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"Je suis tombée enceinte quatre fois sous pilule" : l'angoisse des femmes dites "hyperfertiles"

C'est un problème méconnu mais qui, pour celles qui y ont été confrontées, peut être un véritable cauchemar. Franceinfo a recueilli la parole de plusieurs femmes qui sont tombées enceintes tout en ayant recours à un moyen de contraception.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Photo d'illustration d'une femme enceinte. (IAN HOOTON/SCIENCE PHOTO LIBRARY / IHO)

Faire un enfant en claquant des doigts : un rêve pour des dizaines de milliers de femmes infertiles recourant chaque année à la procréation médicalement assistée (PMA). Mais pour d'autres, c'est une angoisse permanente. Car malgré la fiabilité de la pilule et du stérilet, certaines femmes tombent quand même enceintes.

Pour elles, le problème peut se révéler particulièrement stressant et anxiogène : "C'est l'enfer : dès qu’on a une relation sexuelle, on a une peur bleue de se retrouver avec un test positif quelques jours plus tard", confie Anna*, qui a connu cette situation à quatre reprises. De nombreuses femmes dans cette situation se demandent comment une grossesse sous contraception est possible. Beaucoup, comme Anna, se décrivent comme "hyperfertiles". Un terme toutefois rejeté par les professionnels de santé, qui pointent plutôt des moyens de contraception inefficients.

"Je me suis effondrée en pleurs dans les bras de mon mari"

A 30 ans, Anna est tombée enceinte quatre fois sous pilule. Elle décrit des moments très durs : "Six mois après la naissance de ma première fille, je suis retombée enceinte alors que j'étais sous pilule d'allaitement ! En l'apprenant, je me suis effondrée en pleurs dans les bras de mon mari", confie-t-elle à franceinfo. Cette assistante maternelle est alors âgée de 26 ans. Elle avait déjà été trois fois enceinte auparavant alors qu'elle assure n'avoir jamais oublié de prendre sa pilule.

Julie, animatrice socio-culturelle, est tombée enceinte deux fois, elle aussi sous pilule. Comme Anna, cette trentenaire soutient n'avoir jamais manqué un cachet. "J'avais 19 ans la première fois. J'étais en larmes quand je l'ai appris : ç'a été très dur, je me sentais vraiment seule. Je ne connaissais mon copain que depuis une semaine, j'avais des soucis de famille...", se rappelle-t-elle. A l'époque, la jeune femme subit un avortement médicamenteux, qu'elle a mal vécu. Elle a aujourd'hui deux enfants. La première est arrivée sans prévenir alors qu'elle "faisait hyper attention" et qu'elle prenait sa pilule "à la minute près" : "Je venais de décrocher un CDI et, avec mon conjoint, on emménageait tout juste dans notre maison donc on voulait attendre, se laisser au moins deux ans avant d'avoir un enfant." 

La surprise est à la hauteur de la solitude que peuvent ressentir ces femmes face à la découverte de leur grossesse inattendue. Difficile de parler de ce sujet avec ses proches comme avec les médecins qui ont parfois tendance à les tenir responsables de l'échec de leur contraception. Car, pour couronner le tout, le gynécologue de Julie a eu du mal à la prendre au sérieux.

Quand je suis tombée enceinte sous pilule, il m'a rentré dans la tête que je l'avais forcément oubliée.

Julie

à franceinfo

Annie Sirven, sage-femme, témoigne : "J’ai connu des femmes enceintes sous n’importe quelle contraception, assure cette formatrice spécialisée sur les questions de contraception interrogée par franceinfo. Les gynécos qui disent que c’est très rare de tomber enceinte sous contraceptif mentent ! C’est parce qu’ils n’ont pas envie de passer des heures en consultation à discuter de ça avec leur patiente."

