Enquête France 2 Salmonelle dans les chocolats Kinder : "Complément d'enquête" révèle comment Ferrero a minimisé l'ampleur des contaminations

Article rédigé par Yann Thompson - avec "Complément d'enquête"
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Un véhicule de police belge stationne devant l'entrée de l'usine Ferrero d'Arlon (Belgique), le 8 avril 2022. (SHUTTERSTOCK/SIPA)
En 2022, le groupe italien n'avait mentionné qu'un épisode de contamination dans son usine belge d'Arlon. En réalité, plus de 80 échantillons se sont révélés positifs en deux mois, selon un rapport passé inaperçu.

"On est désolés." Le 25 mai 2022, face aux lecteurs du Parisien, le directeur général France de Ferrero sort de son silence. Le groupe italien, connu pour ses marques Nutella, Kinder ou Crunch, est alors dans la tourmente depuis deux mois. Des centaines d'enfants européens sont tombés malades après avoir consommé des chocolats Kinder contaminés aux salmonelles. Rien qu'en France, 81 cas sont recensés, dont 22 ayant nécessité une hospitalisation. Au final, quelque 400 patients seront identifiés, dont 121 en France, sans décès signalé. "Ce qui s'est passé n'est pas acceptable", reconnaît le dirigeant, Nicolas Neykov.

Le patron de la branche française de Ferrero promet la transparence. "Tout ce que je sais, je vous le dirai. (...) Jamais il n'y a eu tromperie ou volonté de cacher la vérité", assure-t-il. Interrogé sur l'origine de la contamination, il fait alors état d'une détection de salmonelle dans l'usine Ferrero d'Arlon, en Belgique, le 15 décembre 2021. Quelques semaines plus tôt, début avril, un communiqué du groupe ne mentionnait déjà que cette alerte, en date du 15 décembre.

Des traces de salmonelle ont-elles été découvertes dans l'usine à d'autres moments ? Le directeur général laisse entendre qu'il s'agit d'un cas isolé. "La totalité de nos tests réalisés les jours suivants sont négatifs, ce qui nous permet alors de rouvrir l'usine", assure-t-il. "On travaille dur pour que cela ne se reproduise jamais", ajoute-t-il encore. En ce jour d'opération transparence, le patron français de Ferrero omet de préciser que "cela" s'est déjà reproduit. Des dizaines de fois.

Plus de 80 détections en quelques mois

Deux ans et demi plus tard, "Complément d'enquête" dévoile pour la première fois au grand public l'ampleur des contaminations, grâce à un document jusqu'ici passé sous les radars. Dans son reportage intitulé "Ferrero : les petits secrets du géant du chocolat", diffusé jeudi 17 octobre à 22h45 sur France 2, le magazine montre comment les autorités sanitaires européennes ont mis à mal la version de l'entreprise dans un rapport publié dès le 18 mai 2022, soit une semaine avant l'interview de Nicolas Neykov.

"Un total de 81 échantillons" provenant de l'usine belge se sont avérés positifs à la salmonelle "sur une période de production de deux mois entre le 3 décembre 2021 et le 25 janvier 2022", est-il révélé dans cette évaluation épidémique, signée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Mise en ligne en anglais sur le site de l'ECDC (PDF), cette publication n'a été repérée à l'époque que par des sites spécialisés comme Process alimentaire et Food Safety News. Dès le 12 avril, un premier rapport avait déjà fait état d'échantillons s'étant révélés positifs en janvier.

Tous ces résultats proviennent d'autocontrôles sanitaires réalisés par le groupe Ferrero lui-même sur des produits finis, sur des matières premières ou encore sur des outils de production. Un premier résultat positif sur un échantillon daté du 3 décembre ; quatre autres le 13 ; cinq le 14... Les alertes se poursuivent le 15 décembre, le 16, le 18, le 20. La production, arrêtée le 16 décembre, est relancée le 3 janvier. Un échantillon collecté ce même jour revient positif et la liste s'allonge toujours plus. Au total, 21 journées sont ponctuées d'anomalies, soit 20 de plus que dans le discours officiel du géant alimentaire italien, selon lequel les tests se sont avérés négatifs après la mi-décembre.

Malgré d'importantes opérations de désinfection à Arlon, d'autres cas seront découverts les mois suivants. Début avril, quand éclate le scandale des chocolats contaminés, les autorités sanitaires belges lancent une inspection de l'usine. Durant neuf jours, elles contrôlent le site de fond en comble. "On a fait toute une série de prélèvements et on a eu sept premiers résultats positifs à la salmonelle", détaille à "Complément d'enquête" l'Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire. "L'enquête s'est emballée, jusqu'à ce qu'on arrive au 8 avril, où on décide de rappeler tous les produits fabriqués dans l'usine" et de fermer le site.

Un manque de transparence auprès des autorités ?

Le groupe Ferrero reconnaît-il cette avalanche de contrôles positifs ? Sollicité par "Complément d'enquête", il se contente d'une réponse vague : "Avant le retrait du produit en avril 2022, dans le cadre de nos systèmes de contrôle, la présence de salmonelles a été détectée sur le site d'Arlon en Belgique." Durant cette crise, "tous les lots de produits ont été rigoureusement testés avant d'être mis sur le marché", ajoute Ferrero, sans expliquer comment des produits contaminés ont pu se retrouver dans les rayons d'une quinzaine de pays européens, ainsi qu'au Canada et aux Etats-Unis.

Reste aussi à déterminer si l'entreprise a manqué à ses obligations d'alerte sanitaire. En Belgique, s'il estime qu'il n'y a aucun danger pour les consommateurs, un industriel n'est pas obligé d'avertir les autorités en cas d'incident. Le groupe Ferrero se trouvait-il dans ce cas de figure ? "Si on se place à la fin de l'histoire, sur la base de tous les éléments dont on dispose après plusieurs semaines d'enquête, on peut dire qu'il y avait obligation de notification", estime l'Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire. Avant de nuancer. 

"C'est la procédure judiciaire qui déterminera si, oui ou non, ils ont manqué à cette obligation de notification."

Aline Van den Broeck, porte-parole de l'Agence belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire

à "Complément d'enquête"

De son côté, l'entreprise assure avoir, "depuis le début", "collaboré pleinement avec les autorités sanitaires et de sécurité alimentaire". En avril 2022, elle avait toutefois reconnu "des défaillances internes, provoquant des retards dans la récupération et le partage d'informations". L'affaire est en cours d'instruction en Belgique pour déterminer les responsabilités du groupe italien. En France, une enquête préliminaire est également ouverte, à la suite d'une plainte pour "tromperie aggravée" et "mise en danger d'autrui" déposée par plusieurs familles de victimes avec l'ONG Foodwatch.

En attendant un éventuel procès, Ferrero a déjà négocié avec des parents d'enfants français contaminés. Pour s'éviter une procédure judiciaire longue et incertaine, certains ont accepté une indemnisation financière, en échange d'une clause de confidentialité et d'un renoncement à toute action devant la justice. "On a obtenu grosso modo entre 10 000 et 20 000 euros" par famille, rapporte dans l'émission leur conseil, Jérémy Kalfon. L'industriel y trouve son intérêt, reconnaît l'avocat : "Le jour où il y aura un procès, moins il y aura de familles, moins ce sera retentissant." 

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