L'article qu'il faut avoir LU sur le plus célèbre des petits biscuits français
Un collectionneur vend, le 19 septembre chez Drouot, des centaines d'objets anciens de la biscuiterie Lefèvre-Utile.
"Le Petit Beurre LU, c’est le plus beau patrimoine publicitaire au monde !" Cette proclamation d'Olivier Fruneau-Maigret est un brin intéressée puisque ce collectionneur de 42 ans vend, le 19 septembre chez Drouot, une partie du fonds patrimonial de la famille Lefèvre-Utile, qu'il a rassemblé en deux décennies. Des documents, mais aussi une collection de boîtes, vaisselle, dessins, objets en tout genre signés LU, dont il espère tirer au moins 300 000 euros.
LU renvoie à Lefèvre-Utile, bien sûr, du nom de ce couple d'artisans qui créa à Nantes, sous Louis-Philippe, sa pâtisserie familiale. Une entreprise devenue fameuse grâce au Petit Beurre, la plus célèbre de ses créations. Alors que ce joyau de la biscuiterie a été absorbé depuis trois décennies par des géants de l'agroalimentaire français (Danone), puis américain (Kraft, devenu Mondelez), franceinfo retrace une épopée alimentaire, industrielle et publicitaire flamboyante, en six anecdotes autour d'un goûter mythique.
1Un biscuit de Nantes
"Dans le quartier du Champ de Mars à Nantes, l’odeur du biscuit était omniprésente jusqu’en 1986, date de la fermeture de l'usine LU nantaise", se remémore avec nostalgie le collectionneur Olivier Fruneau-Maigret. Le directeur du musée d’histoire de Nantes au Château des ducs de Bretagne, Bertrand Guillet, confirme :
L'odeur était portée par les vents de pluie. Quand on sentait dans la ville celle, si caractéristique, du Petit Beurre, on disait : 'il va pleuvoir.'
Bertrand Guillet, directeur du musée d'histoire de Nantesà franceinfo
L'histoire commence il y a plus de 170 ans. Venus de leur Lorraine natale, Jean-Romain Lefèvre et son épouse, Pauline-Isabelle Utile, créent en 1846 une pâtisserie de luxe, rue Boileau, à Nantes, où ils mettent à l'honneur les spécialités de l'est de la France : "Dans un décor monumental et luxueux", écrit l'historien Olivier Londeix dans Le Biscuit et son marché. Olibet, LU et les autres marques depuis 1850 (Presses universitaires de Rennes, 2012), "les biscuits secs sont vendus dans des coupes en cristal sur pied : outre les fameux biscuits de Reims, les Lefèvre-Utile vendent des boudoirs, cuiller, vanille, champagne, langues de chat, macarons, massepains et petits fours aux amandes".
A partir des années 1870, la boutique familiale commercialise les biscuits industriels anglais importés à la demande d'une bourgeoisie qui succombe volontiers au tea time à l'anglaise, agrémenté de douceurs. D'autant qu'en ville, l'heure du dîner, pris autrefois vers 17h30 dans les campagnes, a été reculée à 19 heures.
Fils du couple fondateur et grand homme de la dynastie, Louis Lefèvre-Utile (1858-1940) donnera l'impulsion décisive. Pourquoi, se dit-il, ne pas fabriquer soi-même ces gourmandises industrielles, dont les matières premières – œufs, lait, farine… – coulent en abondance dans l'ouest de la France ? Au point que les Anglais achètent les ingrédients dans l'Hexagone, avant d'y réexporter le biscuit fini ! Ni une ni deux, Louis part outre-Manche espionner les secrets industriels de la biscuiterie. Puis installe à son retour ses quatorze ouvriers dans une ancienne filature nantaise de 2 000 m2, qu'il a acquise au bord de la Loire. En 1886, les machines à vapeur mélangent farine, sucre, beurre et lait, et les premiers Petits Beurre sortent des fours. En 1910, l'usine emploie plus d’un millier d'ouvrières et ouvriers.
2Dopé par l'Expo universelle de 1900
L'Exposition universelle de 1900, où se pressent des millions de visiteurs, dont nombre d'étrangers, fait rayonner la marque bien au-delà des frontières. D'autant que Louis Lefèvre-Utile n'a pas mégoté sur les moyens alloués à son pavillon Art nouveau : face à la tour Eiffel se dresse, bien visible, un phare de 36 mètres de haut, couronné d'une boîte stylisée où les lettres LU trônent en majuscules. Cerise sur le gâteau, le Petit Beurre LU obtient à l'Expo un Grand Prix d'excellence qui sera dûment mentionné sur les paquets.
Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Dès 1902, avec ses 200 marques de biscuits, dont le plus connu est déjà le Petit Beurre, LU a définitivement détrôné le biscuit anglais. "Les importations de biscuits anglais ont chuté à moins de cinq tonnes alors que Lefèvre-Utile ne compte pas moins de 162 tonnes de biscuits exportées", explique-t-on dans L'Histoire gourmande de LU, un documentaire de France 3 Pays-de-Loire réalisé par Eric Bitoun.
