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Plainte aux États-Unis contre Meta pour mise en danger des enfants : "Il serait bien que la France se saisisse aussi du problème", lance un chercheur

Michel Desmurget, docteur en neurosciences, alerte sur "un vrai problème de santé publique pour nos enfants et ados". Les réseaux sociaux ont "des effets sur la santé mentale qui sont liés à la dépression, à l’anxiété et au sommeil".
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Les réseaux sociaux, un danger avéré  pour les enfants et les ados (photo d'illustration). (FREDERIC CIROU / MAXPPP)

"Il serait bien que l'Europe et la France se saisissent aussi du problème parce que c'est un vrai problème de santé publique pour nos enfants et ados", a alerté mercredi 25 octobre sur franceinfo Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Quarante États américains ont porté plainte contre le groupe Meta, la maison mère de Facebook et Instagram, qu’ils accusent de nuire à la santé des enfants et des adolescents.

Les réseaux sociaux ont "des effets sur la santé mentale qui sont liés à la dépression, à l’anxiété et au sommeil", notamment, explique le chercheur. "Ce qui est un peu inquiétant, c'est qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour passer la vague lobbyiste", a-t-il dénoncé alors que "ça fait plusieurs années qu'il est clair que les effets sur la santé mentale, physique et intellectuelle de nos enfants sont considérables et évidemment délétères".

franceinfo : Êtes-vous étonné par cette plainte ?

Michel Desmurget : Non. On savait que ça allait sortir. C'est un peu, comme l'explique l'un des procureurs, ce qui s'est passé avec le tabac. Les données sont devenues tellement évidentes, tellement cohérentes que, forcément, à un moment donné, le législateur allait devoir se pencher sur la question. La seule chose qui peut frapper, c'est la dureté des termes employés. On accuse Meta, sur la base de documents de l'entreprise, d'avoir falsifié ses rapports, aux seules fins d'augmenter ses profits et d’avoir négligé les dommages considérables que ça va pouvoir causer à la santé mentale et physique des enfants et des adolescents.

Quels sont les effets sur les enfants ?

Ce sont des effets sur la santé mentale qui sont liés à la dépression, à l'anxiété, au sommeil. Il y a des effets, évidemment, qui sont extrêmement forts sur la réussite scolaire, sur l'addiction avec un dérèglement majeur, comme le montre encore une étude récente, du système de récompense qui rend nos enfants particulièrement susceptibles à l'addiction et surtout qui les rend extrêmement hypersensibles à l'opinion des autres et à tout ce qu'on peut penser d’eux. Il y a des effets aussi évidemment sur la santé via la sédentarité. Ce sont des effets qui sont très bien connus dans la littérature qui ont encore été soulignés récemment par le responsable du service de santé américain. Ce ne sont pas des gens qui, au niveau des termes, sont hyper courageux. Et pourtant, le responsable du système de santé américain, notamment, a publié un rapport au vitriol en expliquant qu'il y avait des dommages considérables. 

"Ça fait plusieurs années qu'il est clair que les effets sur la santé mentale, physique et intellectuelle de nos enfants sont considérables et évidemment délétères."

Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherche à l'Inserm

à franceinfo

Ce qui est un peu inquiétant, c'est qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour passer la vague lobbyiste. Ça fait au moins cinq-dix ans que les données ont commencé à s’accumuler.

C’est un scandale comparable à celui de l’industrie du tabac ?

C'est toujours les mêmes logiques dans tous les grands problèmes de santé publique. On commence par nier le problème et à ridiculiser les gens qui le mettent en avant. On commence à dire qu'il n'y a pas grand-chose. Et on commence à dire qu'il y a quelque chose, mais ce n'est pas grave. Ensuite, on nous parle de la liberté individuelle. Et puis, à un moment donné, le législateur s'en mêle. Tout est parti d'une ingénieure de Meta qui est partie de l'entreprise en emportant avec elle un certain nombre de documents prouvant clairement que Facebook, Meta en l'occurrence, est parfaitement au courant de la douleur, du caractère délétère de ce qu'ils mettent en place. Ce qu'on peut espérer, c'est que ce procès, comme ça avait été le cas pour l'industrie du tabac, oblige Meta, et d'autres d'ailleurs, à mettre sur la table leur rapport confidentiel.

La France et l’Europe doivent-elles emboîter le pas des États américains ?

Il y a une loi qui est passée récemment au Parlement européen, qui n’est sans doute pas suffisante. Oui, il va falloir à un moment donné agir. ll va falloir que le législateur se saisisse du problème, ce que font maintenant beaucoup de pays. Les pays asiatiques, la Chine, Taïwan ont légiféré. Les États-Unis vont passer par le système judiciaire. Il serait bien que l'Europe et la France se saisissent aussi du problème parce que c'est un vrai problème de santé publique pour nos nfants et pour nos ados.

Les risques sont-ils aussi importants pour les adultes ?

Il y a une différence majeure entre l'adulte et l'enfant, c'est que le cerveau de l'enfant, il est en construction. Il est beaucoup plus vulnérable. Il y a des contenus qui ont des effets beaucoup plus profonds et beaucoup plus importants chez un ado, qui a encore son cerveau qui se construit, que chez un adulte, qui a un cerveau qui est beaucoup plus construit. Si vous faites passer une tempête sur une maison qui est déjà construite, ça aura beaucoup moins d'impact que sur une maison qui a encore ses échafaudages. Les ados et les enfants sont des cibles particulièrement vulnérables.  Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'effets, évidemment aussi sur les adultes.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux enfants ?

Pour les parents, c'est dur parce qu'ils ont subi une telle vague lobbyiste depuis des années pour leur expliquer à quel point c'était génial et super que maintenant, on se fracasse sur le mur de la réalité. Il faut en discuter avec les gamins. Les seules choses qui marchent, c'est de poser des règles, des règles d'usage et des règles de temps. Mais surtout, c'est de discuter ces règles avec les enfants. Si vous posez juste des règles à la Staline, ça ne fonctionnera pas. Si on pose des règles en expliquant qu'il faut réduire le temps parce que ça a des effets sur le sommeil, la dépression, la réussite scolaire, les études montrent que ça a des effets beaucoup plus importants.

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