre fonction. On y va parce qu'il y a d'autres gens autour.

Le problème, c'est que l'intérêt de la série, c'est qu'une fois qu'on a payé l'abonnement, c'est pas cher d'en regarder beaucoup. Le cinéma, ce n'est pas pareil. Est-ce que le cinéma va savoir rester économiquement accessible, comme lieu festif de sortie ? Peut-être qu'il faut qu'ils inventent que l'on va y manger. C'est comme les librairies, il faut y mettre du café, il faut les développer.

La festivité, la sociabilité, au fond, c'est le lieu commun face aux lieux privés. Il y a donc toute une réflexion aussi sur les cinémas. Les théâtres ont beaucoup travaillé là-dessus. Il y a beaucoup de théâtres, où on peut manger avant le spectacle, à l'entracte, les cinémas doivent sans doute aussi réfléchir à leur dimension festive. 

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