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Enquête Adoptions : le business lucratif de la recherche des origines

Nombreuses sont les personnes qui, ayant été adoptées à l’étranger, se lancent à la recherche de leurs parents biologiques et deviennent la proie de détectives peu scrupuleux. Certaines se voient présenter de faux parents.
Radio France
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La recherche des origines d’enfants adoptés est devenue un véritable business (image d’illustration). (LOUISE BEAUMONT / GETTY)

Jessica est née au Sri Lanka en 1982. À l’âge de deux ans, elle a été adoptée en France par une famille aimante. Elle mène une vie heureuse jusqu’à cette veille de Noël en 2017. "J’apprends qu’un trafic d'adoption a eu lieu au Sri Lanka dans les années 80, pile au moment de mon adoption, explique-t-elle. J’apprends aussi que la personne qui a servi d’intermédiaire pour mon adoption est mêlée à ce trafic. C’est un gros choc. Je ressens le besoin de retrouver ma famille biologique." Des personnes contactées via des groupes d’adoptés sur Facebook lui donnent les coordonnées d’un intermédiaire qui vit sur place. Elle le contacte pour lui demander de rechercher sa mère biologique.

Une fausse mère

L’homme lui réclame 350 euros pour les frais de nourriture, l'hébergement et les déplacements. "Il affirme que la recherche ne durera pas plus de quatre jours. Le temps, dit-il, qu’il a mis pour retrouver d’autres parents." Confiante et pleine d’espoir, Jessica lui fait un virement et lui envoie les informations dont elle dispose sur son adoption. Le résultat est à la hauteur de ses espérances : "Au bout de trois jours, il me dit qu’il a trouvé une femme qui a des informations qui correspondent à mon dossier." Selon lui, il s’agirait de sa tante.

Bouleversée, Jessica décide d’aller la rencontrer au Sri Lanka. "C’est un moment magique. On se serre dans nos bras. On pleure. J’attendais ce moment depuis tant d’années !", se souvient-elle. De retour en France, Jessica continue d’échanger avec sa tante. Mais quelques semaines plus tard, son mari de l’époque, pris d’un doute, lui conseille de demander un test ADN. C’est un coup de massue : "Le test est négatif. Ce n'est pas ma tante. Je m'effondre complètement."

Jessica, née au Sri Lanka en 1982 et adoptée par des parents français, pendant la recherche de ses parents biologiques. (LAETITIA CHEREL / RADIO FRANCE)

Jessica garde pourtant espoir. Elle paye à nouveau l’intermédiaire. Et au bout de deux jours, ce dernier affirme cette fois-ci avoir retrouvé sa mère biologique. "Cette annonce est indescriptible. Je l'ai attendue toute ma vie." Échaudée cependant, Jessica ne veut pas s’investir affectivement avant d’avoir la confirmation qu’il s’agit bien de sa mère biologique. Elle lui demande donc un test ADN. Et de nouveau, le verdict est négatif. "J’ai une grosse colère. Ça fait quand même deux fois. Je me sens trahie." Aujourd’hui, Jessica n’a toujours pas retrouvé sa mère, mais elle veut continuer ses recherches, "sans intermédiaire" cette fois-ci.

10 ans de thérapie

Le cas de Jessica n’est pas isolé. Aurélie a connu la même déconvenue. Elle est née en Inde en 1979 avant d’être adoptée à l’âge de trois ans par une famille française. Après la naissance de son premier enfant, elle ressent une envie profonde de retrouver ses parents biologiques. Elle organise un séjour en Inde avec son mari et sa fille. Ses recherches la conduisent à l’association française Rayon de soleil de l’enfant étranger (RSEE), par laquelle sont passés ses parents pour l’adopter. C’était, à l’époque, l’une des principales associations françaises agréées pour l’adoption internationale (elle vient de perdre cet agrément et est désormais visée par une enquête judiciaire pour falsification de documents au Mali).

