Présidentielle américaine : l'environnement, grand absent de la campagne

Pollution, biodiversité, dérèglement climatique... Les thématiques environnementales sont très peu abordées par les candidats à la Maison Blanche, Kamala Harris et Donald Trump.
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
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Une rue de South Daytona (Floride) après le passage de l'ouragan Milton, le 11 octobre 2024 (MIGUEL J. RODRIGUEZ CARRILLO / AFP)

C’est le moins qu’on puisse dire, en effet : ils n’en ont quasiment pas parlé. Ce qui peut paraître surprenant, alors que les Etats-Unis n’ont pas été épargnés par les ouragans durant la campagne, et que Donald Trump avait fait de la sortie de l’Accord de Paris un axe majeur de sa campagne de 2016. Les positions de Trump sur le climat n’ont pas changé : il estime toujours que le changement climatique est une des plus grandes arnaques de notre temps, que la hausse du niveau des mers permettra à plus de gens d’avoir une propriété en bord de mer, et que le pétrole contenu dans le sous-sol américain va permettre au pays d’amasser une énorme fortune. Et il a à nouveau promis de sortir les Etats-Unis de l’Accord de Paris. Il n’y a guère que sur les voitures électriques qu’il a un peu changé d’avis, après qu’Elon Musk a rejoint sa campagne.

franceinfo : Quid de Kamala Harris ? On ne l’a quasiment pas entendue sur le sujet

François Gemenne : Effectivement, et cela paraît plus étonnant, dans la mesure où sa campagne s’inscrit dans la continuité des politiques menées par l’administration Biden, et en particulier de l’Inflation Reduction Act, un investissement massif de 369 milliards de dollars dans la transition climatique. Alors, certes, Kamala Harris décrit le changement climatique comme une menace existentielle, mais on ne peut pas dire que son programme sur le climat et l’environnement soit très clair, mis à part un retournement de veste sur le fracking, c’est-à-dire la fracturation hydraulique pour obtenir du gaz de schiste : en 2019, lors des primaires démocrates, elle y était hostile, et ce n’est plus le cas désormais. Il faut dire qu’un des États-clés de cette élection, la Pennsylvanie, compte beaucoup sur le gaz de schiste pour son développement économique.

Qu’est-ce qui explique qu’elle en parle si peu ? Est-ce parce que son programme sur le sujet n’est pas très clair ?

Je pense surtout qu’elle garde en tête la mésaventure d’Al Gore il y a 24 ans. Lors de l’élection présidentielle de 2000, Al Gore a perdu la Virginie occidentale, alors que c’est un État qui votait traditionnellement démocrate. Mais c’était aussi un État dont l’économie reposait largement sur les mines de charbon, et ses électeurs ont été effrayés par l’engagement de Gore pour le climat, et notamment pour le protocole de Kyoto.

Or Kamala Harris, pour l’emporter, doit absolument convaincre des électeurs républicains modérés de voter pour elle – c’est notamment pour cela qu’elle s’évertue, au cours de ces dernières semaines de campagne, à décrire son adversaire comme un dictateur en puissance, de manière à rallier à elle des électeurs plus modérés. Mais pour cela, elle doit évidemment apparaître comme relativement centriste, et donc éviter au maximum de recourir à des marqueurs idéologiques. C’est pour cela, notamment, qu’elle a choisi Tim Walz comme colistier : un homme blanc relativement âgé, père de famille hétérosexuel, histoire de ne prêter aucun flanc à d’éventuelles accusations de wokisme.

Le climat serait un marqueur idéologique, associé au wokisme ?

Aux Etats-Unis, oui. C’est déplorable et désolant, mais c’est ainsi. Depuis plusieurs années, aux Etats-Unis, le climat est devenu un marqueur idéologique : si vous êtes démocrate, vous acceptez le consensus scientifique sur le changement climatique ; si vous êtes républicain, ce ne sera pas le cas. La science est devenue une affaire de croyances, d’opinions : vous croyez au changement climatique ou vous n’y croyez pas, comme vous êtes favorable ou hostile au port d’armes, ou à l’avortement.

Cela n’a pas toujours été le cas : le parti républicain a donné au pays certains de ses présidents les plus écolos, comme Theodore Roosevelt ou Richard Nixon. Et il y a quelques années encore, des leaders républicains comme John McCain ou Newt Gingrich s’affichaient aux côtés de leaders démocrates dans des campagnes pour le climat. 

"La polarisation croissante de la vie politique américaine a fait du climat un marqueur idéologique : les démocrates se sont approprié le sujet, et Sarah Palin, puis Donald Trump, ont entraîné le parti républicain sur la voie du déni."

François Gemenne

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En Europe aussi, cette question devient de plus en plus idéologique. Cette polarisation idéologique nous gagne aussi, et le climat ne fait pas exception à la règle. Et cette question du climat, elle est parfois associée, politiquement, à d’autres enjeux, comme la lutte des classes ou l’anticapitalisme. Chacun de ces enjeux est évidemment légitime, mais leur conjonction donne l’impression d’un camp du bien contre un camp du mal. C’est pour ça qu’il est très dangereux, à mon avis, de faire de cette question du climat un enjeu idéologique, parce qu’une idéologie va forcément chercher à s’imposer contre d’autres visions du monde. Or le climat, comme l’écologie en général, a besoin d’engagements sur le long terme, qui rassemblent un large consensus social, au-delà des alternances politiques.

Si Donald Trump était élu, à quoi pourrait-on s’attendre pour le climat ?

C’est évidemment beaucoup plus incertain que si Kamala Harris était élue. Il y a des aspects sur lesquels il lui serait difficile de revenir, notamment certains investissements dans la transition énergétique, qui sont portés par les entreprises. Mais il pourrait rejeter, comme il l’a fait par le passé, certaines régulations environnementales fédérales. Et surtout il pourrait à nouveau sortir de l’Accord de Paris, avec cette fois un risque accru que d’autres leaders populistes lui emboîtent le pas, ce qui mettrait en péril la coopération internationale. C’est pour ça que je ne faisais pas partie de ceux qui ont sauté de joie au plafond quand le président Biden a fait revenir les Etats-Unis dans l’Accord de Paris : si la coopération internationale est suspendue tous les quatre ans au résultat de l’élection présidentielle américaine, on n’est pas sortis de l’auberge.

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