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Vasectomie, slip chauffant, pilule... Pourquoi la contraception masculine n'excite pas les hommes

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Illustration d'une pilule contraceptive pour les hommes.  (B. BOISSONNET / BSIP / AFP)

Cinquante ans après la légalisation de la pilule, les méthodes de contraception masculine continuent d'émerger. Préservatif mis à part, elles peinent toutefois à réellement décoller.

Pierre Colin garde un souvenir précis de ces "groupes de parole" masculins, organisés pour discuter de leur corps, de leur fertilité et de leur rapport à la paternité. Il y avait, se souvient le septuagénaire, une nette "volonté d'assumer aussi la contraception". Venus des milieux féministes "et d'autres horizons", ces hommes "trouvaient tout naturel" d'avoir, eux aussi, leur pilule quotidienne. 

Ces réunions, pionnières en France, ont eu lieu dans le courant des années 1970, relate Pierre Colin. Le co-fondateur de l'Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom) est l'un des premiers, en 1978, à avoir testé une "pilule pour hommes" dans le pays. Ce médicament "bloquait la production de testostérone" et un gel s'appliquant sur la peau permettait d'y relever le niveau de l'hormone. A l'époque, les recherches entourant la contraception masculine allaient bon train. Gregory Pincus, co-inventeur de la pilule contraceptive, "testait la même approche hormonale sur les hommes dès 1957", rappelle le Guardian (en anglais).

Pourquoi, plusieurs décennies plus tard et alors que diverses méthodes existent, la contraception masculine, hors préservatif, reste si marginale par rapport à la contraception féminine ? A l'heure du cinquantième anniversaire de la promulgation de la loi Neuwirth, qui légalisa la pilule en France, franceinfo revient sur les méthodes de contraception masculine existantes et émergentes... et sur les blocages qui les entourent. 

La vasectomie, une pratique peu réversible qui fait encore peur

C'est une méthode autorisée et pratiquée depuis 2001. Elle reste pourtant encore largement méconnue et est souvent redoutée des hommes. Moins de 1% des Français ont recours à la vasectomie comme moyen de contraception, relève Pierre Colin. Cette "stérilisation à visée contraceptive (...) consiste à couper ou obturer les canaux déférents", à travers une légère incision de la peau des testicules, précise la Haute Autorité de santé (HAS). Réalisée en ambulatoire et généralement sous anesthésie locale, cette opération permet, à l'issue de 8 à 16 semaines, de bloquer l'arrivée des spermatozoïdes vers le pénis. 

Ce moyen de contraception est en principe simple et accessible, et une opération restauratrice reste "possible" même si son résultat est "aléatoire", relève la HAS. Pourtant, de nombreux hommes ignorent ou rejettent encore cette méthode. Nikos Kalampalikis, professeur de psychologie sociale à l'université Lyon II, a mené avec Fabrice Buschini une enquête sur les représentations d'hommes et de femmes autour de la contraception masculine. "On nous parlait de préservatif, pas de vasectomie", raconte le chercheur, décrivant des personnes interrogées "très peu au fait" du sujet. Au déficit d'informations s'ajoute une peur encore latente de l'opération. 

Les hommes ont peur de perdre leur virilité, de ne plus avoir d'érection, alors que la vasectomie ne change rien de tout cela.

Pierre Colin, co-fondateur de l'Ardecom

à franceinfo

Selon les estimations de l'Ardecom et du site vasectomy-information.com, environ 10% des hommes ont recours à la vasectomie en Europe et aux Etats-Unis, près de 20% au Royaume-Uni. Pourquoi si peu dans l'Hexagone ? "Les médecins ont été formatés pour proposer une contraception aux femmes, sans s'interroger sur la contraception masculine, assure Pierre Colin. Beaucoup de médecins parlent encore de vasectomie comme d'une castration."

En conséquence, certains refusent ouvertement de pratiquer l'opération. Des hommes souhaitant y avoir recours consultent parfois cinq, voire 10 urologues avant de pouvoir être opérés, constate Slate. Sans compter le délai de réflexion de quatre mois entre une première consultation et la réalisation de la vasectomie. "Un gamin de 19 ans est venu nous voir pour une ligature des canaux déférents", se souvient Didier Legeais, président du syndicat national des chirurgiens urologues français. "Nous l'avons refusé, tranche-t-il. Il y a beaucoup d'échecs chirurgicaux, et cela peut être quasiment irréversible." 

