Les progrès de la génétique en trois graphes
Progrès technique, chute des coûts, explosion des brevets... Dix ans après le premier séquençage d'un génome humain, les connaissances liées à l'ADN ont connu un formidable essor. Démonstration.
Qu'ont en commun Angelina Jolie et la Cour suprême américaine ? A un mois d'écart, les deux ont pris une décision qui a mis en pleine lumière les enjeux liés à la génétique.
La première, en annonçant mardi 14 mai dans le New York Times avoir choisi de subir une ablation des deux seins à la suite d'un test génétique, a attiré l'attention de l'opinion publique sur les possibilités nouvelles du dépistage génétique. Avec un simple échantillon de sang ou de salive, il est désormais possible de connaître les risques de santé que nous ont transmis nos parents et, parfois, de préserver nos enfants d'une grave maladie.
La deuxième, en décidant jeudi 13 juin que l'ADN ne pouvait être breveté, a réaffirmé haut et fort la non brevetabilité du vivant. Et mis un coup de frein à l'appétit dévorant de certaines entreprises de biotechnologie, spécialisées dans l'analyse génétique. Certaines proposent à leurs clients de dresser une vue d'ensemble de leur patrimoine génétique, pour quelques dizaines d'euros seulement. D'autres revendiquent le monopole sur des tests génétiques susceptibles de sauver la vie de milliers de personnes.
Toutes surfent sur une décennie de progrès spectaculaires, avec lesquels peu de domaines scientifiques peuvent rivaliser. Démonstration en trois graphes.
La multiplication des séquençages
A l'origine de ce décollage, il y a un procédé : le séquençage ADN. Ce dernier permet de connaître, pour une espèce donnée, l'enchaînement exact des éléments (appelés nucléotides) qui, mis bout à bout, composent la fameuse double hélice. Il est alors possible d'identifier et d'isoler les morceaux d'ADN (ou "séquences") qui composent les différents gènes, et d'identifier leurs variations d'un individu à l'autre.
Le premier séquençage complet du génome humain a seulement dix ans : il a été achevé en avril 2003 dans le cadre du Human Genome Project ("Projet génome humain"), lancé treize ans auparavant sous l'impulsion du National Institute of Health américain. Des équipes du monde entier y ont contribué.
Depuis, les scientifiques ont séquencé le génome de milliers d'organismes, de la bactérie Haemophilus influenzae (premier organisme vivant à voir son génome entièrement séquencé, en 1995) aux grands singes, en passant par d'obscurs végétaux.
La chute des coûts
Le séquençage n'est pas seulement devenu techniquement accessible : les progrès réalisés ont permis de diminuer son coût de manière drastique. La somme à débourser pour séquencer l'intégralité d'un génome humain est ainsi passée de plus de 70 millions d'euros en 2001 à environ 5 000 euros aujourd'hui. Soit une division par plus de 10 000...
A titre de comparaison, c'est un rythme 300 fois plus rapide que celui qu'a suivi la chute des coûts dans l'informatique, décrit par la célèbre loi de Moore (une division des coûts par deux tous les deux ans à puissance égale).
L'explosion des brevets
Ces techniques ont ouvert aux structures de recherche académique, mais aussi aux entreprises de biotechnologie, un champ d'innovation nouveau. Les unes et les autres s'y sont engouffrées. Pendant les années 2000, les dépôts de brevets dans ce domaine ont explosé, notamment aux Etats-Unis, où de nombreuses start-ups se sont lancées sur le créneau.
Le nombre des brevets accordés (en bleu sur le graphe) par le bureau américain des brevets (United States Patent and Trademark Office) est ainsi passé de quelques centaines par an au début des années 1990 à plusieurs milliers à la fin des années 2000. Le nombre de demandes en cours rendues publiques par l'USPTO (c'est à dire jugées recevables sur la forme, en rouge sur le graphe) suivent la même tendance.
Cette vague d'innovation n'a pas été sans controverse. La plus importante concerne les brevets posés par certaines entreprises sur des portions entières d'ADN, c'est à dire des gènes. Le droit américain considérait jusqu'à présent que parvenir à isoler un gène en l'associant à une fonction particulière constituait une invention. Un article publié à ce sujet en 2005 dans Science (en anglais) avait fait grand bruit : il estimait qu'environ 20% des gènes constituant notre ADN faisaient l'objet d'un brevet.
La décision récente de la Cour suprême américaine a posé une nouvelle limite : il n'est désormais plus possible de breveter l'ADN en tant que tel, mais seulement les procédés ou le sproduits développés autour de cette séquence. La Cour a ainsi tranché une bataille juridique remontant aux années 1990 : l'Américain Myriad Genetics, détenteur d'un brevet sur les gènes BRCA-1 et BRCA-2 de prédisposition au cancer du sein, se prévalait de l'exclusivité des tests de dépistage génétiques associés.
Dans une interview au New Scientist (en anglais), Mary-Claire King, qui a découvert le gène BRCA-1, s'est dite "ravie" de se dénoument et a salué "une décision excellente pour les patients, les médecins, les scientifiques... et pour notre bon sens".
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