En Seine-Saint-Denis, des maisons de santé pour pallier le manque de médecins
Le département est le plus pauvre de France en généralistes. Face à cette situation, plusieurs mairies ont misé sur les maisons de santé regroupant plusieurs praticiens, afin de maintenir leur offre de soins.
"C'est bien ici, le médecin ? Je n'étais pas sûre. Vu de l'extérieur, ça reste un château..." A Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), certains patients sont un peu déboussolés par l'aspect extérieur de leur toute nouvelle maison de santé pluridisciplinaire. Il faut dire qu'on est loin de l'image de la clinique habituelle : si le mobilier est moderne et les peintures fraîches, le grand escalier en bois et les balcons du château de la Terrasse sont d'une toute autre époque.
La maison pluridisciplinaire, qui regroupe vingt professionnels de santé libéraux (généralistes, spécialistes, dentiste, infirmiers...), a ouvert le 13 octobre dans cet édifice de 700m2 entièrement restauré. "Nous avions un projet croisé : réhabiliter ce lieu emblématique de Clichy-sous-Bois, laissé à l'abandon après un incendie, tout en améliorant l'offre de soins dans la ville, particulièrement touchée par le manque de médecins", explique le maire PS Olivier Klein.
Difficile de remplacer les professionnels qui partent à la retraite
Comme d'autres communes de Seine-Saint-Denis, la ville de 30 000 habitants souffre depuis plusieurs années de la désertification médicale. Le département connaît en effet la plus faible densité de généralistes de l'Hexagone : 58 praticiens pour 100 000 habitants, selon des chiffres de la Caisse nationale de l'assurance-maladie rapportés par le JDD.
"Nous avions des difficultés à trouver des successeurs aux médecins partant à la retraite. Ce fut mon cas en tant que pédiatre, explique l'ancien maire de Clichy-sous-Bois et actuel sénateur PS de Seine-Saint-Denis, Claude Dilain. Alors, nous avons décidé, avec le soutien de l'association Regroupement - Implantation - Redéploiement, de rassembler des professionnels de la santé dans un même lieu." Un lieu que la ville a rénové avant de le louer aux professionnels participants.
Deux nouvelles maisons de santé dans le département
A Drancy aussi, on a fait le pari de la maison de santé pluridisciplinaire pour rééquilibrer l'offre de soins. Le docteur Gérard Aoustin, ancien généraliste et actuel directeur santé de la ville, est à l'origine de l'initiative. En ce lundi 13 octobre, il fait visiter les lieux à un couple de kinésithérapeutes intéressés par le projet. "L'accueil se trouvera ici, et les cabinets des infirmiers au fond du couloir, explique le médecin aux cheveux blancs, tout sourire. Il faut un peu d'imagination bien sûr, les installations ne sont pas terminées."
Seule l'imagerie médicale, au rez-de-chaussée, a ouvert ses portes. Au deuxième, les futurs bureaux des quatre généralistes et des spécialistes sont vides. Tout comme les salles d'attente. "La maison de santé va bientôt brasser beaucoup de patientèle, promet Gérard Aoustin. Ce n'est pas évident de faire travailler des professionnels de santé ensemble, mais beaucoup se sont intéressés à ce projet."
"Travailler seul ou à deux est devenu obsolète"
Car la médecine libérale évolue. En cause : les journées interminables, l'absence de congé maternité pour les femmes, pourtant majoritaires à la sortie de la faculté, le manque de sécurité, parfois, dans un département souvent perçu comme dangereux, y compris pour les médecins. La formation en équipe dans les hôpitaux, enfin, n'incite pas les praticiens à ouvrir leur cabinet à la fin de leurs études. "Travailler seul ou à deux est devenu obsolète", estime le sénateur de Seine-Saint-Denis, Claude Dilain.
La solution ? "Mutualiser les cabinets, dont le coût de location devient dérisoire pour les médecins, explique le docteur Gérard Aoustin, dans les couloirs vides de la maison de santé pluridisciplinaire de Drancy. C'est aussi la possibilité de travailler à deux et de limiter ses horaires de travail chaque semaine."
La meilleure solution pour renforcer l'offre de soins
Un luxe qui parvient même à attirer de nouveaux praticiens. "Un jeune médecin de Bobigny et une généraliste n'ayant jusqu'ici travaillé qu'en hôpital nous ont rejoints", note ainsi le docteur Annick Houngbo, à Clichy-sous-Bois. Les installations sont telles que les Clichois vont, pour la première fois, avoir accès à une orthophoniste. Des patients sont d'ailleurs déjà inscrits sur liste d'attente. "Podologue, kinésitérapeute, infirmiers... Les malades auront accès à tout dans un seul lieu", poursuit le médecin, dans son bureau neuf.
Et la mutualisation des ressources médicales n'est pas que dans l'intérêt des médecins. "Cela nous donne un certain confort de travail, mais cela nous permet surtout d'assurer un meilleur suivi des patients", estime Annick Houngbo. Elle qui exerce la médecine générale en libéral depuis 32 ans est convaincue de l'avantage de cette pratique. "Le mot-clé ici est la collaboration : nous pouvons discuter des cas avec les spécialistes ou d'autres médecins, être tenus au courant de l'état de nos patients par les infirmiers, poursuit-elle. En aucun cas, nous ne les lâchons dans la nature."
Les maisons de santé, "la seule solution d'avenir"
Les premiers patients clichois confirment. "Nous avons suivi notre médecin généraliste, qui s'est installée au château, explique Monique Ben Latifa, venue accompagner son mari Kilani. Je trouve que c'est une excellente initiative : cela nous permet d'avoir accès aux autres professionnels de santé, plutôt que de devoir faire plusieurs kilomètres pour un rendez-vous chez un kiné ou une orthophoniste."
Les maisons de santé pluridisciplinaire seraient-elles la clé pour remédier aux déserts médicaux ? "C'est la seule solution d'avenir, car les jeunes médecins ne s'installeront plus dans des cabinets isolés", affirme Gérard Aoustin, qui espère voir des initiatives semblables à celle de Drancy se développer dans d'autres communes françaises. "Il est encore trop tôt pour faire un bilan, il faudra voir dans la durée si les praticiens partant à la retraite seront remplacés, tempère Olivier Klein, le maire de Clichy-sous-Bois. Mais les premiers résultats sont positifs pour les médecins, les patients et la municipalité : c'est un second souffle pour les Clichois."
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