Reconversion professionnelle : "La société rêve de souplesse, de changement, d'aléatoire, le rapport au travail a beaucoup changé", estime Jean Viard
Une étude est parue cette semaine, elle a été réalisée avec les managers, les salariés et DRH de 10 entreprises participantes, étude menée par le Projet Sens. L’association composée de chefs d'entreprise engagés pour redonner du sens au travail, analyse les nouvelles aspirations des Français dans le travail, et souligne ce que l'on voit beaucoup depuis les confinements, 43% des actifs envisagent de quitter leur emploi dans les deux ans.
franceinfo : Trouver un sens à notre travail, voilà ce qui motive près d'un Français sur deux. Jean Viard, ce n'était pas une priorité jusqu'à présent ?
Jean Viard : D'abord, il faudrait mettre le pourcentage à côté de ceux qui veulent quitter leur conjoint et ceux qui veulent déménager. Parce qu'il y a un million de couples qui ont explosé en deux ans, après la pandémie. Donc on est en période, j'allais dire de réorganisation de nos appuis : nos partenaires de vie intime, nos lieux de résidence et de travail. Et on est dans une période d'instabilité où le turn-over a beaucoup augmenté dans les entreprises, y compris parce que les jeunes sont très sensibles. Ils demandent souvent des CDD, et plus des CDI.
La société, en ce moment, est une société qui rêve de souplesse, de changement, d'aléatoire, parce que la vie est complètement inattendue, parce qu'on ne s'attendait pas à la grande pandémie. Il y a un désir de sortir, de bouger, de changer. Le travail est pris là-dedans. Et en plus, ce qui est vrai, c'est que le rapport au travail a beaucoup changé, c'est-à-dire le modèle fordiste hiérarchique (on respecte les cadres, on travaille à la minute), n'est plus du tout le modèle de notre société.
Le modèle du temps dans notre société, c'est un temps qu'on organise, évidemment en accord avec le manager et l'entreprise, bien sûr, mais avec une certaine souplesse. Là où il n'y a pas cette souplesse, là, où on n'a pas compris ces nouvelles attentes, là où on ne comprend pas que l'art de vivre restructure l'art de produire – on n'a jamais autant travaillé en France, on n'est pas devenu flemmard – mais l'art de vivre a pris une telle importance.
Il y a là un changement qui est un changement de fond, d'une société où les gens ont pris le pouvoir sur leur temps privé. Mais, c'est pour ça que je mets dans le même seau, le couple, le logement et le travail, avec une autre chose, c'est qu'on a aussi modifié des règles, notamment les départs à l'amiable des entreprises, qui facilitent ce genre de changement. Cela permet aux gens de se retrouver au chômage un certain temps, quand ils ont décidé de partir, parce qu'il est clair que la dimension économique est importante.
Mais dans "changer de vie", il y a aussi "changer de métier" ! Et ça, on voit bien, après la pandémie, il y a des métiers, où les gens se sont dit : mais je gâche ma vie à le faire. C'est le problème, par exemple, de certains emplois dans la restauration, parce que vous ne pouvez pas, tous les soirs, rentrer chez vous à minuit !
Il y a la volonté d'avoir des métiers où les gens vous reconnaissent. On sait ce que vous faites. Si vous dites à vos enfants : je travaille à la Sécurité sociale, c'est honorable la Sécurité sociale, mais enfin, c'est très abstrait pour eux. Mais si vous dites : j'ai créé une entreprise de bois, ou j'ai même repris une petite épicerie, ou un petit restaurant, vous êtes une personnalité sociale, et je pense qu'il y a la volonté de sortir d'un certain anonymat du monde fordiste. Au fond, vous étiez un peu un pion dans une machine. Il y a tout ça qui joue, et qui est en train de bouleverser le marché du travail.
Et il y a aussi de nouvelles règles. Regardez certaines entreprises en ce moment, qui généralise les trois mois de salaire payés, quand il y a un enfant, pour le papa comme pour la maman, en disant : attendez, si vous restez chez nous, vous aurez ce privilège-là. Ce sont des éléments qui sont en train de refixer une partie des jeunes, si on sait être attentif à leurs attentes.
Encore faut-il pouvoir concrétiser cette envie, parce qu'une reconversion professionnelle, ça demande de l'argent, ça demande de l'énergie. Ce n'est pas si simple que ça de se reconvertir ?
Mais bien sûr. C'est pour ça que j'avais insisté sur les ruptures amiables de contrat, parce qu'il est clair que changer de boulot, si on a la possibilité de passer par la phase chômage et la phase de formation à ce moment-là, ça devient une réalité possible, mais sinon, c'est beaucoup plus compliqué et en plus, c'est toujours pareil : dans les milieux qui ont fait des études, on a beaucoup plus de capacités de changement.
Effectivement, les jeunes, notamment ceux qui ont été déscolarisés très tôt, et qui ont peu de compétences, même s'ils sont extrêmement de bonne volonté, c'est plus difficile. Et d'ailleurs, je pense qu'ils changent moins de boulot parce que, quand ils arrivent à en accrocher un, ils ont tendance à y rester très fixés. Donc, oui, bien sûr qu'il y a une inégalité dans toutes ces questions, et ce sont des sujets auxquels il faut être attentif. La CFDT parle de "sac à dos social". Elle dit : les gens doivent avoir un sac à dos avec leurs droits et quand ils se déplacent, ils emmènent les droits d'un endroit à un autre. J'aime beaucoup l'image de sac à dos social, comme modèle pour la jeunesse, pour favoriser sa mobilité.
C'est un problème de riches, la reconversion professionnelle ?
Non, c'est un désir, à mon avis, de toute la société. Mais il y en a qui peuvent plus le faire que d'autres.
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