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Regard sur l'info. L'ENA, la fin d'un idéal républicain devenu symbole des élites dévoyées

Thomas Snégaroff revient aujourd'hui avec Éric Anceau, historien spécialiste des élites, sur une des infos de la semaine, l'annonce de la suppression de l'ENA par Emmanuel Macron. 

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
La façade de la prestigieuse Ecole Nationale d'Administration, à Paris, le 8 avril 2021. (Illustration) (JOAO LUIZ BULCAO / HANS LUCAS / AFP)

Éric Anceau, est historien, maître de conférences en histoire contemporaine à la Sorbonne, spécialiste du XIXe siècle. Il a publié en octobre 2020, Les élites françaises, des Lumières au grand confinementaux éditions Passés/Composés. L'ENA, l'École nationale d'administration, va bientôt être supprimée. Emmanuel Macron l'a annoncé ce jeudi 8 avril. L'ENA  devrait être transformée en ISP (Institut du service public). 

Thomas Snégaroff : Quel est votre regard, vous l’historien des élites, sur l’annonce de la suppression de l’ENA par Emmanuel Macron ? 

Éric Anceau : C’était dans l’air. Emmanuel Macron l’avait déjà dans son programme, il avait commandé un rapport à Frédéric Thiriez, qu’il avait enterré, et qui ressurgit aujourd’hui, avec opportunité, avec la crise très grave que nous traversons. 

Devenu le symbole de la technocratie, du formatage des cerveaux, du parisianisme, l’ENA, et on l’oublie souvent, était à ses débuts au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un outil de modernisation avec un idéal de méritocratie républicaine...

Ah oui, l’ENA c’est l’école de la République par excellence. D’ailleurs, elle a un précédent, en 1848, Hyppolite Carnot, avait créé au moment de la Seconde République une première ENA. Il faut savoir qu’avant c’était le copinage, le corporatisme. On était recruté parce qu’on était le neveu d’untel pour entrer dans les grands corps d’Etat. Et l’idée de Carnot, c’est de créer une élite républicaine recrutée sur concours, donc au mérite. Et quand les Républicains quittent le pouvoir, l’ENA est supprimée.  

Avec les affres qu’on connues nos élites durant la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle et Michel Debré ont décidé de ressusciter l’ENA. Je précise que Jean Zay, durant le Front populaire, avait aussi eu cette idée.  

Un idéal qui s’est affaibli. On reproche à l’ENA d’être devenue une machine à reproduction des élites… 

Oui, dès les années 1960, des énarques se lancent en politique. Rappelons deux jalons très importants : 1974, Valéry Giscard d’Estaing est le premier président énarque et il se choisit un premier ministre énarque, Jacques Chirac ; 1981, François Mitterrand n’est pas énarque, mais la gauche qui veut montrer qu’elle sait gouverner, s’entoure d’énarques, et comme on vient de nationaliser des entreprises, on va placer à leur tête des énarques. À ce moment-là, ils ont le pied dans l’économie, et avec les années fric, on va les retrouver dans les entreprises du CAC 40. Politique et économie, un double dévoiement de l’ENA… 

À lire votre livre, cette décision qui marque une défiance des élites n’est pas neuve. Elle s’inscrit dans une longue histoire… 

Oui, depuis la Révolution française, c’est plus la norme que l’exception. Les périodes de confiance entre le peuple et ses élites sont rarissimes : la fête de la Fédération, les Trois Glorieuses, le Printemps des Peuples, le gouvernement Poincaré 1926-1928, la Libération et le début de la République gaullienne…C’est peu ! 

On navigue sans cesse entre un besoin de verticalité, qu’on retrouve dans nos institutions de la Ve République, et une constante soif d’égalité. Le peuple français navigue constamment ente les deux. Mais depuis la crise des "gilets jaunes", on est dans l’une des graves crises de notre époque contemporaine, entamée finalement en 1945, avec la naissance de l’ENA, et donc la suppression marque un jalon important.

Les élites françaises, des Lumières au grand confinement d'Éric Anceau est paru aux éditions Passés/Composés.

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