Environnement : surtout, ne pas opposer la lutte contre le changement climatique à la lutte contre l’effondrement de la biodiversité

Les pays du monde sont réunis en ce moment en Colombie pour la COP sur la biodiversité, et on ne parle pas suffisamment de ces enjeux, estime François Gemenne.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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La 16 édition de la COP sur la biodiversité, à Cali (Colombie), octobre 2024 (JOAQUIN SARMIENTO / AFP)

La COP16 Biodiversité se tient en ce moment à Cali en Colombie. Avec le sentiment qu’on n’en parle pas autant que quand cela concerne le climat.

François Gemenne : C'est vrai que ça ne mobilise pas autant d’attention ni autant de participants que les COP Climat. Pourtant les deux COP ont la même origine : c’est le Sommet de la Terre, à Rio en 1992, qui va initier le processus. À l’époque, les gouvernements identifient trois problèmes environnementaux prioritaires, qui nécessitent tous les trois une coopération internationale, et donc un régime de négociations : le climat, la désertification, et la biodiversité. Et on va conclure une convention-cadre pour chacun de ces trois problèmes.

Si la biodiversité est parfois reléguée au second plan, je pense que cela tient à plusieurs raisons : d’abord, même si la biodiversité est évidemment cruciale pour la vie sur Terre, à commencer par la nôtre, ça touche moins directement les gens. On voit concrètement les conséquences du changement climatique, comme les canicules ou les inondations. Pour la perte de biodiversité, c’est moins immédiat : on en revient toujours à l’exemple un peu éculé des insectes écrasés sur les pare-brises de voitures, mais tout le monde ne conduit pas de voiture à la campagne… Il y a là un sacré paradoxe : la perte de biodiversité est encore bien plus avancée que le changement climatique, et pourtant on s’en rend moins compte…

Les indicateurs permettant d’objectiver la situation de la biodiversité sont complexes

C’est une autre raison qui explique qu’on accorde souvent plus d’importance au climat qu’à la biodiversité : pour le climat on a des indicateurs synthétiques, faciles à utiliser. Les degrés de température, les tonnes de CO2, etc. Pour la biodiversité c’est infiniment plus complexe : est-ce qu’on parle du nombre d’espèces, du nombre d’individus d’une espèce ? Dans l’absolu, ou sur un territoire donné ? Pour évaluer l’impact d’un projet sur la biodiversité, vous vous retrouvez rapidement avec des centaines d’indicateurs. Pour le climat, c’est complexe aussi, bien sûr, mais vous avez un indicateur synthétique, et cela rend les choses beaucoup plus simples.

Pour rééquilibrer la balance, je crois qu’il ne faut pas opposer les deux sujets, et je suis un peu inquiet de cette petite musique qu’on entend dans certains milieux écologistes : on en ferait trop pour le climat, on serait prisonniers d’un tunnel de vision carbone, on ne prendrait en compte que le CO2 et pas les autres limites planétaires, etc. Ce discours est absolument délétère, vraiment.

"La transition climatique est aujourd’hui menacée par les baisses de budget, les populismes et les lobbies des industries fossiles, donc sincèrement elle n’a pas besoin d’autres adversaires !"

François Gemenne

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Il faut rappeler qu’on est loin d’en faire assez pour le climat. Le dernier rapport du Programme de l’ONU pour l’environnement vient encore de le rappeler : nos trajectoires de réduction d’émissions restent très insuffisantes, et on est encore très loin des objectifs de l’Accord de Paris. 

Surtout, ce discours qui oppose la lutte contre le changement climatique à la lutte contre l’effondrement de la biodiversité passe à côté du point essentiel : le climat et la biodiversité sont profondément liés, contrairement à ce que laisse parfois sous-entendre la théorie des limites planétaires.

Les limites de la théorie des limites planétaires

C’est une théorie élaborée par plusieurs scientifiques il y a quinze ans, qui postule qu’un écosystème sûr pour l’humanité repose sur dix limites planétaires à ne pas franchir, et dont plusieurs ont déjà été dépassées. La théorie précise que le climat et la biodiversité sont deux grandes limites matricielles, dont dépendent les autres.

Cette théorie est très intéressante pour penser les choses de façon systémique, mais son inconvénient, c’est qu’elle donne l’impression que les limites sont indépendantes l’une de l’autre. Alors que ce n’est évidemment pas le cas : le changement climatique est une menace terrible pour la biodiversité, et la hausse des températures est plus rapide que la capacité d’adaptation des écosystèmes. Et de la même manière, l’effondrement de la biodiversité est une menace terrible pour le climat, parce qu’elle réduit à la fois nos possibilités de décarbonation, mais aussi nos capacités d’adaptation. C’est pour cela que cela n’a aucun sens de dire que la lutte contre le changement climatique nous empêcherait de lutter contre la perte de biodiversité : les deux peuvent se renforcer, ce n’est pas un jeu à somme nulle. Et heureusement.

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