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Roland-Garros 2023 : la transition du circuit juniors vers le circuit professionnel, "un passage délicat vers un autre monde"

Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le Français Gabriel Debru, vainqueur du Belge Gilles-Arnaud Bailly, lors de la finale de Roland-Garros en 2022. (AMAURY PAUL / AFP)
Depuis 2000, douze Français et cinq Françaises ont remporté un tournoi du Grand Chelem juniors. Parmi eux, seule Marion Bartoli a réédité la performance chez les professionnels.

Alors que Roland-Garros fête cette année les 40 ans de la victoire de Yannick Noah, aucun Français n’a depuis réussi à inscrire son nom au palmarès chez les hommes, et Mary Pierce, victorieuse en 2000, attend toujours qu'on lui succède chez les femmes. Pourtant, la relève tricolore ne manque pas de talent, puisque plusieurs joueurs et joueuses se sont hissés dans le top 10 mondial.

Beaucoup brillent également en juniors, un circuit sur lequel les jeunes Français remportent régulièrement des tournois du Grand Chelem. Mais la transition vers le circuit professionnel est ensuite semée d’embûches, et les meilleurs juniors ne deviennent pas automatiquement les meilleurs professionnels.

"J’ai pu me croire arrivé avant l'heure"

Gaël Monfils chez les hommes (victorieux à l’Open d’Australie, à Roland-Garros et à Wimbledon en simple garçons en 2004) et Kristina Mladenovic chez les femmes (victorieuse à Roland-Garros en simple filles en 2009) sont les derniers Français vainqueurs d’un tournoi du Grand Chelem juniors, qui ont ensuite intégré le top 10 mondial.

Derrière eux, le tennis tricolore compte pourtant de belles victoires en juniors, comme celles d’Alexandre Sidorenko et Harold Mayot à l’Open d’Australie en 2006 et 2020, ou encore celle de Geoffrey Blancaneaux à Roland-Garros en 2016.

Tout cela sans compter la place de numéro 1 mondiale en juniors occupée par Diane Parry et Elsa Jacquemot. Des résultats qui comptent, même si pour Nicolas Escudé, directeur technique national de la Fédération française de tennis (FFT), ils ne doivent représenter qu’une étape, pas une finalité.

"A ne faire de la compétition que pour le résultat, on peut avoir la technique qui se dégrade, observe-t-il. Et en se donnant pour but de gagner un Grand Chelem juniors, on peut fermer les yeux sur une petite carence physique à un instant T qui ne porte pas encore préjudice, mais qui, dans le futur au plus haut niveau, sera irrémédiable. Il faut donc continuer à travailler."

Vainqueur de la Coupe Davis juniors en 1992, Nicolas Escudé a lui-même connu une transition difficile du circuit juniors à pro, en tombant parfois dans les excès de la fête. "Il y a eu une composante médiatique qui m’a fait sentir comme l’espoir du tennis français. J’ai pu me croire arrivé avant l’heure, en me disant que ça allait le faire et donc je n’ai pas continué à travailler encore plus pour passer le cap. Ça n’a pas duré trop longtemps, mais il a fallu se réveiller à un moment donné", raconte-t-il.

"Je n'avais pas le niveau de jeu pour le circuit pro"

Lauréat surprise de Roland-Garros en 2016, alors qu’il pointait à la 33e place mondiale en juniors, Geoffrey Blancaneaux a également eu du mal à digérer la médiatisation soudaine.

"Je n’étais pas prêt à gérer une victoire à Roland-Garros et tout ce que ça impliquait comme sollicitations, témoigne le joueur à la personnalité introvertie. Et je pense que je n’avais pas le niveau de jeu pour arriver sur le circuit professionnel. J’ai reçu beaucoup d’invitations pour jouer des Challengers (le deuxième échelon du tennis professionnel), où ça a été difficile, alors que j’avais de meilleurs résultats sur le circuit Future (l’échelon du dessous)."

De son propre aveu, Geoffrey Blancaneaux, désormais 161e mondial, aurait aimé que le circuit juniors "dure plus longtemps". "C’est plus enfantin. Il n’y a pas la pression de l’argent, les adversaires sont plus des copains et on dîne souvent ensemble", raconte-t-il.