Une fois en Inde, Aurélie contacte la directrice de l’orphelinat dans lequel elle avait été placée étant enfant. Un établissement qui aurait "fourni" des enfants à l’association Rayon de Soleil. Cette femme lui apprend que sa mère, qu’elle croyait morte, est vivante et qu’elle a deux sœurs. Un rendez-vous est pris pour le lendemain. Aurélie en pleure de joie : "J'y crois à fond. Je suis sur un petit nuage. Je n'en dors pas la nuit. De plus, je suis avec ma fille qui est toute jeune. Elle va voir sa vraie mamie biologique. Je suis super contente."

Mais les retrouvailles ont un goût étrange. La mère de naissance prend Aurélie dans ses bras et pleure de joie, mais elle l’implore rapidement de l’aider à se faire soigner en France. Elle lui livre aussi plusieurs versions de son passé. Aurélie ressent un profond malaise. Pendant dix ans cependant, les deux femmes resteront en contact, mais en pointillé. Aurélie lui envoie régulièrement de l’argent, souvent sans obtenir de réponse en retour. Puis, en 2020, en proie à l'incertitude, Aurélie lui demande de faire un test ADN. À sa grande surprise, cette dernière refuse. "Ça m'a mise en colère. On ne peut pas vouloir être la mère de quelqu’un et ne pas accepter de tests ADN. C'est une personne très pauvre, et elle aurait tout intérêt à prouver qu'elle est bien ma mère pour que je puisse l'aider." Mais rien n’y fait. Aurélie est effondrée. Dix années de thérapie lui seront nécessaires, nous confie-t-elle, "pour apaiser mon sommeil qui est très perturbé. Mon cœur s'emballait très rapidement. Je ressens toujours une très grosse fatigue. Ça m'a coûté physiquement quelque chose de monstrueux".

Des avocats et des notaires impliqués

La pratique des "fausses mamans" existe aussi au Guatemala. Nathalie Parent, l’ancienne présidente de la Fédération Enfance et Familles d’Adoption, l’a constaté lors d’une mission qu’elle y a effectuée en 2019. Ce qui l’a alors surprise, c’est le profil de certains des organisateurs de cette arnaque : "Des anciens avocats, des notaires et des intermédiaires d'adoptions ont créé des agences de recherches d'origines. On nous a expliqué qu’ils se faisaient payer relativement cher. Et que, s'ils ne trouvaient pas la famille biologique, ils la créaient de toutes pièces." Deux rapports de l’ONU et de l’UNICEF dénonçaient en 2000 l’existence au Guatemala, à grande échelle, d’un trafic de nouveau-nés et de jeunes enfants destinés à l’adoption dans des pays étrangers.

Ils détaillaient le rôle joué par des avocats et des notaires. Les mêmes personnes séviraient donc toujours en exploitant des années plus tard une situation qu’ils ont contribué à créer.

Nous avons aussi identifié au Guatemala une "psychologue d’enfants" qui se présente comme professionnelle de la recherche des origines. Elle facture une recherche 1500 dollars, hors frais de nourriture, de location de taxi et d’essence. Pour ce qui est de l’hébergement, elle "suggère fortement" que les personnes qui viennent retrouver leur famille séjournent dans le Airbnb de son mari. L’établissement, propret, facture la nuit entre 50 et 60 euros, soit deux à trois fois le prix d’un hôtel bien tenu dans le pays.

Extraits de la fiche de présentation d’une intermédiaire qui se présente comme professionnelle de la recherche des origines au Guatemala. (CELULLE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

Nous avons contacté cette psychologue en nous présentant comme une Guatémaltèque adoptée en France recherchant sa famille de naissance. La psychologue nous a alors a affirmé que notre père était mort. Or, ce père n’a jamais existé puisque notre identité était fictive.

20 000 euros étalés sur sept ans

D’autres intermédiaires proposent des services du même type à des tarifs encore plus onéreux. Après avoir tenté, en vain, de retrouver sa mère biologique sur Instagram, Yann (*), un jeune homme né en Inde, s’est tourné vers un cabinet de détectives. Mais il a vite déchanté : "C'était une arnaque totale. Le cabinet facturait 180 euros par mail. Ils ont dû en envoyer quatre en trois mois. J'ai fini par arrêter. J'ai perdu à peu près 2 000 euros."

