Enquête : ces milliers d'enfants handicapés victimes de prédateurs sexuels
À 15 ans, il a l'âge mental d'un petit enfant, incapable de prononcer le moindre mot. Pourtant Nathan, atteint d'une déficience intellectuelle sévère, a sauvé sa peau et celle de ses copains. Parce qu'il a appris très tôt à communiquer avec des pictogrammes, il a pu raconter qu'il avait été agressé sexuellement par un éducateur dans son IME, le Centre Lecourbe, un institut spécialisé à Paris. Il y a un an et demi, comme tous les soirs, de retour à la maison, sa mère lui demande comment il va.
"Sur son outil, il me pointe les pictogrammes douleur, blessure, fesse et langue. Il a pu décrire que cet éducateur lui avait léché le zizi et fait mal aux fesses."
Maman de NathanA l'Œil du 20H
Selon l'enquête en cours, l'éducateur aurait commis plusieurs viols et agressions sexuelles sur des enfants, incapables de s'exprimer. Il est depuis placé en détention provisoire. Six familles ont porté plainte. Cet éducateur aurait-il pu être écarté plus tôt ? Une maman se pose la question. Huit mois avant l'arrestation de l'éducateur, elle avait repéré des traces de main sur le corps de son fils.
"Compte tenu de la taille de la main, c'est impossible qu'il se soit fait ça lui-même. Le matin, il refusait d'aller à l'établissement, il se faisait vomir. J'étais très inquiète. J'ai alerté mais j'ai le sentiment de ne pas avoir été entendue “
La maman d'un enfant du centreA L'Œil du 20 heures
A l'époque, le médecin lui avait répondu qu'il ne pensait pas que cela puisse venir de la main d'un professionnel. Aucune suite n'est donc donnée aux alertes de cette maman. L'établissement n'a pas déclaré d'incident, comme la loi pourtant l'y oblige. Face à nos sollicitations, le centre a répondu par mail:
“Les éléments dont a disposé l’équipe encadrante ne l’ont pas conduite à considérer qu’il y avait eu des comportements inappropriés envers ce jeune garçon”
La Direction du Centre LecourbeA L'Œil du 20 heures
À ce stade de l'enquête, rien ne prouve que l'enfant a été agressé.
Plus du tiers des viols sur mineurs handicapés ont lieu au sein des établissements
Quand les enfants s'expriment, six fois sur dix, ces enfants ne sont pas crus. En témoigne le long combat de parents en Isère. En 2015, à Voiron, dans l'IME des Nivéoles, un éducateur est arrêté pour détention d'images pédopornographiques. Une dizaine d'enfants racontent alors avoir été agressés sexuellement. Voici un extrait des auditions :
Enquêteur : "Est-ce que tu peux me dire ce qu'il t'a fait ?"
L'Enfant fait oui de la tête "m'a touché les fesses"
Enquêteur : "est-ce que tu peux me montrer ?"
L'Enfant se lève puis fait le geste avec sa main gauche.
Enquêteur : "il t'a déshabillée ?"
L'Enfant : "oui"
Enquêteur : "et la culotte ?"
L'Enfant : "oui, il l'a enlevé"
Pourtant, la justice n'y croit pas et le procureur requiert un non-lieu au motif que "les déclarations des enfants ne sont corroborées par aucun élément objectif". Il précise aussi que "les premiers signalements ont été faits quelques jours après l'interpellation de l'éducateur et qu'il ne faut pas négliger l'influence de cet événement sur les parents".
Les mamans de Voiron réclament toujours justice
En colère, Gaëlle Perrin, la maman Victor, ne comprend toujours pas pourquoi la justice est restée sourde aux plaintes de leurs enfants.
"Il a dit qu'il avait été agressé. Il a dit que l'éducateur lui avait mis le zizi dans les fesses. Qu'est ce qui aurait pu être plus clair que ça !"
Gaëlle Perrin,Maman de VictorA L'Œil du 20 heures
Au côté de leur avocat, ces mamans continuent le combat.
" Ce qu’on leur reproche, c’est d'être handicapé et on estime que du fait de cet handicap, cette parole ne vaut plus rien.”
Sayn Bertrand, avocat au barreau de LyonA L'Œil du 20 heures
Dix ans après les faits, l'espoir renaît. Les parents ont fait appel. La justice envisage enfin de renvoyer les éducateurs devant la cour criminelle. Sur les marches du tribunal de Grenoble, Marie Rabatel, membre permanent de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) s'indigne :
"Ce n'est pas normal que ça dure des années et des années. Quand on est face à un pédocriminel, en attendant il n'est toujours pas condamné et il peut agir sur d’autres enfants."
Marie Rabatel, Membre de la CIIVISEA L'Œil du 20 heures
Pour protéger les enfants, les établissements doivent vérifier le passé judiciaire de tout leur personnel. Mais la procédure est complexe. Au gouvernement, on promet de nouvelles mesures pour accélérer les contrôles.
"C'est la personne qui veut être recrutée qui va, elle même attester qu'elle n'a pas d'antécédents judiciaires. Cela va éviter des pertes de temps et c'est plus efficace."
Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée en charge des Personnes en situation de handicapA L'Œil du 20 heures
En clair, pour travailler auprès d'enfants handicapés, les employés devront fournir eux-mêmes tous les éléments les plus complets de leur casier judiciaire. Un pas de plus pour faire barrage aux prédateurs.
PARMIS NOS SOURCES:
https://violenceagainstchildren.un.org/fr/content/les-enfants-handicap%C3%A9
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(12)60692-8/abstract
.https://informations.handicap.fr/a-ciivise-les-enfants-handicapes-face-aux-violences-sexuelles-35887.php
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