Sobriété énergétique : "Il faut montrer aux gens pourquoi ils y ont intérêt", souligne François Gemenne
C'est une bonne nouvelle : le plan de sobriété énergétique, lancé l’hiver dernier par le gouvernement, semble porter ses fruits. La consommation énergétique a baissé de 12%. Et ce n’est pas parce que l’hiver avait été particulièrement doux : les chiffres ont été corrigés pour tenir compte de cela. Mais il est certain que d’autres facteurs ont joué. D’abord il y avait la guerre en Ukraine : nous importions encore massivement du gaz russe, et nous avions donc l’impression de financer directement la guerre d’agression de Vladimir Poutine en chauffant nos maisons et nos opportunités. L’effort de sobriété était donc perçu comme notre contribution à l’effort de guerre ukrainien.
Un autre facteur, c’était évidemment la crise énergétique qui avait fait s’envoler les prix de l’énergie. Pour beaucoup de ménages et d’entreprises, les factures devenaient impayables. Baisser sa consommation d’énergie, c’était avant tout faire baisser sa facture. Enfin, il y avait la peur de manquer d’énergie : partout on disait que les réservoirs étaient à sec, la production des centrales nucléaires était en berne à cause de problèmes de maintenance, et on craignait un gigantesque black-out si la consommation était trop importante. La sobriété était donc présentée comme un effort patriotique.
Aujourd’hui, alors qu’on rallume le chauffage pour l’hiver, la situation est complètement différente : on ne craint plus de rupture d’approvisionnement, les réservoirs sont pleins, on s’est défait de notre dépendance au gaz russe, et surtout les prix de l’énergie, même s’ils restent hauts, se sont heureusement éloignés des sommets de l’an dernier.
Un risque que la consommation reparte à la hausse
L’an dernier, la sobriété a souvent été présentée comme un effort à réaliser pour passer l’hiver. Est-ce que ce qui apparaissait l’an dernier comme un effort passager peut vraiment s’installer dans la durée ? En fait, cela revient à se poser cette question : dans la baisse de consommation enregistrée l’hiver dernier, quelle était la part qui était motivée par le changement climatique, et quelle était la part qui était motivée par d’autres facteurs ? C’est difficile à dire. Parce que l’hiver dernier, la conjonction des facteurs était évidente : la préoccupation pour la fin du monde rejoignait brutalement la préoccupation pour la fin du mois. Mais qu’en sera-t-il cet hiver ?
La recherche montre que beaucoup de changements de comportements sont souvent motivés par les co-bénéfices que nous en tirons, plutôt que par la baisse de notre empreinte carbone. Les co-bénéfices, ce sont les avantages collatéraux que l’on va pouvoir trouver à un changement de comportement. Par exemple, beaucoup des automobilistes qui préfèrent aller au travail en vélo plutôt qu’en voiture ne le font pas tellement pour baisser leur empreinte carbone, mais pour faire un peu d’exercice, ou pour ne pas perdre de temps dans les embouteillages. Ceux qui choisissent de manger moins de viande le font avant tout pour avoir un régime alimentaire plus sain, etc. La baisse de l’empreinte carbone, ce n’est pas la motivation première.
Toyota est devenu leader du marché automobile américain grâce à la Prius, son modèle de voiture hybride. C’était une des premières qui existait sur le marché, et les Américains se sont rués dessus. Les constructeurs américains comme Ford ou General Motors avaient aussi développé des modèles hybrides, mais ils n’étaient pas aussi reconnaissables que la Prius, qui avait un design très reconnaissable et qui n’existait qu’en version hybride. Pour les modèles américains, il fallait soulever le capot pour voir que c’était un modèle hybride. Or, pour les consommateurs américains, ce qui comptait, c’était évidemment de rouler dans une voiture plus écologique, mais surtout de le montrer, de s’assurer que dans la rue, ou sur le parking de leur entreprise, tout le monde pouvait voir comme ils étaient écolos et vertueux. C’est ce qu’on appelle en marketing le virtue signalling, le signalement de vertu.
Montrer aux Français qu'ils ont intérêt à la sobriété
Si on veut que la sobriété s’installe dans la durée et ne soit pas juste un effort temporaire, il va falloir montrer aux gens pourquoi ils ont intérêt à la sobriété, et donc il va falloir la présenter positivement, et non comme un effort à réaliser. Paradoxalement, la communication sur l’effort de guerre, qui avait bien fonctionné l’an dernier, risque de nous revenir dans la figure comme un boomerang, surtout si l’hiver est rigoureux.
Donner aux gens des envies de sobriété, ça ne va pas être évident. C’est là où les signaux symboliques vont être très importants : la décision de l’équipe de France de football de réaliser certains déplacements en train plutôt qu’en avion va dans ce sens-là, par exemple. Mais on attend toujours la fin des cortèges de voitures sirènes hurlantes et avec escorte de police dès qu’un ministre doit effectuer un déplacement dans Paris.
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