Nous avons une culture, chez les médecins, d'une vasectomie vue comme une mutilation. Nos pères urologues ne nous l'ont jamais enseignée. C'était interdit !

Didier Legeais, président du syndicat national des chirurgiens urologues français

à franceinfo

La contraception hormonale, une affaire de femmes

Au cours de ses recherches, Nikos Kalampalikis a constaté que les contraceptions pour les hommes, notamment la contraception hormonale, n'étaient "pas considérées comme des méthodes de contraception sérieuses". Pourtant, cette dernière existe en France depuis près de quarante ans. Cette "pilule pour hommes" prend aujourd'hui la forme d'une injection hebdomadaire d'énanthate de testostérone dans les muscles, détaille l'Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine. Mais en près d'un demi-siècle, la méthode est très loin de s'être démocratisée. A l'heure actuelle, peu de médecins la prescrivent en France, selon l'Ardecom : le docteur Jean-Claude Soufir, à l'hôpital Cochin de Paris, le docteur Roger Mieusset, à Toulouse (Haute-Garonne) ainsi que le Planning familial de Paris. 

Pourquoi si peu ? Bon nombre de professionnels doutent encore de l'efficacité de cette méthode. "En tant qu'urologue, je ne parle pas à mes patients des contraceptions hormonales", reconnaît Didier Legeais. "Leur résultat est très aléatoire", martèle-t-il, pointant également de potentiels lourds effets secondaires, tels que des problèmes cardiovasculaires. 

Jusqu'à preuve du contraire, il n'y a pas une pilule pour les hommes qui soit accessible, microdosée et réversible comme celle des femmes.

Didier Legeais, président du syndicat national des chirurgiens urologues français

à franceinfo

Cette contraception hormonale semble encore limitée. Comme le précisent Jean-Claude Soufir et Roger Mieusset dans un guide publié 2012, ce traitement ne peut être pris que pendant dix-huit mois et son efficacité n'est pas immédiate. Elle intervient généralement "entre un et trois mois de traitement", selon les spécialistes. Et les contre-indications sont nombreuses : des hommes de plus de 45 ans, ayant des antécédents de maladies cardiaques, respiratoires ou rénales, souffrant d'obésité ou d'acné, n'ont toujours pas accès à ces injections. Quant aux effets secondaires, ils sont "bien identifiés", assurent les docteurs Soufir et Mieusset dans leur guide. De l'apparition d'acné à une prise de poids, en passant par les risques d'hypertension ou d'agressivité, ces conséquences restent, elles aussi, multiples.

"Le corps de l'homme n'est pas fait pour recevoir des hormones, explique Didier Legeais. La contraception, c'est la femme qui la porte, elle le revendique, car c'est elle qui en paye les conséquences." Ainsi, si 53% des hommes de 18 à 24 ans se disent prêts à prendre la pilule, selon un sondage CSA réalisé en 2012, une majorité de femmes du même âge (56%) refusent de "laisser la responsabilité de la contraception" à leurs partenaires. Pour ces jeunes femmes, les différentes méthodes de contraception féminine restent un acquis — et une liberté précieuse — malgré les contraintes qu'elles entraînent. 

Le slip chauffant, une efficacité discutée

Depuis l'hôpital Paule de Viguier, à Toulouse, le docteur Roger Mieusset prescrit une méthode bien différente que seule une poignée d'hommes utilisent en France, selon LCI. Il s'agit de la contraception masculine thermique, mieux connue sous le nom de "slip chauffant". Ce moyen est apparu au début des années 1980, rapporte le sociologue Cyril Desjeux, dans un article sur l'histoire de la contraception masculine. Plus de trente ans plus tard, Roger Mieusset reste le seul à proposer cette méthode contraceptive.

Elle est pourtant une alternative possible, pour un homme souhaitant prendre sa contraception en main, sans avoir recours aux injections d'hormones ou à la vasectomie. Comment ça marche ? Le "slip chauffant" maintient les testicules dans une position "remontée", "du scrotum à la racine de la verge", explique le docteur Mieusset  dans son guide. Avec cette action, la température des testicules augmente en moyenne de 2°C, ce qui freine la production et la concentration des spermatozoïdes. Ce "slip chauffant" doit être porté chaque jour pendant quinze heures pour être efficace, ce qui n'intervient qu'après deux à quatre mois de traitement. Et afin de rester une méthode réversible, il ne peut pas être porté plus de quatre ans, précise Roger Mieusset.