Des cas plutôt rares, mais évitables

Tomber enceinte sous contraceptif reste heureusement assez peu répandu. C'est ce que confirme l'indice de Pearl, établi par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Il mesure l'efficacité des moyens de contraception. En tête du classement figure l'implant, suivi par le stérilet au lévonorgestrel, c'est-à-dire le stérilet hormonal : fiable, d'après cet indice, à 99,8%. Juste derrière arrivent à égalité la pilule œstroprogestative et la pilule progestative avec 99,7% de fiabilité. Le stérilet au cuivre serait de son côté, sûr à 99,4%. Mais il s'agit là de l'indice théorique. "En pratique, l'indice n'est pas si bon que ça", constate Annie Sirven. S'il est quasiment identique pour les stérilets, l'indice pratique tombe à 92% de fiabilité pour les pilules. 

Olivier Chevallier, gynécologue obstétricien à Paris, avance une piste d'explication pour la pilule contraceptive. "On se met dans la situation où la femme est certaine de ne pas avoir oublié sa pilule. Son efficacité est de 24 heures. Pendant cette durée, les mécanismes hormonaux sont bloqués, détaille-t-il. Mais chez certaines femmes, il peut y avoir une facilité de ces mécanismes hormonaux à repartir aussitôt après un simple retard de pilule."

Quelques heures de décalage peuvent suffire. Ces femmes métabolisent plus rapidement les hormones de la pilule. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elles sont hyperfertiles.

Olivier Chevallier, gynécologue obstétricien

à franceinfo

Martin Winckler, médecin généraliste et auteur de Choisir sa contraception (Fleurus), insiste sur deux principes majeurs à mettre en œuvre pour minimiser les risques de grossesse sous pilule : "Contrairement à ce que font beaucoup de médecins, il faut éviter de prescrire une pilule microdosée avant 30 ans car plus une femme est jeune, plus elle est fertile. Ces pilules sont donc plus susceptibles de ne pas être efficaces chez elles." Pour lui, "si une femme tombe enceinte sous pilule microdosée, il est impératif de lui en donner une plus forte".

Pour les pilules à 21 comprimés, il conseille également de prendre les plaquettes en continu ou de ne les arrêter que quatre jours au lieu de sept afin d'en augmenter l'efficacité. "Les arrêts de pilule de sept jours permettent à l'hypophyse de se réveiller et il suffit d'une journée de retard dans la reprise pour réduire drastiquement son efficacité", détaille-t-il. Les praticiens interrogés insistent aussi sur le rôle des inducteurs enzymatiques. Il s'agit le plus souvent de médicaments (liste disponible ici) qui vont stimuler le foie et dégrader plus rapidement les hormones de la pilule. Mais d'autres substances comme l'alcool, le tabac, le chou ou encore certains produits de phytothérapie peuvent aussi avoir un effet néfaste.

"J'étais sous stérilet au cuivre, mais il a migré"

Plus rare, des femmes portant un dispositif intra-utérin (DIU), ou stérilet, tombent aussi parfois enceintes. A l'image de Frédérique, qui attend actuellement son quatrième enfant, une petite fille. Une surprise de taille pour cette maman de 38 ans : "J'étais sous stérilet au cuivre mais il a migré."

C'est vraiment rare d'après mon gynéco même si, en en parlant autour de moi, j'ai l'impression que c'est arrivé à pas mal de monde.

Frédérique

à franceinfo

Elle avait d'ailleurs déjà eu son troisième enfant alors qu'elle était sous pilule microdosée. Pour le couple, qui souhaitait avoir trois enfants, l'arrivée de ce petit nouveau était une bonne nouvelle. Pour le quatrième en revanche, ce fut "une très très grosse surprise. J'allais justement reprendre le travail. On commençait tout juste à s'organiser pour que le petit dernier rentre à l'école." 

Sandrine aussi est tombée enceinte de son troisième enfant sous stérilet au cuivre. Mais, pour elle, impossible de le garder : "L'aînée avait 4 ans, le deuxième 2 ans. J'étais en reconversion professionnelle après un licenciement : je ne me voyais absolument pas avoir un autre enfant à ce moment-là de ma vie. J'ai choisi de recourir à l'avortement et je ne le regrette absolument pas."

