Etiquetage nutritionnel : les comités chargés de mettre en place la mesure soupçonnés de conflits d'intérêts
De nombreux membres des deux comités mis en place représentent l'industrie agroalimentaire ou collaborent avec elle, selon une enquête du "Monde".
Des comités gangrenés par le conflit d'intérêts ? Le Monde fait sa une, vendredi 8 juillet, sur la façon dont l'industrie agroalimentaire a placé ses pions dans les deux comités (l'un de pilotage, l'autre scientifique) chargés de mettre en place un étiquetage nutritionnel sur ses produits. Explications.
L'étiquetage prévu par la loi est rejeté par l'industrie
Retour à la genèse de cet étiquetage. Fléau du siècle, l'obésité touche désormais 17% des Français, avec les risques de diabète et de maladies cardiovasculaires qu'elle entraîne. Pour améliorer l'information nutritionnelle, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, charge une équipe de chercheurs de développer un système d'étiquetage à cinq couleurs. De vert (plutôt sain) à rouge (à fuir), ces couleurs indiquent les produits trop gras, trop sucrés, trop salés, qu'il convient d'éviter.
Cet étiquetage figure en 2014 dans la loi Santé. Comparé à d'autres systèmes mis en place dans d'autres pays ou par des industriels, il est jugé plus efficace, selon Allô Docteurs, y compris par les populations "à risque" (sujets âgés, bas revenus, faible niveau d’éducation, faible niveau de connaissances en nutrition, personnes en surpoids ou obèses). Mais "il est rejeté par l'industrie", souligne Le Monde. Parallèlement, la grande distribution commence à plancher sur son propre système d'étiquetage.
Des conflits d'intérêts flagrants
Retour à la case départ, donc. Au début de l'année 2016, le ministère de la Santé charge la Direction générale de la santé de mener une étude pour comparer "quatre systèmes d’étiquetage alimentaire : celui de la grande distribution, celui de l’agroalimentaire, les feux tricolores appliqués au Royaume-Uni et le système à cinq couleurs". Deux comités sont mis en place pour organiser et réaliser cette étude.
Or, souligne Le Monde, de nombreux membres des deux comités ont partie liée avec l'industrie agroalimentaire, à commencer par le coprésident du comité de pilotage, Christian Babusiaux. Celui-ci préside le Fonds français pour l’alimentation et la santé, dont la liste des donateurs est assez parlante. Elle est constituée de petites ou grandes entreprises de l'agroalimentaire. Parmi les quinze membres de ce comité de pilotage figurent "quatre représentants de la grande distribution et de l’ANIA [Association nationale des industries alimentaires], hostiles aux systèmes colorés", poursuit Le Monde.
Un expert indépendant écarté du comité scientifique
Dans le deuxième comité, scientifique et chargé d'élaborer le protocole de l'étude, trois membres ont "démissionné avec fracas, gênés par les conditions de l’étude et les liens de certains membres avec les industriels". Et "sur les dix experts restants, six collaborent avec la grande distribution et l’agroalimentaire, que ce soit dans le cadre de leur activité d’enseignants-chercheurs ou à titre personnel", assène le quotidien.
Ces conflits d'intérêts sont d'ailleurs explicitement mentionnés dans les formulaires de déclaration d'intérêts des experts en question, note le quotidien, mais leur participation au comité a néanmoins été validée. Le seul à avoir été disqualifié, s'étonne encore Le Monde, est le directeur du Programme national nutrition santé depuis 2001, Serge Hercberg. Indépendant de tout lien avec l’industrie, c’est lui qui avait supervisé l’élaboration du système à cinq couleurs pour le ministère. "C’est toute l’intelligence des opérateurs économiques que de prétendre à l’existence de conflits 'idéologiques' ou 'émotionnels', et de les placer au même plan que des conflits d’intérêts financiers !" s'indigne-t-il auprès d'Allô Docteurs.
Pour ceux qui n'auraient pas suivi, Le Monde a réalisé une vidéo de 4 minutes qui explique tout :
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