: Enquête franceinfo Césariennes à vif, épisiotomies imposées… Le grand tabou des violences durant l'accouchement
De plus en plus de mères osent témoigner des violences obstétricales qu'elles ont subies, malgré la difficulté de dénoncer de telles pratiques. Le Haut commissariat à l'égalité femmes-hommes remet vendredi un rapport sur le sujet à Marlène Schiappa.
L'accouchement, le plus beau jour de la vie d'une femme ? "C'est en tout cas l'impression qu'on a quand on lit les témoignages de jeunes mamans sur Internet", reconnaît Ana. Mais pour cette trentenaire qui a eu un garçon en mars 2016, la réalité a été un peu moins heureuse. "La venue au monde de mon fils a été l'une des pires expériences de ma vie. J'ai été maltraitée, humiliée, et rien ne nous prépare à ça." Une situation qui l'a fait souffrir pendant de longs mois de stress post-traumatique. Ana a cherché des histoires semblables à la sienne – en vain –, puis a fini par se renfermer sur elle-même. Pourtant, depuis quelques années, ce qu'Ana a vécu porte un nom : la violence obstétricale.
"Cela va de la parole insultante et du refus d'information aux gestes autoritaires, qu'il s'agisse d'une immobilisation forcée, d'une épisiotomie non consentie ou d'une péridurale refusée, énumère l'ancien médecin et blogueur Martin Winckler à franceinfo. Tout ce qui, de près ou de loin, contraint la femme enceinte à subir quelque chose contre son consentement ou viole son droit élémentaire à la pudeur et sa sensibilité."
Des pratiques dénoncées, en juillet 2017, par Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les hommes et les femmes. Devant le Sénat, elle a évoqué le cas des épisiotomies en commandant un rapport sur le sujet au Haut conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Ce rapport, rendu public vendredi 29 juin, liste 26 recommandations pour reconnaitre, prévenir et punir plus sévèrement les violences et informer les femmes sur leurs droits. Avec la campagne #PayeTonUtérus sur les réseaux sociaux, nombre de mères et de soignants se sont fait l'écho de ces pratiques. Franceinfo a pu recueillir plusieurs témoignages.
Décollement des membranes sans consentement
Le plus gros traumatisme d'Ana, c'est l'épisiotomie qu'on lui a imposée : une incision chirurgicale sur la paroi vaginale, faite au moment de l'accouchement. Censée faciliter la venue du bébé, cette pratique sectionne le muscle du périnée et nécessite des points de suture. "Cela fait partie des gestes qui devraient rester rares et être faits seulement en cas de nécessité absolue", explique Martin Winckler. Pourtant, si elle est de plus en plus décriée, rappelle Slate.fr, l'épisiotomie reste pratiquée dans 44% des premières naissances, selon les derniers chiffres de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Je ne voulais pas d'épisiotomie, j'avais prévenu l'hôpital. Mon accouchement se passait très bien, mais le gynécologue a tenu à en faire une. J'ai protesté, ça n'a rien changé.
Anaà franceinfo
Certaines femmes, comme Caroline, n'ont même pas été mises au courant de ce qu'on leur faisait : "J'ai appris que j'avais eu une épisiotomie après l'avoir vécue, en faisant une recherche sur internet... On ne m'a pas expliqué ce que je devais faire avec la cicatrice, si je pouvais la nettoyer ou pas, par exemple."
Mylène, elle, était sereine lorsqu'elle s'est rendue à son rendez-vous gynécologique du neuvième mois. Elle ne devait pas accoucher avant trois semaines, et s'attendait à un contrôle de routine.
Au moment de vérifier l'état de mon col de l'utérus, le gynécologue a enfoncé sa main jusqu'au poignet, et appuyé de toutes ses forces. Je n'ai jamais eu aussi mal de ma vie.
Mylèneà franceinfo
Sans qu'on l'ait prévenue, ni qu'on lui ait demandé son avis, Mylène a subi de la part de son gynécologue un "décollement des membranes", une pratique qui vise à accélérer le déclenchement de l'accouchement.
Myriam, elle, a subi une pratique semblable au moment de l'accouchement. "J'ai refusé certains actes. La gynécologue a fini par obliger les sages-femmes à me maintenir de force sur la table pour mettre les mains dans mon vagin et forcer l'ouverture du col, pendant que je lui hurlais de sortir ses mains et que je me débattais", se souvient-elle.
