Territoires d'outre-mer : "C'est un débat qu'on doit avoir en France, parce que la question de la place, notamment des gens de couleur, est pour le moins peu traitée"
A l'heure du troisième référendum en Nouvelle-Calédonie et d'une participation en forte baisse, en raison de l'appel des indépendantistes à bouder cet ultime scrutin, le sociologue Jean Viard revient aujourd'hui sur l'histoire de ce territoire français dans le Pacifique Sud et sur les différences avec la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion.
Nous parlons aujourd'hui du troisième et dernier référendum sur l'indépendance en Nouvelle-Calédonie, un troisième référendum depuis 2018, pour la collectivité française. Ce référendum pose la question du rapport de la métropole de la France à ses territoires d'outre-mer. Il y a deux semaines, le ministre des Outre-mer a assuré que le gouvernement était prêt à débattre de l'autonomie de la Guadeloupe.
franceinfo : Est-ce que l'indépendance des territoires d'outre-mer, de façon générale, est devenue de moins en moins tabou, à la tête de l'État français ?
Jean Viard : C'est compliqué, parce que c'est des territoires, quand on regarde ce qui se passe autour d'eux, qui seraient souvent en grande difficulté, voire captés par l'influence chinoise. C'est très compliqué, mais il faut dire les choses. Tous les territoires n'ont pas la même histoire. Vous voyez La Réunion, quand on a commencé à y aller, en fait, c'était une île inhabitée. Guadeloupe et Martinique se sont bâties sur l'esclavage.
La Nouvelle-Calédonie ? Pas vraiment, ce n'était pas un esclavage. Les Kanaks étaient là depuis très longtemps, depuis deux ou trois mille ans. Et en fait, la vérité, c'est que la France, ce qu'elle cherchait, c'était un bagne, et donc c'est une zone qu'on a peuplée par des bagnards. Nouméa a été construite pour ça. Vous aviez la partie, j'allais dire "bagnards", puis après, les bagnards n'étaient pas rapatriés, donc ils restaient sur place.
Petit à petit, on a fait venir des familles françaises, j'allais dire, c'est une colonie de peuplement. On a fait ça au Québec et en Algérie, et en Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire d'amener des gens qui ont pris les meilleures terres pour avoir des fermes, pour devenir des paysans. Et donc, c'est pour ça que c'est exactement le même phénomène qu'en Algérie. Ça, c'est la toile de fond.
Donc, le rapport à l'indépendance dépend finalement de l'histoire de la colonisation ?
Oui cela dépend de tout ça. Et du fait aussi qu'après, c'est le quart du nickel du monde qui vient de là. C'est une zone extrêmement riche, et en plus, le nickel est dans la partie kanak de l'île, puisque l'île a été plus ou moins scindée en deux. Il y a une partie kanak, une partie caldoche, mais les mines de nickel sont dans la partie kanak, ce qui fait que les Kanaks revendiquent le revenu du nickel. Et donc, la France a un enjeu énorme parce que c'est une île militairement stratégique.
Donc, je dirais l'intérêt national, c'est de le garder, et au fond, le droit des peuples à l'autodétermination qui est une idée déjà ancienne maintenant, s'oppose à cette idée. Donc, il faut dire que c'est pour ça que c'est un peu différent de la Martinique et de la Guadeloupe, parce que la France était le premier pays esclavagiste, je crois qu'il y avait plus d'esclaves dans nos îles qu'aux États-Unis.
Là où c'est la même question, c'est que c'est quand même le mépris de l'homme de couleur, parce que L'Exposition universelle de 1831, même si ce n'était pas des esclaves, mettre des gens dans des cages pour faire visiter ça aux Parisiens, ça relève de la même mentalité, de la même idéologie, de la suprématie blanche, qui est un sujet qui revient énormément en ce moment, qui bouge beaucoup aux États-Unis.
Mais ces poussées indépendantistes, que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou récemment, cette idée d'autonomie en Guadeloupe, qu'est-ce que ça dit sur le rapport de la métropole à ses territoires d'outre-mer ?
Ce que ça nous dit, c'est qu'effectivement, ces territoires-là, ils font partie quelque part de la France et de sa puissance territoriale et historique. Mais au fond, on continue à gouverner à partir de l'Hexagone. Personne n'a jamais eu l'idée qu'un Kanak pourrait être président de la République, pour le dire comme ça, puisque ça va être un sujet d'élection.
C'est dire : à un moment, ces territoires sont des demi-territoires français et quelque part, soit un jour, ils auront un statut - c'est d'ailleurs un débat qui a eu lieu à un moment pour la Corse. Est-ce que ces territoires sont complètement intégrés, mais à ce moment-là, qu'est-ce qu'ils produisent, est-ce qu'au fond, ils nous coûtent ou ils nous rapportent pour le dire plus vulgairement ? Oui, il y a tous ces sujets qui sont devant nous.
Et au fond, qu'est-ce que veulent ces populations ? Ça aussi, évidemment, c'est l'enjeu compliqué. C'est là où je reviens peut-être pour conclure sur : qui est chez qui ? C'est-à-dire, est-ce qu'effectivement, les Kanaks étaient là avant, alors que les Caldoches sont là depuis un siècle et demi, un siècle. Au fond, qui est légitime à participer à la décision ?
Si on repartait du principe uniquement des peuples premiers, on dirait : on rend les États-Unis aux Indiens. Vous voyez, c'est extrêmement compliqué. Je crois que ce sont des sujets où il faut palabrer, il faut discuter, il faut faire conversation parce qu'au fond, de toute façon, ces gens sont amenés à vivre ensemble, donc, il faut qu'ils trouvent un projet qui leur permette de vivre ensemble.
Et les Français, qu'ils soient de métropole ou de ces territoires, est-ce qu'ils sont attachés à cette France aux territoires discontigus ?
Je ne suis pas très convaincu de ça, si vous voulez. Rappelez-vous Raymond Barre qui disait : "Les Corses, ils veulent leur indépendance, qu'ils la prennent", je ne suis pas extrêmement convaincu de ça, mais après, si on le prend sous l'angle de la puissance française, garder ces territoires est intéressant pour la richesse économique potentielle des fonds sous-marins et pour la logique géostratégique, évidemment, parce que du coup, on participe aux débats militaires dans l'ensemble de ces zones.
Il faut dire ça aussi, parce que c'est bien évidemment pour ça que, au fond, l'État français essaye de les garder, ce qui n'est pas totalement illégitime non plus. Mais je crois que c'est un débat qu'on doit avoir en France, y compris parce que la question de la place, notamment des gens de couleur, et que ce soit des Kanaks ou des anciens esclaves de Guadeloupe et de Martinique, cette question pour le moins est peu traitée, mal traitée.
On l'a bien vu avec certaines manifestations et vous savez, ça va se développer, les Américains, là-dessus, sont en train de bouger, les Britanniques. Je pense qu'en France aussi, sur ces sujets, il va falloir évoluer.
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