Les Chiliens élisent leur Assemblée constituante pour tourner définitivement la page Pinochet
Ce pays d'Amérique du Sud s’apprête à vivre un événement démocratique : la désignation des électeurs qui devront rédiger une nouvelle Constitution appelée à succéder à la précédente mise en place sous la dictature.
Il faut prendre la mesure de cet événement, une Assemblée constituante est rarissime. En France, c’est 1789 ou 1848. Des jalons historiques : des citoyens se voient chargés d’écrire le texte fondateur, le socle politique d’un pays. Samedi 15 et dimanche 16 mai - le scrutin dure tout le week-end pour espacer les votes et respecter les règles sanitaires - les Chiliens vont donc se rendre aux urnes pour des élections municipales et régionales et surtout pour désigner les 155 citoyens qui vont former cette Assemblée.
Les citoyens désignés auront ensuite neuf mois pour rédiger la nouvelle Constitution. C’est l’un des acquis principaux de la contestation sociale qui avait mis plus d’un million de Chiliens dans les rues fin 2019. Il s’agit de remplacer la Constitution de 1980, rédigée sous la dictature de Pinochet, et toujours en place. Le plus fascinant, c’est que cette Assemblée sera constituée à 100% de citoyens directement élus. Il n'y aura pas de députés en fonction, aucun délégué syndical ou fonctionnaire en exercice. Pas de cumul. Un vrai renouvellement démocratique, conséquence d’une défiance profonde vis-à-vis du personnel politique. Ils sont 1 300 candidats répartis sur 70 listes à se présenter devant les électeurs. Il y a une seule liste de droite, unie, Vamos por Chile, et 69 listes de gauche !
Puissance publique ou privatisations
L’enjeu n’est pas qu’institutionnel, il s'agit aussi de tourner la page de la dictature militaire (1973-1990) avec une question centrale, celui du rôle de l'État, et de l’équilibre entre le public et le privé. La Constitution de 1980 avait été rédigée selon des principes ultralibéraux, ceux de l’école des Chicago Boys, sous l’influence des États-Unis, avec une priorité absolue donnée au secteur privé. Ce système a favorisé une forme de croissance, beaucoup d’investissements étrangers, une forte hausse des exportations, mais a aussi entraîné la privatisation de la santé, de l’éducation et du système de retraites.
Ce système engendre de fortes inégalités sociales parmi les 19 millions d’habitants que compte le pays. De très nombreux Chiliens n’ont pas les moyens de se payer une couverture sociale décente, des études supérieures ou une retraite digne de ce nom. Les partis de gauche ont donc fait campagne pour une Constitution qui élargisse le rôle de l'État et garantisse un minimum de droits sur la santé, l’éducation et aussi l’accès au logement.
50% de femmes dans l'Assemblée
L'autre paramètre clé, c'est la parité totale. Il y aura 50% de femmes dans cette Assemblée constituante. Si une liste arrivée en tête comporte plus d’hommes, il faudra descendre dans l’ordre de la liste jusqu’à trouver suffisamment de femmes pour assurer la parité. Là encore, il s'agit d'une révolution. Il n’y a aucun précédent dans le monde d’une Constitution écrite à parité par des hommes et des femmes. C’est le fruit le plus évident de la forte mobilisation féministe qui a joué un rôle central dans la contestation de 2019. Autre paramètre d’équité : 17 sièges sur les 155, seront réservés aux mouvements indigènes, aux représentants des Indiens Mapuche ou Aymara voire aux Rapa Nui de l’île de Pâques. Cela correspond à peu près à leur représentation dans la population globale chilienne. Il s'agit donc vraiment d'un moment démocratique fort à tous points de vue.
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