Maltraitances psychologiques
Outre les violences physiques, d'autres femmes racontent également avoir été victimes de maltraitances psychologiques de la part des équipes d'accouchement. "La gynécologue et la sage-femme ne m'adressaient même pas la parole pendant mon propre accouchement, se souvient par exemple Céline. Je poussais, mais personne ne me disait où en était mon bébé, et au bout de trente minutes, je me suis mise à sangloter et à les supplier de me laisser rentrer chez moi. La gynécologue m'a copieusement engueulée pour que je me calme."
Mika, une autre jeune maman, a subi une césarienne. Elle demande une anesthésie générale, qui lui est refusée. Son insensibilisation échoue : "J'ai eu une césarienne à vif. Je n'arrivais plus à respirer, je pleurais, les machines ont commencé à sonner de partout… L'anesthésiste, à qui je répétais entre deux sanglots que j'avais mal, a fini par me dire de me calmer, parce que c'était 'dans la tête'…"
Chantage moral
Aucune de ces femmes n'a porté plainte ni écrit à l'ordre des médecins. "J'ai commencé une lettre, puis j'ai abandonné", explique Mylène. De son côté, Caroline, qui a subi une épisiotomie non désirée au mois de mars, n'a quant à elle jamais osé consulter un médecin depuis, par honte et peur qu'on ne la juge.
Martin Winckler n'est pas étonné : "Beaucoup de femmes sont découragées de se plaindre d'un geste imposé par des déclarations du type : 'Votre enfant va bien, et vous aussi, alors ne vous plaignez pas.' Il s'agit là d'une culpabilisation et d'un chantage moral tout à fait inacceptable."
C'est aussi le cas d'Ana, dont le mari et les parents ont refusé de comprendre le désarroi. "Après un accouchement, c'est à la femme de dire si tout va bien, pas à l'obstétricien", rappelle pourtant Martin Winckler. "En France, l'accouchement est un tabou. Les gens sont peu informés, c'est compliqué de critiquer la manière dont ça se passe", complète Marie-Hélène Lahaye. Cette juriste a créé un blog, Marie accouche là. "Personne ne se préoccupe de la souffrance des femmes, ni n'ose remettre la responsabilité des médecins en question."
Des médecins peu formés à l'écoute des patientes
La culpabilité du personnel est difficile à établir, et tous les établissements ne fonctionnent pas de la même manière. Mathilde Delespine est sage-femme. Elle s'implique depuis des années dans la prévention contre les violences faites aux femmes. "Dans l'une de mes structures, on préconise de considérer les femmes comme co-expertes de leur accouchement. Cela implique de ne pas prendre de décision à leur place, et qu'elles puissent agir de manière libre et éclairée." Exit par exemple l'épisiotomie imposée.
Le jour de l'accouchement d'Ana, une sage-femme s'est écroulée dans le couloir de l'hôpital, en larmes. "On travaille dans des conditions extrêmement difficiles", raconte Mathilde Delespine.
On est pressé comme des citrons, on a l'obligation d’enchaîner les accouchements. C'est difficile d'avoir de la patience et de l'empathie quand on court partout.
Mathilde Delespine, sage-femmeà franceinfo
Une autre sage-femme, qui tient à rester anonyme, acquiesce. "Un jour, je me suis mise à hurler sur une patiente. Je n'avais pas dormi depuis deux jours, et il fallait se dépêcher car nous étions surbookés. J'ai dû arrêter de travailler à la suite de cet épisode, j'étais en burn-out."
Les gynécologues et les médecins, à l'inverse des sages-femmes, ne sont pas formés à l'écoute des patientes. "Il n'y a pas d'enseignement général à ces questions, en France. Ceux qui sont formés s'y sont formés de leur propre initiative", relève Martin Winckler. Les pratiques autoritaires sont aussi transmises par les médecins à leurs stagiaires. "Quand j'étais en formation, on m'a dit : 'Tu es trop gentille, tu dois être plus autoritaire'", se souvient Mathilde Delespine. Mais peu à peu, les choses évoluent dans le bon sens. Comme dans les universités de Grenoble-Alpes et de Paris-Descartes par exemple, où les étudiants suivent désormais une formation à l'intitulé explicite : "prise en charge des maltraitances rencontrées en gynécologie obstétrique".
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