Environnement : "Dans un système capitaliste, le signal 'prix' est souvent plus efficace que les injonctions", assure François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Photo d'une boucherie-charcuterie, prise le 2 décembre 2022. Photo d'illustration. (LIONEL VADAM / MAXPPP)

L’empreinte carbone de l'alimentation est un sujet qui revient sur table, en particulier en cette période, au moment des repas de fin et de début d'année.

C'est le marronnier inévitable de la fin de l’année et un sujet compliqué car notre alimentation représente une part significative de notre empreinte carbone : l’agriculture. Celle-ci représente 20% des émissions de gaz à effet de serre, en France. D’après le Haut Conseil pour le Climat, la viande rouge pèse pour environ 38% dans l’empreinte carbone d’un Français moyen.

"En France, la consommation de viande rouge a tendance à stagner : on en mange un peu moins chez soi, mais on en mange davantage à l’extérieur."

François Gemenne

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L'attachement que les gens éprouvent pour certaines nourritures est parfois culturel ; il y a aussi des questions de goûts et de plaisir, qui appartiennent à chacun. Mais deux raisons, en particulier, expliquent pourquoi il est compliqué de changer son alimentation.

Premièrement, il y a le fait que les Français soient souvent mal informés. Le bilan carbone des différentes viandes n’est pas du tout le même : celui du canard est infiniment moindre que celui du bœuf, par exemple. Beaucoup de gens s’imaginent aussi que les fruits et légumes cultivés à côté de chez eux ont forcément un bilan carbone meilleur que celui des fruits et légumes qui sont importés depuis l’étranger, alors que ce n’est pas forcément le cas. L'importance, c’est la manière dont ils sont cultivés ; les coûts de transport représentent en moyenne 15% du bilan carbone du produit. Cela signifie qu’un légume cultivé à côté de chez soi, mais sous serre, aura sans doute un bilan carbone plus médiocre qu’un légume cultivé en plein air à l’autre bout du monde.

La deuxième raison réside dans celui des injonctions à manger ceci ou à ne pas manger cela. C’est pratiquement toujours moralisateur et culpabilisant, et souvent inquisiteur. Cela suscite, en conséquence, presque toujours du rejet.

"Un très grand groupe hôtelier français a mené l’expérience dans ses restaurants : les plats végétariens sont davantage commandés quand le menu n’indique pas qu’il s’agit de plats végétariens. On déteste qu’on nous dise ce qu’on doit manger, et qu’on veuille régenter notre alimentation."

François Gemenne

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Une stratégie du prix

Stefano Lovo et Yurii Handziuk, qui travaillent au département de finance à l'HEC, Hautes Etudes Commerciales, se sont demandé comment il était possible de réduire l’empreinte carbone de la cantine d’HEC. Les deux professeurs ont réalisé des expériences, pendant deux ans, sur 140 000 plateaux-repas. D’abord, ils ont proposé l’interdiction, avec une journée par semaine sans viande à la cantine. Celle-ci a d'ailleurs mis en œuvre cette proposition en 2021 et 2022, avec, cependant des résultats mitigés : l’empreinte carbone a baissé de 10%, mais la consommation de viande rouge s’est souvent déplacée ailleurs.

Ils ont, ensuite, essayé la solution de l’information, en 2022 et 2023 : l’empreinte carbone de chaque plat était affichée, mais cela n’a pas entraîné de changement significatif de la consommation, et donc pas de baisse significative, non plus, de l’empreinte carbone de la cantine.

Enfin, ils ont essayé la tarification, au printemps 2023 : ils ont fait varier le prix des plats en fonction de leur empreinte carbone, avec une modulation assez faible, de 50 centimes. Cela a, notamment, permis une baisse de l’empreinte carbone de 27%. Les deux chercheurs sont allés plus loin dans le processus, en proposant des plats à faible impact carbone à moins de deux euros, et des plats de viande à plus de 8 euros. Cette solution a donné des résultats spectaculaires : l’empreinte carbone a baissé de 42%.

À la cantine de HEC, cette dernière option a été la plus plébiscitée par les étudiants et approuvée à plus de 60% par les sondés. Il est, donc, possible de réduire significativement l’empreinte carbone de notre alimentation. Dans un système capitaliste, le signal prix, est souvent plus efficace que les injonctions.

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