Regard sur l'info. L’obsession du temps présent
Dans Regard sur l’Info, l’un de nos plus grands historiens, François Hartog, l’un de ceux qui a le plus et le mieux pensé notre rapport au temps.
franceinfo : Dans Regard sur l’Info aujourd’hui, l’un de nos plus grands historiens, François Hartog, l’un de ceux qui a le plus et le mieux pensé notre rapport au temps. Il y a quelques semaines, il a publié Chronos. L’Occident aux prises avec le temps (Gallimard).
Au début du mois de décembre, le magazine Time faisait de 2020 "la pire année de l’histoire". François Hartog, je ne vais pas pour demander si c’est vrai ou pas, mais comment vous réagissez en voyant notre présent nier ainsi notre passé ?
François Hartog : Il me semble que c’est assez caractéristique de ce que j’appelle "le présentisme", c’est-à-dire qu’on peut, de notre petit présent, juger de manière souveraine et décréter cela. C’est au fond une illusion et aussi une forme d’arrogance. Accorder une forme de privilège absolu à notre présent.
Est-ce une rupture dans notre Occident chrétien, un nouveau rapport au temps que ce "présentisme".
Oui, les dernières décennies ont été marquées progressivement partout par le fait que le présent est la seule catégorie active. Le témoignage de cela, c’est l’économie des médias qui sont dans l’instantanéité, dans l’immédiateté, alors que rappelons-nous encore au milieu des années 1960-1970, la grande catégorie, vers laquelle on se tournait, dans laquelle on mettait tous ses espoirs c’était le futur. Et le présent lui-même pouvait être considéré sans importance véritable, puisque l’important était d’aller vers le futur. Et ceux qui ont poussé le plus loin cette attitude ce sont les communistes, puisque l’espérance révolutionnaire faisait que les générations du présent devaient se sacrifier pour celles de l’avenir. Et nous, on est passé d’un extrème à l’autre. Il n’y pas plus que du présent et un présent qui se veut se confiner sur lui-même.
On ne regarde donc plus un avenir, au moins radieux, mais comment regarde-t-on le passé ? J’ai l’impression qu’on le regarde avec de plus en plus de nostalgie.
Il y a deux perspectives aujourd’hui. Ou bien le passé n’existe plus : tout ce qui est hier ou il y a 3000 ans, c’est la même chose. Mais nous avons aussi vécu depuis les dernières décennies sous l’empire de la Mémoire. Elle a fait revenir des éléments du passé qu’on avait oublié, maltraité, les événements traumatiques. Elle est aussi un moyen dans une conjoncture, où le présent occupe une si grande place, d’y échapper. Et c’est là que la nostalgie opère.
La mémoire est non de l’histoire…La mémoire c’est d’ailleurs l’initation du passé dans le présent.
Oui, la mémoire n’ouvre pas sur l’avenir. Alors que l’Histoire, concept, porté par le temps moderne était futuriste. On regardait toujours le passé en imaginant l’avenir.
Regrettez-vous ce nouveau rapport au temps ?
Moi ce qui m’intéresse, c’est de le comprendre. Et de dire aux générations actuelles qu’il y a eu d’autres rapports au temps et il y a peut-être quelque chose à retirer de ces autres expériences du temps, pour pouvoir mieux questionner nos évidences contemporaines, comme de dire que "2020 est la pire année de notre histoire".
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