Question de société. Le sens du collectif retrouvé dans la lutte contre la pandémie
L'idée du passeport vaccinal fait son chemin. Le sociologue Jean Viard décrypte ce nouvel épisode de la crise sanitaire, notamment à travers l'inversion de l'opinion publique, désormais favorable à la vaccination. Elle permet de lutter pour la qualité de vie du groupe humain.
Le sociologue Jean Viard décrypte l'actualité chaque week end sur franceinfo. On parle aujourd'hui de l'idée d'un passeport vaccinal. Plus de 6 Français sur 10 y seraient favorables. Résultats d'un sondage Ifop Le Parisien publié aujourd'hui en une du journal. Le passeport vaccinal, c'est l'idée qu'une vaccination contre le Covid-19 donne accès à certains lieux et certains services. On parle beaucoup des déplacements à l'étranger. Mais cela pourrait aller plus loin.
franceinfo : Est ce qu'il faut s'étonner de cette adhésion pour une telle mesure, d'après vous ?
Jean Viard : Si vous voulez, au début, les gens avaient un avis plus négatif il y a une semaine ou deux. Et comme sur tous ces sujets, comme sur les vaccins, on voit que l'opinion publique évolue. D'abord parce que les gens réfléchissent. C'est bon signe. Ça montre qu'un sondage n'a aucun sens, si on n'a pas réfléchi à la question avant. Petit à petit, les gens réfléchissent. Et puis, il s'est passé un phénomène, du jour où on a eu le vaccin, c'est qu'au fond, ceux qui ne l'avaient pas, se sont mis à paniquer en disant : mais quand est ce qu'on me pique ?
On a presque une inversion de l'opinion publique, en fait. C'est-à-dire que d'un coup, si on laissait les possibilités ouvertes, une grande partie des gens se précipiteraient pour être vaccinés. Regardez l'Italie où ils n'ont pas mis de limite d'âge. L'essentiel des gens vaccinés ont moins de 60 ans, ce qui est un peu absurde en termes de médecine.
On est dans ce mouvement où maintenant, il y a un sentiment d'urgence et ce sentiment d'urgence, il veut aussi qu'il y ait des règles de protection. Et ça joue pour le passeport. Moi, je pense que c'est un peu comme le carnet de santé, pour aller à l'école, il est obligatoire, alors il y a toujours des arrangements à la marge. Mais au fond, on l'a accepté depuis longtemps, comme les vaccins de l'enfance. Je crois que peut-être que c'est une bonne nouvelle. La bronca anti-vaccins a peut être pris un sérieux coup dans l'aile.
Mais l'idée d'un passeport vaccinal ne peut se mettre en place que si tous ceux qui souhaitent se faire vacciner auront pu l'être. Si c'est avant, cela crée de trop grandes inégalités ?
Bien entendu. Et puis, de toute façon, dans cette période de pandémie, on restreint nos libertés. On fait des choix, soit on ne peut pas sortir, soit on sort avec un masque, soit on se fait vacciner... De toute façon, on ne peut pas prétendre à une liberté totale. Juste une remarque quand même. Les pays qui ont le plus valorisé la liberté, notamment les États-Unis, ont plus de victimes. Ça fait quand même beaucoup réfléchir. Ce n'est pas pour appeler à la gloire du modèle chinois, mais on a tous l'idée que le lien entre l'individu et le collectif est en train de bouger et que ça nous pose des questions sur au fond : qu'est-ce que c'est que la liberté de l'individu dans nos sociétés ? Je crois qu'il y a tout ça derrière.
Après, bien sûr, le passeport va poser un vrai problème puisque en France, on a choisi de vacciner d'abord ceux qui, effectivement, sont les plus fragiles. La question du passeport va se discuter. Je vois bien que les différents pays d'Europe vont réguler leurs frontières. Moi, je crois qu'on risque fort d'y arriver à ce passeport. Mais effectivement, dans un certain temps, peut-être avant l'été, ou peut-être à un moment où on voudra accélérer la vaccination, mais en tout cas, ça me semble difficile de l'éviter complètement.
Vous parlez du nombre de morts aux États-Unis. C'est vrai que c'est très impressionnant en valeur absolue, mais en rapport à la population, ça reste assez comparable à d'autres chiffres, pas très loin de la France notamment.
Vous avez commencé à parler de cette question de la vaccination, de l'adhésion à la vaccination avec un retournement de tendance dans l'acceptation des Français pour cette vaccination, sondage franceinfo de la semaine : 56% des Français qui souhaitent se faire vacciner, c'était 58% qui étaient contre, trois semaines plus tôt. Vous avez commencé à l'expliquer, mais qu'est-ce qu'on peut dire de plus à ce sujet ?
Je pense que cette période de pandémie est une immense période, à la fois de peur et en même temps de réflexion, et que le vaccin, de plus en plus, on a compris que c'était un problème collectif. Ce n'est pas seulement : je me vaccine pour me protéger, et voir éventuellement mes proches. C'est aussi pour couper les chaînes du virus, il faut qu'il y ait un taux de vaccins important dans la société.
Et cette idée qu'au fond, on protège la communauté en se protégeant individuellement, honnêtement, je pense que cette idée, elle s'était perdue. On ne pensait le vaccin que pour soi ou pour son enfant. Et du coup, on se dit : mais attend, on appartient à un groupe humain et le vaccin permet de lutter pour la qualité de vie du groupe humain. Moi, je pense que cette pandémie, elle reconstruit du commun dans la tragédie, et que ça en est un des indicateurs.
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