3Popularisé par l'imagerie du "petit écolier"
L'air de la Tamise inspire encore Louis Lefèvre-Utile pour sa communication innovante. Emballages, affiches, ferblanterie, il décline à l'anglaise sa marque sur tous les supports et confie le dessin à des artistes. "Pour la gaufrette, raconte Olivier Fruneau-Maigret, il recourt ainsi à un des maîtres du graphisme Art nouveau : le Tchèque Alfons Mucha [1860-1939], qui arrive en France à la fin du XIXe siècle." Au risque de choquer : loin de Paris, une clientèle conservatrice s'offusque de ces boîtes décorées de dames gourmandes et sensuelles picorant leur friandise. "Les retours par lettres des commerciaux montrent que le public ne comprend pas toujours ces représentations de femmes lascives", sourit Bertrand Guillet.
Pour la publicité du Petit Beurre, Louis Lefèvre-Utile se montre plus prudent. Il fait appel à Firmin Bouisset (1859-1925), "un petit maître de style bourgeois qui correspond au marché, sans transgression", analyse Bertrand Guillet. En 1897, l'artiste crée l'image du "petit écolier" à cape noire et revers rouge portant, fièrement épinglée à sa blouse, la Croix du mérite. "C’est ce petit écolier méritant qui popularisera le Petit Beurre en 1897", explique Olivier Fruneau-Maigret. Détail piquant attesté par les portraits de l'héritier :
Le petit écolier, c’est Louis junior, le propre fils de Louis, qui est représenté en élève studieux. Or cet enfant modèle sera plus tard victime d'omerta pour avoir trahi la famille.
Bertrand Guilletà franceinfo
Le rejeton renégat a en effet quitté l'entreprise familiale pour lancer sa marque concurrente, La Fée gourmande, qui sera un échec.
4Victime d'un procès en contrefaçon
Tant de succès ne pouvait que susciter les jalousies. Pionnière de la biscuiterie industrielle, l'entreprise bordelaise Olibet voit d'un mauvais œil la réussite du biscuit fétiche de LU. En 1889, elle intente à son rival nantais un procès visant à "éliminer un concurrent de plus en plus gênant", analyse Olivier Londeix dans Le Biscuit et son marché. LU riposte, faisant valoir que "le Petit Beurre existait déjà sous d’autres formes et sans inscription sur le biscuit quand elle l’a fabriquée pour la première fois en 1887". Verdict :
Le tribunal considère (...) qu’en revendiquant si tardivement (...) le monopole de cette marque, (...) la société demanderesse [a] obéi à la pensée de bénéficier entièrement de la vogue qui s’est attachée, en raison de la supériorité, au produit fabriqué sous la même dénomination par Lefèvre-Utile.
Olivier Londeixdans "Le Biscuit et son marché"
Résumé plus prosaïque : comme la crêpe ou la tarte aux pommes, le Petit Beurre appartient au domaine public. Néanmoins, le procès va avoir des conséquences : "A partir de ce moment-là, déroule Olivier Fruneau-Maigret, Lefèvre-Utile va communiquer sur ce slogan : 'Véritable Petit Beurre : exigez la marque LU'."
5Auréolé de légendes
Si la réussite fulgurante de LU lui vaut des déboires judiciaires, elle s'accompagne aussi de son lot de légendes. L'une d'elles s'attache à représenter le Petit Beurre en allégorie du temps, "avec ses 52 dents, comme les 52 semaines de l'année, quatre coins comme les quatre saisons et 24 petits trous comme les 24 heures de la journée", égrène Olivier Fruneau-Maigret.
"Pourtant, aucun document ne prouve que le concepteur, Louis Lefèvre-Utile, ait ainsi pensé son biscuit quand il l'a dessiné sur fond quadrillé", s'amuse Bertrand Guillet. Et tant pis pour un "storytelling tardif", qui fait du Petit Beurre une gourmandise à déguster à toute heure du jour et de la nuit.
6Stylisé par Raymond Loewy
Entre les deux guerres, l'étoile de LU pâlit sérieusement. Son rival BN (Biscuiterie nantaise) conquiert un public populaire avec son fameux biscuit Casse-Croûte, boosté par la Première Guerre mondiale. BN a en effet servi de fournisseur aux troupes américaines, dont l'exigeant cahier des charges l'a poussé à rénover son appareil industriel. Le haut de gamme cher à LU n'est plus adapté au marché, et les générations se succèdent : Louis passe la main à son fils Michel, lui-même remplacé, en 1945, par son fils Patrick.
Quatrième du nom, Patrick Lefèvre-Utile doit désormais relever le gant de la consommation de masse. Comme son grand-père l'avait fait avant lui, il part à l'étranger, traversant l'Atlantique. Dans les années 1950, le grand vent qui bouscule les habitudes du consommateur vient d'Amérique. Patrick Lefèvre-Utile s'y rend, se renseigne, et rencontre Raymond Loewy.
Ce précurseur français du design, parti aux Etats-Unis avant-guerre, a travaillé pour le cigarettier Lucky Strike, le géant du soda Coca-Cola, le constructeur automobile Studebaker. Avec ses lettres blanches enserrées dans un rectangle rouge, LU trouve en 1957, grâce à lui, son identité graphique définitive. Soixante ans plus tard, alors que LU est passé sous la coupe de l'Américain Mondelez, ce logo minimaliste, à peine modifié, n'a pas pris une ride.
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