En Russie, la grande ONG Memorial est menacée de dissolution
À Moscou la répression de toute forme de contestation a une nouvelle cible. Dans le viseur, une célèbre organisation de défense des droits de l’Homme. Elle a été traduite en procès, avec deux audiences en 48h.
L'ONG Memorial est attaquée via ses filiales ou entités, le Centre des droits humains d’une part qui agit sur le sol russe, et Memorial International d'autre part qui, comme son nom l’indique, travaille à l’étranger, notamment en France, en Belgique, en Allemagne. Le Parquet russe lui reproche de ne pas respecter la loi fourre-tout sur les "agents de l’étranger". Cette loi stipule que toute organisation bénéficiant de financements internationaux doit inscrire sur ses publications "agent de l’étranger".
Memorial a déjà payé 75.000 euros d’amende pour ce motif, et conteste les faits. Mais lors de l’audience prévue ce jeudi 25 novembre, la justice russe entend demander sa dissolution, le procureur utilise même le mot de "liquidation" pour "apologie d’activités terroristes". Le fond de l'affaire, c’est surtout que le pouvoir ne supporte pas le soutien apporté par Memorial à tous les prisonniers politiques. Elle en a dénombré plus de 400, un record depuis 30 ans et la fin de l’Union Soviétique. Elle a notamment critiqué l’emprisonnement du plus célèbre de ces opposants, Alexei Navalny. Ce procès s’inscrit donc pleinement dans la stratégie de Vladimir Poutine de faire taire toute voix dissidente, les leaders politiques, les journalistes, et désormais les ONG.
Un travail colossal de mémoire
C’est une étape de plus de franchie parce que Memorial est une ONG emblématique. Elle est connue partout dans le monde, pour sa défense des droits humains et des opposants dans la Russie d’aujourd’hui. Et plus encore pour son travail de mémoire, exemplaire, sur la période soviétique et en particulier sur les victimes du goulag. Memorial a été fondée en 1989, au moment de la perestroïka, la dernière phase de l’URSS. Fondée par le célèbre Prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov. Et depuis, elle a notamment dressé la liste de 3, 5 millions de victimes de la répression soviétique, depuis Staline. Elle a retrouvé leur trace, enquêté sur leurs conditions de détention dans les camps, rendu leur histoire à des dizaines de milliers de familles. Un travail colossal. C’est à cela d’abord, à cette mémoire, que s’en prend le pouvoir russe aujourd’hui.
Une volonté d'effacer le passé stalinien
Moscou veut effacer cette mémoire. C’est pour cette raison que cette offensive contre Mémorial franchit une nouvelle étape dans la répression. Il ne s’agit plus seulement de réprimer le présent, il s’agit de nier et de revisiter le passé. Ce qui dérange le pouvoir russe, c’est ce travail de mémoire. Vladimir Poutine est engagé dans un travail de réécriture de l’Histoire qui vise à imposer un grand récit patriotique où ne figure aucune tâche. C’est incompatible avec la reconnaissance et l’examen clinique de la terreur stalinienne.
Nier ce passé, c’est le meilleur moyen de nier que ça puisse se reproduire. Il y a donc vraiment une stratégie politique précise derrière cette attaque contre Memorial. Précisons qu’en France, une pétition circule depuis quelques jours pour défendre l’ONG. Elle a déjà été signée par de nombreux intellectuels ou chercheurs, comme Thomas Piketty, Stéphane Audoin Rouzeau, Pap Ndiaye, Marc Lazar, Dominique Schnapper, etc.
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