Martin Winckler écarte la thèse de l'hyperfertilité et avance plusieurs explications à l'échec potentiel de ce contraceptif : "Il est impératif que la pose se déroule dans de bonnes conditions et sans douleur car plus la femme a mal au moment où on le lui met, plus elle va avoir de contractions et potentiellement rejeter le stérilet. Cela vaut également tout au long de sa vie : si ses règles sont trop douloureuses, l'utérus va se contracter et aura plus de chances d'expulser le stérilet." Dans ce cas-là, le docteur Winckler recommande de prendre un anti-inflammatoire pour diminuer les contractions.

Le spécialiste explique aussi que l'utérus n'est pas une zone homogène et que les ions de cuivre peuvent ne pas diffuser par endroits : si les spermatozoïdes passent par là, il pourra donc y avoir une grossesse. Mais là-dessus, il est impossible d'agir : c'est une question de chance... ou de malchance. 

"Mon employeur ne m'a pas crue"

Des explications scientifiques qui n'évitent parfois pas le manque de bienveillance de la part des proches voire, pire, les accusations de mensonge. Pour Anna, ce sujet reste d'ailleurs tabou : "Mon entourage ne connaît pas ma situation. Dans ma famille, on sait juste que j’ai eu deux enfants, affirme celle qui a avorté trois fois. J’ai trop peur d’entendre le même discours que les médecins, culpabilisateurs et parfois très désagréables." Frédérique aussi évite d'aborder le sujet. "J’essaye de faire attention aux personnes avec qui je parle car, autour de moi, certains ont du mal à avoir des enfants", explique-t-elle. 

Julie, elle, a misé sur la franchise. Mais "aucun de mes amis ne me croyait quand je disais que j'étais tombée enceinte de ma deuxième fille sous pilule", rapporte-t-elle. La réaction est encore pire à son travail : "Ma cheffe l'a très bien pris, mais mon patron beaucoup moins. Il disait que je me foutais d'eux, que comme par hasard je tombais enceinte au moment de l'annonce de mon CDI, que tout ça était prévu depuis longtemps..."  

L'alternative (compliquée) de la ligature des trompes  

Au-delà des jugements blessants, cette angoisse de tomber enceinte nuit à la vie sexuelle de certaines d'entre elles. Comme Anna qui, à seulement 30 ans, souhaite se faire ligaturer les trompes : une solution de stérilisation irréversible.

Comme la majorité des gynécologues, son praticien ne veut pas prendre le risque de réaliser cette intervention avant le seuil symbolique des 40 ans. Olivier Chevallier justifie : "Cette solution a un grand avantage : une fois qu’elle est faite, elle débarrasse la femme de son souci contraceptif. Mais elle nécessite quand même d’avoir du recul, de la maturité et d'avoir en partie fait sa vie en matière de procréation." Annie Sirven regrette ce blocage de certains médecins.

En France, depuis 2001, la loi autorise la ligature des trompes dès 18 ans. Je ne vois pas pourquoi elle n'est pas appliquée

Annie Sirven, sage-femme

à franceinfo

Elle trouve particulièrement regrettable le faible recours à la vasectomie, une stérilisation chirurgicale masculine pratiquée par moins de 1% des hommes en France (contre environ 10% en Europe ou aux Etats-Unis). "C'est fait en un quart d'heure, il n'y a besoin que d'une anesthésie locale, c'est vraiment hyper facile à réaliser. Pourtant, il n'y a que très peu d'hommes qui se font stériliser. Ce n'est vraiment pas dans la culture française : les médecins hommes traînent des pieds pour la pratiquer." Une opération néanmoins radicale car quasi irréversible et bien seule face au peu d'alternatives proposées aux hommes pour partager cette responsabilité encore largement féminine.

* Les prénoms ont été modifiés

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