Une révolution en Allemagne : Berlin contourne sa propre Constitution pour moderniser son armée
La guerre en Ukraine agit comme un électrochoc en Allemagne, où les questions d’armement et de défense étaient un peu négligées. La métamorphose continue : Berlin a décidé de passer outre la Constitution pour financer la modernisation de son armée.
C'est une petite révolution : l'Allemagne a décidé dimanche 29 mai de passer outre sa Constitution afin de moderniser son armée. En trois mois et depuis l’invasion russe en Ukraine, deux tabous ont sauté en Allemagne. Le premier lorsque le chancelier Olaf Scholz a accepté de financer la modernisation de l’armée et aussi de laisser fournir des armes allemandes à l’Ukraine.
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Depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’Allemagne a été marquée par le pacifisme et une volonté de non belligérance. Projeter la Bundeswehr sur des théâtres d’opération extérieurs est longtemps resté un interdit. Et puis, fin février, Berlin a donc annoncé un effort exceptionnel et colossal de 100 milliards d’euros pour la Défense. Mais encore fallait-il assurer le financement de cette enveloppe. Et c’est là que le second tabou est tombé dimanche 29 mai au soir. Pour débloquer cette somme, Berlin choisit l’endettement.
Sauf que la Loi fondamentale allemande, la Constitution, interdit –ou en tous cas restreint drastiquement– les possibilités de déficit budgétaire. Il a donc fallu contourner la Constitution : obtenir une majorité des deux tiers au Parlement pour créer un fonds spécial en dehors du budget. Un compromis obtenu dimanche soir après des négociations entre la coalition majoritaire sociaux démocrates-écologistes-libéraux et l’opposition de centre droit de la CDU. C’est un événement parce que la Loi fondamentale est considérée comme un texte quasi sacré chez nos voisins. Le fait d’y déroger est donc révélateur de l’électrochoc provoqué par la guerre en Ukraine.
Des soldats très mal équipés et du matériel en panne
Cet électrochoc est provoqué aussi par la découverte de l’état de l’armée allemande. Jusqu’à présent, les Allemands mettaient un peu la poussière sous le tapis sur ce sujet, précisément en raison du tabou. Et maintenant, ils réalisent que c’est un peu la catastrophe, selon la conclusion d’un rapport parlementaire publié à la mi-mars. Les effectifs de la Bundeswehr sont passés de 500 000 hommes Il y a 30 ans à 184 000 aujourd’hui.
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Les soldats manquent des équipements les plus élémentaires : des gilets pare-balles, des casques, des sacs à dos. Les pannes sont récurrentes sur le matériel, les avions de chasse, les chars, les hélicoptères. La ministre de la Défense Christine Lambrecht le reconnait elle-même : sur les 350 chars Puma dont dispose l’armée, 150 seulement sont opérationnels. Moins de la moitié. C’est encore pire pour les hélicoptères Tigre : 9 opérationnels sur 50 ! Que dit Olaf Scholz lui-même ? Ça parait énorme tellement c’est une évidence : "Nous avons besoin d’avions qui volent et de bateaux qui tiennent la mer".
2% du produit intérieur brut
Toute la question est de savoir désormais comment ces 100 milliards d’euros vont être dépensés et c’est là où ça va peut-être se compliquer. Sur le papier, c’est un budget considérable. Il va permettre à l’Allemagne de s’inscrire enfin dans les règles de l’Otan qui prévoient l’attribution par chaque pays d’au moins 2% de son produit intérieur brut à la Défense.
La priorité, ce sont théoriquement les budgets pluriannuels d’équipements, les grands projets d’armement. Et on songe aussi aux deux projets franco-allemands, le char du futur et l’avion du futur, deux projets un peu englués. Mais les écologistes et les sociaux démocrates veulent également utiliser cette enveloppe pour lutter contre la cyberguerre. Et puis, qui dit plus de matériel, dit aussi plus de budget d’entretien, plus de budget de fonctionnement. Ça promet quelques batailles au Parlement. Néanmoins, l’Allemagne vient donc de vivre une révolution idéologique en l’espace de trois mois.
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