L'urologue Didier Legeais sourit à l'évocation de ce moyen de contraception. "On doit le porter tout le temps, et ce n'est pas fiable", réagit-il. Son utilisation reste minime, mais son "efficacité contraceptive" a été "établie", répond Roger Mieusset dans son guide. Une seule grossesse est survenue lors d'une étude qu'il a lui-même menée portant sur neuf couples utilisant le "slip chauffant", et réalisée sur 159 cycles menstruels. Cette grossesse était directement liée à l'arrêt du port du slip pendant près de deux mois. 

Un slip 15 heures par jour, ce n'est pas une contrainte énorme. L'argument de la contrainte n'en est pas un. Oui, le jour où on aura un patch, on arrivera à quelque chose. Mais il faut que les laboratoires s'y mettent.

Pierre Colin, co-fondateur de l'Ardecom

à franceinfo

"Pilule des draps propres", Vasalgel... plusieurs pistes encore au stade de la recherche

Face au poids des contraintes, des effets secondaires et des réticences médicales comme sociétales, les scientifiques poursuivent leurs recherches de meilleurs contraceptifs masculins. Le 15 mai, la prestigieuse université de Berkeley en Californie (Etats-Unis) a annoncé (en anglais) que des composés extraits de deux plantes étaient capables d'empêcher l'hyperactivation dans le sperme, et ainsi de bloquer la fertilisation d'un ovule par un spermatozoïde. Ils pourraient même servir de contraception d'urgence, en patch ou en anneau vaginal, avant ou après un rapport sexuel.

Mais, selon plusieurs spécialistes, la recherche la plus aboutie à ce stade serait le Vasalgel, une invention elle aussi américaine. Ce gel sans hormones peut être injecté dans le canal déférent, et bloquer, telle la vasectomie, le passage des spermatozoïdes vers le pénis. Cette méthode ne nécessite pas d'incision et est présenté comme étant "moins irréversible" que la vasectomie, selon la fondation américaine Parsemus, à l'origine du projet. A ce stade, l'organisation a déjà réalisé des essais concluants sur des lapins et des singes. La prochaine étape sera un essai clinique auprès d'une trentaine d'hommes, selon le Guardian (en anglais), annoncé pour 2018. Mais seulement comme alternative à la vasectomie, sans tester la reversibilité.

Nous nous attendions à ne plus avoir d'argent l'année dernière. Nous en avons encore. Mais cet essai clinique va coûter 500 000 dollars.

Elaine Lissner, fondatrice de la Fondation Parsemus

au "Guardian", en 2016

Le manque d'investissements est désormais le principal obstacle aux recherches pourtant foisonnantes en matière de contraception. Nnaemeka Amobi, chercheur au King's College de Londres (Royaume-Uni), a développé une méthode contraceptive non-hormonale pour les hommes, efficace dès les premières heures. Ce médicament, surnommé "pilule des draps propres" (en anglais), permet de bloquer l'éjaculation sans affecter l'orgasme d'un homme. Un autre projet pour la Fondation Parsemus, qu'elle n'a toutefois pas pu financer. The Guardian raconte qu'Elaine Lissner a dû choisir entre cette méthode et un autre projet contraceptif, faute d'argent. 

Et en France ? Ici aussi, les ébauches d'une "pilule pour hommes" se développent. Au sein du Centre de recherche en cancérologie de Marseille (CRCM), l'équipe de Michel Aurrand-Lions a découvert que lorsque deux protéines, JAM-C et GRASP-55, étaient déficientes et que des molécules chimiques empêchaient leur interaction, cela bloquait la maturation des spermatozoïdes. Une nouvelle voie vers une pilule masculine ? "Moi j'y crois, lance Michel Aurrand-Lions. Mais nous devrons nous assurer de l'absence absolue d'effets secondaires." 

Capter l'intérêt des entreprises pharmaceutiques sera le défi suivant. "Ce n'est pas très rentable pour des laboratoires de se lancer dans la recherche ou la production" d'un contraceptif masculin, "en raison d'une faible demande", reconnaît Lydie Porée, présidente du Planning familial en Ille-et-Vilaine. "Mais on sent que quelque chose émerge. Il y a chez les femmes une lassitude, la volonté de partager la contraception. Et du côté des hommes, la nécessité de mettre la main à la pâte." 

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