Gaz à effet de serre : des solutions pour décarboner le trafic maritime
On parle souvent de l'avion, quand on évoque les secteurs qui contribuent fortement aux émissions de gaz à effet de serre. En oubliant un autre secteur, responsable de quasiment autant d'émissions : le trafic maritime international.
François Gemenne : Les émissions de gaz à effet de serre du trafic maritime international représentent près de 3% des émissions mondiales, à peine un peu moins que l’aviation. Et il n’y a pas que du dioxyde de carbone : il y a aussi du méthane et du protoxyde d’azote, sans compter les particules fines, parce que la plupart des moteurs de bateaux utilisent du fioul lourd, qui est vraiment l’un des carburants les plus sales du monde. Et la mauvaise nouvelle, c’est que ces émissions sont en train d’augmenter très rapidement. Car plus de 80% des biens consommés dans le monde sont acheminés par bateau.
"Si on n’engage pas des changements drastiques, au rythme de croissance actuel, l’Organisation Maritime Internationale prévoit que les émissions du transport maritime international pourraient représenter 17% des émissions en 2050."
François Gemenneà franceinfo
Mais à côté de cette tendance structurelle, il y a aussi un éléments conjoncturel qui a fait exploser les émissions ces derniers mois : c’est la baisse du trafic dans les canaux de Panama et de Suez.
Qu’est-ce qui provoque cette baisse du trafic ?
Ce sont deux problèmes différents : à Panama, qui est un canal alimenté par l’eau douce, c’est un problème de sécheresse. À Suez, ce sont les rebelles Houthis qui attaquent les bateaux. Mais dans les deux cas, la conséquence est la même : par rapport à leur pic de ces derniers mois, le trafic dans le canal de Suez est en baisse de 42% en janvier dernier, et celui dans le canal de Panama est en baisse de 49%. Or ces deux canaux sont d’une importance vitale pour le commerce international : 6% du trafic mondial passe par le canal de Panama, et pour Suez, c’est le double ! Et avec les problèmes qui affectent ces deux canaux, beaucoup de transporteurs font le choix de dérouter leurs bateaux, notamment en les faisant passer par le cap de Bonne Espérance.
Cela fait des trajets beaucoup plus longs, d’autant plus que les bateaux sont souvent obligés d’augmenter leur vitesse pour rattraper le temps perdu. Et si vous augmentez la vitesse d’1%, vous augmentez vos émissions de plus de 2%. La Cnuced, l’agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, a fait le calcul : un porte-conteneur qui fait le trajet entre Singapour et la France, et qui doit être dérouté par le Cap de Bonne Espérance, augmente ses émissions de 70%. C’est énorme !
La piste des carburants alternatifs
Pour éviter cela, d’abord il faut sécuriser le passage dans le canal de Suez, et les attaques des rebelles Houthis sont évidemment liées à la guerre à Gaza. Pour le canal de Panama, on est face à un problème structurel, puisque les sécheresses vont se multiplier, notamment en raison du changement climatique. C’est un cycle infernal. Et puis surtout il faut chercher des solutions structurelles : la première, c’est de développer des carburants alternatifs. On pense naturellement au GNL, le gaz naturel liquéfié, qui équipe de plus en plus de bateaux, mais qui émet aussi des gaz à effet de serre. Il y a aussi des bio-carburants, comme le méthanol, produit à partir de dioxyde de carbone et d’hydrogène, ou un dérivé de l’ammoniac, produit à partir d’hydrogène et d’azote.
La deuxième solution, c’est de changer les bateaux eux-mêmes. D’ici 2030, on table sur 10 000 cargos à voile, c’est-à-dire environ 10% du trafic.
"Les cargos à voile sont actuellement en plein développement, et c’est clairement une solution d’avenir pour décarboner la filière."
François Gemenneà franceinfo
Et ce sont ici les PME françaises qui sont à la pointe : je ne peux pas toutes les citer ici, mais on estime qu’un tiers du développement des cargos à voile se fait en France, notamment avec les chantiers de l’Atlantique.
Et puis, la troisième solution, c’est évidemment de relocaliser une partie de l’économie, pour réduire la distance des trajets parcourus par les marchandises, ou au moins de ralentir la vitesse des bateaux : baisser la vitesse de 10%, ça fait économiser plus d’un quart des émissions. Il va falloir faire tout ça à la fois.
Comment faire pour déployer ces solutions plus rapidement ?
Il y a deux facteurs d’accélération : le premier, c’est que les trois plus grands armateurs du monde sont européens : l’italo-suisse MSC, le danois Maersk, et CMA-CGM, qui est français. Cela veut dire que ce sont largement des émissions qui dépendent de nous, pour lesquelles on peut légiférer, encourager l’innovation, etc.
Et le second, c’est un chiffre qui va sous surprendre. On estime que 40% du trafic maritime international sert à transporter des énergies fossiles : des pellets de bois, du charbon, du pétrole, et de plus en plus de gaz. Nous brûlons 40% de ce que nous transportons. Cela peut paraître désespérant, mais en fait c’est une bonne nouvelle : si on parvient à sortir rapidement des énergies fossiles, ça veut dire aussi qu’on fera baisser la trafic maritime de 40%. On fait d’une pierre deux coups.
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