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Connaître les secrets de son ADN, une fausse bonne idée ?

Article rédigé par Marion Solletty
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une technicienne de laboratoire prépare un échantillon pour une analyse ADN au laboratoire Staffordshire Scientific Services à Stafford (Royaume-Uni), le 14 février 2013. (DARREN STAPLES / REUTERS)

Des entreprises proposent à tout un chacun d'analyser son génome pour connaître ses prédispositions à certaines maladies. Un service qui pose d'importants problèmes éthiques, estiment les spécialistes.

Quel est la probabilité que vous développiez un diabète ? Avez-vous une prédisposition à la maladie d'Alzheimer ? Depuis quelques années, des entreprises proposent à tout un chacun une analyse génétique clé en main permettant d'évaluer ses facteurs de risque pour des centaines de pathologies.

Figure de proue de cette industrie, l'américain 23andMe a abaissé en décembre 2012 le prix de son kit de test à 99 dollars (75 euros). Un peu de salive dans un tube, un tour à La Poste, et il devient possible d'explorer les secrets de son génome, consultable en ligne de manière sécurisée. 

Et d'ouvrir ainsi la boîte de Pandore… Car pour les généticiens, ces tests sont loin d'être anodins et posent d'importantes questions éthiques. En France, ils sont d'ailleurs proscrits : seuls les praticiens agréés peuvent proposer à des patients jugés à risque un test génétique ciblé, à l'instar de celui qu'a passé Angelina Jolie pour le cancer du sein. Un processus encadré, loin de ce que beaucoup appellent "la génétique récréative".

Sur le plan médical, une utilité discutable

Premier reproche fait par les spécialistes : le service médical rendu au patient, qu'ils jugent faible. "Connaître l'impact de vos gènes sur votre santé peut permettre de mieux planifier votre futur et personnaliser votre suivi médical", promet 23andMe, s'appuyant sur des exemples comme le diabète, où la modification des habitudes alimentaires peut avoir un impact important.

Mais que faire si vous vous découvrez une prédisposition génétique à la maladie d'Alzheimer, incurable à ce jour et néanmoins sur la liste des maladies testées par 23andMe ? Hélas, pas grand-chose. "On informe des gens qu'ils ont un risque augmenté de développer telle ou telle maladie dans dix, vingt, trente ans, et on les abandonne à leur triste sort", résume Patrick Gaudray, généticien, directeur de recherche au CNRS et membre du Comité consultatif national d'éthique.

Conscientes des lourdes conséquences que peuvent entraîner leurs services, certaines entreprises ont choisi de limiter les analyses ADN aux pathologies pour lesquelles existe un traitement préventif ou curatif : Bio-logis, concurrent allemand de 23andMe, refuse ainsi d'inclure Alzheimer dans son test grand public.

Une information incomplète… et anxiogène ?

Autre point soulevé par les généticiens : le caractère réducteur de certains résultats. La plupart des maladies "testées" sont en effet le résultat d'une interaction complexe entre les facteurs liés à la génétique et ceux liés au mode de vie ou à l'environnement. Dans beaucoup de cas, l'importance réelle du facteur génétique est mal connue.

"Certaines personnes, en recevant ces résultats, vivent comme un diagnostic ce qui n'est que la traduction d'un risque statistique", explique Ségolène Aymé, directrice de recherche émérite à l'Inserm et généticienne spécialiste des maladies rares. "Cela déclenche de vraies anxiétés." L'angoisse est d'autant plus forte lorsque le patient n'a pas les moyens d'agir sur le risque en question.

Réflexe conservateur, rétorquent les défenseurs de ce type de service. "J'en ai assez de lire des articles sur les dangers du génome", s'insurge, sur Slate (en anglais) une journaliste scientifique qui a elle-même fait le test de 23andMe. "La révolution de la génomique personnelle est déjà en route, et pourtant certains membres paternalistes de la communauté médicale tentent toujours de la stopper". "Les gens sont plus intelligents et plus à même d'encaisser le choc que les débats éthiques ne le sous-entendent", souligne-t-elle.

Une étude publiée en 2011 par le New England Journal of Medicine (en anglais) semble lui donner raison. Elle note que les résultats des tests ADN n'ont eu "aucun impact notable à court terme sur la santé psychologique" des personnes de l'échantillon ayant effectué le test commercialisé par Navigenics, un concurrent de 23andMe (Navigenics a depuis cessé cette activité).

Des résultats qui méritent explication

Reste l'effet pervers que peut avoir, dans l'autre sens, un résultat positif. Par exemple, le test de 23andMe informe de la présence de certaines mutations du gène BRCA-1, rendues responsables de cancers précoces du sein et de l'ovaire. Le risque de développer un cancer du sein atteint 60% pour une femme porteuse de ce type de mutations, contre 12% pour une femme de la population générale, selon les statistiques de l'Institut national du cancer américain.

Mais "les cas liés à BRCA-1 ne représentent que 5% des cancers du sein", souligne Patrick Gaudray. "Quelqu'un à qui on dit 'vous n'avez pas de mutation BRCA-1' peut penser qu'elle n'est pas à risque de cancer du sein. Et ça, c'est très grave."

C'est pour cela que de nombreux spécialistes jugent que ce type de test ne devrait être pratiqué que dans le cadre d'une consultation avec un généticien professionnel. "Ce sont des informations qu'il faut apprendre à utiliser, à domestiquer", insiste Patrick Gaudray. Certains professionnels ont d'ailleurs pris les devants : les clients de l'Américain Pathway Genomics doivent ainsi obligatoirement passer par un médecin pour commander leur test ADN. Et d'autres proposent en option une consultation avec un généticien.

Des données confidentielles, en théorie

Au-delà des considérations médicales, le deuxième problème soulevé par ces tests est celui du devenir des données ainsi recueillies. Toutes les entreprises du secteur ont beau garantir, en théorie, leur confidentialité, les fuites ou le piratage ne sont pas à exclure.

Pour Patrick Gaudray, l'idée que ces données restent confidentielles et strictement réservées à l'usage du patient relève d'une "immense illusion". Il souligne notamment que "les conditions d'utilisation de ces données sont susceptibles d'évoluer au cours du temps". Aux Etats-Unis en particulier, certains ont très rapidement mis en avant le risque de voir, dans un futur proche, les compagnies d'assurance réclamer ce type de test avant d'accepter un client. La législation interdit pour l'instant une telle discrimination.

Les clients, eux, semblent penser que le jeu en vaut la chandelle. "J'étais consciente qu'il y avait un risque, mais ça ne m'a pas trop inquiétée", raconte à francetv info Kiri Sunde, 23 ans, jeune diplômée en biologie de l'université de Caroline du Nord, qui a fait le test en 2011. Dans son entourage, elle a remarqué que si la génération de ses parents trouvait cela préoccupant, c'était beaucoup moins le cas chez les gens de son âge. "Nous appartenons à une génération qui est très libérale sur ce qu'elle veut bien montrer sur internet, une conséquence de l'omniprésence des réseaux sociaux."

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