Glyphosate : l’étude indépendante qui bouscule les idées reçues ?
L’étude AHS est-elle sérieuse ?
Mi-novembre, une très vaste étude de suivi de population agricole (étude AHS), uniquement financée par des fonds publics, a été publiée dans le très sérieux Journal of the National Cancer Institute. Son objet : évaluer si les agriculteurs utilisateurs du glyphosate ont un sur-risque de cancer par rapport aux non-utilisateurs. Ses résultats étaient attendus de longue date, à plus d’un titre.
Les auteurs sont des spécialistes reconnus de l’épidémiologie des cancers, qui ont déjà travaillé sur les risques associés à différents pesticides et herbicides – et dont les travaux ont mis récemment en avant des sur-risques de cancer en lien avec l’utilisation de plusieurs d’entre eux. Le financement des recherches est public, et aucun des auteurs ne déclare de conflits d’intérêt.
L’étude porte sur le suivi, sur plus de 20 ans, de 54.251 agriculteurs. Parmi eux, 9.319 n’ont jamais utilisé de traitements incorporant du glyphosate. Le niveau d’exposition des 44.932 utilisateurs a été évalué, afin de pouvoir également comparer les éventuels effets de faibles doses de glyphosate par rapport à de plus fortes doses. À l’issu de la période d’étude, le taux de cancer (tous types confondus) dans les différents groupes a été comparé. Résultat : aucune différence.
22 types de cancers étudiés
L’analyse est allée plus loin, en cherchant à statuer quant à l’existence d’un risque pour 22 types de cancers. Là encore, aucun effet significatif – protecteur ou promoteur de cancer – n’a pu être identifié.
Si l’ensemble des fluctuations observées s’expliquent sans postuler un effet cancérogène du glyphosate, les auteurs notent une fluctuation plus marquée dans le cas de la leucémie myéloïde chronique –pathologie qui n’avait jusqu’à présent jamais été associée à l’usage de cet herbicide. Autrement dit, une absence d’effet du glyphosate reste tout à fait vraisemblable au regard des données, mais les chercheurs appellent à confirmer ce point par des travaux spécifiquement ciblés sur cette pathologie.
Contrairement à de nombreuses études qui alimentent le débat sur son éventuelle dangerosité, cette recherche concerne une très vaste cohorte d’être humains directement exposés à des doses importantes de substance incriminée (dans des formulations commerciales), sur le long terme.
Ces données ne permettent pas de conclure que le glyphosate n’a aucun potentiel cancérogène, mais suggèrent fortement que si cet effet existe, il est très faible à une exposition à hautes doses.
Cette étude rebat-elle les cartes de la controverse autour du glyphosate ?
En sciences, une étude doit être toujours être mise en perspective avec les autres travaux disponibles. Plus sa méthodologie est rigoureuse, plus ses observations sont proches de conditions réelles, et plus le nombre de sujets observé étudié est important, plus elle pèse dans le débat.
Pour beaucoup de citoyens, d’hommes politiques ou de journalistes, l’affaire est entendue de longue date : "l’OMS a classé le glyphosate comme cancérigène". Ce raccourci est trompeur. Ces dernières décennies, plusieurs entités programmes de l’OMS se sont penché sur le cas du glyphosate (JMPR, IPCS, programme pour la sécurité des eaux potables), qui ont conclu à l’absence de génotoxicité ou de risque pour l’homme de cette substance. Une seule entité dépendante de l’OMS, l’agence intergouvernementale de recherche sur le cancer (CIRC), a classé cet herbicide comme "cancérigène probable", aux côtés de nombreux autres produits.
Quantifier le risque aux niveaux d’exposition courants
Pourquoi cette différence ? Et que signifie ce classement ? Tout d’abord, les travaux du CIRC s’intéressent à la dangerosité absolue de la substance, et ne disent rien des doses à partir desquelles le phénomène soupçonné pourrait survenir (raison pour laquelle on trouve, dans ce classement du CIRC, des substances telles que la viande rouge, l’acrylamide ou le "maté brûlant"). Ici, des travaux in vitro, in vivo chez l’animal, et des études sur l’homme, ont amené le CIRC à exprimer sa méfiance.
L’avis du CIRC possède un poids particulier, car il ne se fonde que sur les études publiées dans la littérature scientifique, et donc soumises aux critiques de la communauté des chercheurs (le CIRC n’accepte pas de prendre en compte les travaux "à paraître"). D’autres agences incluent dans leur analyse des recherches menées par les industriels, non-divulguées au grand public pour des raisons de confidentialité. Par ailleurs le CIRC s’est essentiellement intéressé aux dangers des produits intégrant le glyphosate, et non le glyphosate seul. Là encore, la nuance est importante, car le glyphosate pourrait être sans effet isolément, mais révéler sa dangerosité en interaction avec d’autres substances. À moins que la génotoxicité suspectée ne soit imputable qu’à ces substances tierces ?
Au-delà de l’OMS, de nombreuses agences publiques (Europe, France, États-Unis, Australie, Japon…) se sont penché sur les dangers du glyphosate, concluant à l’absence de risque cancérigène pour l’homme. Dans ces rapports, le glyphosate est essentiellement considéré isolément.
Le débat est loin d’être clos
Des doutes ont récemment été soulevés sur l’objectivité de certaines publications scientifiques prises en compte dans les expertises des diverses des agences. Dans plusieurs cas, des contributeurs affiliés à l’industrie agrochimique apparaissent avoir volontairement retiré leur nom des études afin que celles-ci semblent "dénuées de conflit d’intérêt" (affaire dite des Monsanto Papers).
Les études épidémiologiques d’envergure permettent de déterminer si une substance a un effet mesurable sur l’organisme, aux doses auxquelles les humains sont exposés, dans les conditions réelles d’utilisation. L’étude publiée mi-novembre dans le dans le très Journal of the National Cancer Institute constitue est donc d’un poids tout particulier dans le débat actuel sur l’interdiction du glyphosate à l’échelle européenne. Elle est toutefois loin de clore le débat scientifique, ni la controverse politique, autour de cette substance.
L’absence de risque cancérigène pour l’homme ne serait, en effet, pas le seul critère à prendre en compte pour justifier l’utilisation du célèbre herbicide. Son effet sur la faune, sur les nappes phréatiques, sur la biodiversité locale, son efficacité, la question de l’émergence de bio-résistances, sont autant de paramètres à prendre en compte pour décider s’il faut bannir, ou non, le glyphosate de nos champs.
La rédaction d’Allodocteurs.fr
Étude : G. Andreotti et al. Glyphosate Use and Cancer Incidence in the Agricultural Health Study, Journal of the National Cancer Institute, 9 novembre 2017. doi: 10.1093/jnci/djx233
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