Yann s’est ensuite adressé à un spécialiste de la recherche des origines qui a pignon sur rue en Inde. Cet homme propose sur son site de régler 20 000 euros étalés sur sept ans. Le prix d’une voiture, écrit-il. "Je l’appelle et lui dis que c’est exorbitant", explique Yann. Il insiste. "Il me dit que le paiement est étalé sur plusieurs années, que c'est rentable et qu'il a un très bon taux de réussite. Je lui dis que je ne veux plus avoir affaire à lui. Il rappelle. Je finis par bloquer son numéro."

Capture d’écran du site internet du “spécialiste de la recherche des origines” en Inde auquel Yann a eu affaire. (CELLULE INVESTIGATION / RADIO FRANCE)

Une offre qui a évolué

La recherche des origines a toujours existé, mais le phénomène s’est amplifié récemment à cause, notamment, d’un facteur générationnel. "Le gros de l'adoption internationale a commencé dans les années 80", explique Nathalie Parent, l’ancienne présidente de la fédération Enfance et Familles d’Adoption. "On a atteint un pic dans les années 2000. Aujourd'hui, les personnes adoptées ont trente ou quarante ans, l'âge auquel elles se demandent d'où elles viennent et qui elles sont."

Les révélations successives d’adoptions illégales à l’étranger ont aussi contribué à accentuer ce phénomène. C’est ce qu’a observé Fanny Cohen Herlem, une psychiatre spécialiste de l’adoption. "Quand on a appris qu'il y avait eu au Sri Lanka des malversations dans les adoptions, un certain nombre d'adoptés de ce pays se sont dit avec beaucoup d'inquiétude : ‘Est-ce que, moi aussi, j’ai été adopté illégalement ? Et ils se sont lancés dans une recherche pour le savoir."

Face à cet accroissement des demandes, l’offre de services s’est peu à peu structurée. On s’est d’abord appuyé sur les réseaux sociaux, puis, "il y a environ cinq ou six ans", se souvient Julia Noblanc, ancienne bénévole de l’association La Voix Des Adoptés, "de plus en plus de personnes sont parties seules dans leur pays de naissance. J’ai alors vu émerger des gens qui nous ont contactés directement en nous disant qu’ils étaient professionnels et qu’ils enquêtaient. Et évidemment, ce n’était pas gratuit."

Une pétition en ligne

Ces intermédiaires trouvent d’autant plus facilement des clients que ceux-ci sont fragilisés émotionnellement. "Quelqu’un qui se lance dans la recherche de ses origines est prêt à tout. Il peut dépenser des sommes colossales pour mettre un visage sur sa mère biologique", explique Emmanuelle Hebert du Réseau Des Adopté·es à l’International en France (RAIF). Elle-même recherche la sienne en Inde depuis 20 ans. "Si j'avais les moyens, je m'offrirais les services d'une personne qui serait sur place. Mais on peut très bien tomber sur des gens qui vont exploiter notre peine et notre fragilité", déplore-t-elle.

Pour éviter ces dérives, les collectifs et les associations d’aide aux adoptés plaident aujourd’hui pour que ces recherches soient encadrées. "Il est nécessaire de créer une structure officielle", explique Céline Breysse, fondatrice du collectif Adoptés du Sri Lanka. "Les personnes adoptées qui recherchent leurs origines ont besoin d’un soutien psychologique parce qu’elles sont souvent confrontées à des histoires difficiles. Un soutien juridique est aussi nécessaire. Enfin, nous demandons un accès légal, gratuit et encadré aux tests ADN qui sont interdits en France, pour éviter d’être confrontés à de fausses mères biologiques." Une pétition a été mise en ligne pour demander la création d’une telle structure en France.

(*) Le prénom a été modifié.

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