Schizophrène meurtrier : inquiétude des psychiatres après la condamnation de l'un des leurs
"Si cette décision devient une jurisprudence, on replonge au Moyen-âge", a résumé pour l'AFP Norbert Skurnik, de l'Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (IDEPP). "La recherche d'un coupable absolument nous inquiète fortement", a ajouté Marc Bétrémieux, du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH).
La Cour de cassation a rejeté le 23 octobre le pourvoi formé par un ancien médecin du centre hospitalier de Saint-Egrève (Isère), condamné pour homicide involontaire à 18 mois de prison avec sursis en première instance en 2016 et en appel en 2018. L'établissement avait, lui, été relaxé.
Le meurtre remonte à 2008
Le 12 novembre 2008, un patient schizophrène paranoïde, autorisé à des sorties dans le parc de l'hôpital, s'en était échappé sans difficulté. Après avoir gagné en bus le centre de Grenoble, à une dizaine de kilomètres, il avait acheté un couteau et poignardé le premier venu, Luc Meunier, un étudiant de 26 ans.
Sa famille, qui s'est battue pour obtenir un procès pénal, "est désormais libérée du poids de ce combat et peut enfin faire son deuil", a déclaré son avocat Me Hervé Gerbi.
Cette affaire avait pris une ampleur nationale avec l'intervention du président Nicolas Sarkozy et son discours d'Antony, appelant à un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques moins de trois semaines après le drame.
Un arrêt « fracassant pour la psychiatrie »
Si l'émotion était retombée et que l'enfermement systématique des malades n'est pas devenu la règle depuis 2008, l'arrêt rendu par la Cour de cassation "est fracassant pour la psychiatrie", a estimé Me Jean-Yves Balestas, avocat de Lekhraj Gujadhur, le docteur incriminé.
En effet, le lien de causalité entre la faute retenue contre le Dr Gujadhur - s'être "abstenu" d'examiner le patient avant délivrance d'une autorisation de sortie - et le décès de M. Meunier est caractérisé. Il "a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage et n'a pas pris les mesures permettant de l'éviter", selon l'argumentaire de la cour d'appel soutenu par la Cour de cassation.
« C’est un cataclysme »
"Les médecins vont devoir exercer un deuxième métier: surveillant de prison. C'est un cataclysme", a regretté Me Balestas.
"Ce type de décision va sans doute déstabiliser grand nombre de nos collègues. Je crains que ça penche vers la prise minimum de risque au détriment du soin personnalisé et du respect des droits du patient", a fait valoir le Dr Bétrémieux.
"Tous les psychiatres prennent des risques en permanence"
Et cela dans un contexte de "réduction constante des moyens de la psychiatrie" alors qu'en parallèle, "on constate une multiplication des passages à l'acte aux urgences psy ou dans les services, liés à l'augmentation des conduites addictives et de la consommation de drogues".
Pour le Dr Skurnik, "tendre vers le risque zéro veut dire enfermer les malades, les neuroleptiser à mort, et les empêcher de sortir". "C'est un message horrible. Tous les psychiatres prennent des risques en permanence", a relevé le syndicaliste, qui rappelle que "les schizophrènes ne sont pas plus meurtriers que les non schizophrènes, ils le sont moins".
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