Alors qu’il était jusque-là habitué à disputer les meilleurs tournois juniors, à l’organisation irréprochable et où les joueurs sont couvés, il bascule sur de plus petits tournois professionnels, aux moyens moindres. "Quand on passe du circuit juniors, où il y a souvent du public qui vient observer les jeunes talents, à un tournoi Futures au fin fond de la Turquie, où il n’y a que ton coach sur le bord du terrain, pas de ramasseurs et un seul arbitre de chaise, ça peut être difficile de s’adapter", reconnaît-il.

Un cap physique et mental à franchir

Vainqueur en titre de Roland-Garros juniors, Gabriel Debru, 17 ans, arpente les tournois Futures et Challengers cette saison. Pour le jeune Tricolore, l'adversité n'est aussi plus la même.

"Dans les tournois juniors, l'adversaire peut donner beaucoup plus de points en tentant des coups trop compliqués dans des moments cruciaux, alors que les pros gardent la tête froide et sont prêts à jouer 40 coups pour gagner le point s'il le faut, compare-t-il. Et un match est beaucoup plus long à jouer chez les pros que chez les juniors, non pas par la durée, mais par la faculté mentale, parce qu'il faut beaucoup plus de concentration, et ne jamais la relâcher." 

Physiquement, la donne change aussi. Mastodonte parmi les adolescents, du haut de son mètre quatre-vingt-treize, Gabriel Debru profite moins de son avantage physique contre des adultes "qui ont en moyenne 25 ans et plusieurs années sur le circuit".

Le corps doit également s'adapter à une charge de travail quotidienne inédite. Les entraînements, "plus intensifs", peuvent ainsi être la source de blessures, expose Arnaud Clément, qui évoque les cas d'Harold Mayot (champion du monde junior en 2020), d'Arthur Cazaux (finaliste de l'Open d'Australie 2020) et de Geoffrey Blancaneaux, freinés dans leur progression par des pépins physiques. 

Geoffrey Blancaneaux et Novak Djokovic, vainqueurs de Roland-Garros garçons et messieurs en 2016. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Alors qu'il s'était donné l'objectif d'atteindre le top 100 mondial deux ans après sa victoire à Roland-Garros, les résultats n'ont pas immédiatement suivi pour Geoffrey Blancaneaux. "Quand on est bon en juniors, on enchaîne les matchs et on arrive avec 70-80% de victoires. Sur le circuit pro, ce ratio diminue d’un coup et certains le vivent mal parce qu’ils n’ont pas été habitués à la défaite", analyse Arnaud Clément.

Il est ainsi arrivé à Geoffrey Blancaneaux de perdre le plaisir de jouer. "Quand on ne gagne pas beaucoup de matchs, qu'on n'a pas les résultats que l'on attend, on se démoralise, témoigne-t-il. J'ai même voulu arrêter le tennis pendant l'année du Covid, parce que je ne trouvais plus la motivation de m'entraîner. Mais le manque de taper dans la balle et de jouer devant du public est revenu assez vite." 

Des Français à l'éclosion tardive

Pour que la bascule vers le professionalisme soit la moins brutale possible, la FFT encourage les meilleurs juniors à disputer quelques tournois professionnels en parallèle du circuit juniors, parfois dès l'âge de 15 ans, comme ce fût le cas pour Gabriel Debru. "C'est un passage délicat vers un autre monde, donc en fonction du niveau de jeu, on les met en confrontation sur le circuit pro pour se mesurer à la concurrence", explique Nicolas Escudé.

Et si le DTN ne souhaite pas établir un temps de passage idéal vers le top 100 mondial, une étude de la Fédération internationale de tennis démontre qu'entre 1996 et 2005, les anciens joueurs du top 10 juniors atteignaient le top 100 en moyenne à l'âge de 20,8 ans chez les hommes, contre 19 ans chez les femmes. 

Vainqueur de Roland-Garros juniors en 2021, le Français Luca Van Assche, 19 ans, est déjà en avance puisqu'il occupe la 85e place mondiale. Championne du monde juniors en 2019, Diane Parry est, elle, entrée dans le top 100 à l'âge de 19 ans, en mars 2022.

Mais comme l'illustrent les parcours de Benjamin Bonzi et Grégoire Barrère, entrés dans le top 100 pour la première fois à 25 ans, ou encore celui de Constant Lestienne, qui a attendu ses 30 ans, l'éclosion peut-être tardive. "L'âge n'est pas un problème quand on a la passion, et par rapport à un Felix Auger-Aliassime (10e mondial) que j'ai battu en finale à Roland. On fera les comptes à la fin de nos carrières", résume Geoffrey Blancaneaux. 

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