: Enquête "Il a pointé les pictogrammes douleur, blessure et fesses" : les enfants en situation de handicap, particulièrement vulnérables face aux violences sexuelles
À 15 ans, Nathan a l'âge mental d'un petit enfant, incapable de prononcer le moindre mot. Atteint d'une déficience intellectuelle sévère, il a toutefois réussi à sauver sa peau et celle de ses amis. Parce qu'il a appris très tôt à communiquer avec des pictogrammes, il a pu raconter qu'il avait été agressé sexuellement par un éducateur dans son institut médico-éducatif (IME), le Centre Lecourbe, situé à Paris.
Sa mère se souvient parfaitement de la manière dont elle a découvert la situation, en 2023. "Sur son outil, il a pointé les pictogrammes douleur, blessure, fesses et langue. Il a pu décrire que cet éducateur lui avait léché le zizi et fait mal aux fesses", raconte-t-elle aux équipes de France 2.
La difficile recherche de la vérité
Selon l'enquête en cours, l'éducateur aurait commis plusieurs viols et agressions sexuelles sur des enfants incapables de s'exprimer. Il a depuis été placé en détention provisoire. Six familles ont porté plainte. Cet éducateur aurait-il pu être écarté plus tôt ? Une maman se pose la question. Huit mois avant l'arrestation de l'éducateur, elle avait repéré des traces de main sur le corps de son fils. "Compte tenu de la taille de la main, c'est impossible que mon fils se soit fait ça lui-même", s'alarme-t-elle.
"Le matin, mon fils refusait d'aller à l'établissement, il se faisait vomir. J'étais très inquiète. J'ai alerté, mais j'ai le sentiment de ne pas avoir été entendue."
Une mère d'un enfant accueilli au Centre Lecourbeà L'Œil du 20 heures
A l'époque, un médecin du centre lui avait répondu qu'il ne pensait pas que les traces puissent venir de la main d'un professionnel. Aucune suite n'est donc donnée aux alertes de cette mère. L'établissement n'a pas déclaré d'incident, comme la loi pourtant l'y oblige. Face aux sollicitations de l'Œil du 20 heures, le centre a répondu que "les éléments dont a disposé l’équipe encadrante ne l’ont pas conduite à considérer qu’il y avait eu des comportements inappropriés envers ce jeune garçon". À ce stade de l'enquête, rien ne prouve que l'enfant ait été agressé.
La parole des concernés recueille moins de crédit
Quand les enfants s'expriment, ils ne sont souvent pas crus. En témoigne le long combat de parents en Isère : en 2015, dans l'IME des Nivéoles, à Voiron, un éducateur est arrêté pour détention d'images pédopornographiques. Une dizaine d'enfants racontent alors avoir été agressés sexuellement. Auditionné par la police, un enfant déclare que le suspect lui a "touché les fesses", et un autre qu'il a "enlevé [sa] culotte".
Dans cette affaire, le procureur a toutefois requis un non-lieu, au motif que "les déclarations des enfants [n'étaient] corroborées par aucun élément objectif". "Les premiers signalements ont été faits quelques jours après l'interpellation de l'éducateur, et il ne faut pas négliger l'influence de cet événement sur les parents", ajoute le parquet.
En colère, Gaëlle Perrin, mère d'un enfant concerné par la procédure, ne comprend toujours pas pourquoi la justice est restée sourde aux alertes.
"[Mon fils] a dit qu'il avait été agressé. Il a dit que l'éducateur lui avait mis le zizi dans les fesses. Qu'est-ce qui aurait pu être plus clair que ça ?"
Gaëlle Perrin, mère d'un enfant qui a alerté sur des violencesà L'Œil du 20 heures
Au côté de leur conseil, ces mamans continuent le combat. "Ce qu’on leur reproche, c’est d'être handicapés ! On estime que du fait de cet handicap, leur parole ne vaut plus rien", s'indigne Bertrand Sayn, avocat au barreau de Lyon.
Vers de nouvelles mesures pour protéger les victimes
Dix ans après les faits, l'espoir renaît. Les parents ont fait appel. La justice envisage enfin de renvoyer les éducateurs devant la cour criminelle. Sur les marches du tribunal de Grenoble, Marie Rabatel, membre permanente de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) s'indigne : "Il n'est pas normal que [ce type de procédures] dure des années et des années". Dans ces situations enlisées, les pédocriminels ne sont "toujours pas condamnés" et peuvent "agir sur d’autres enfants."
Pour protéger les victimes, les établissements doivent vérifier le passé judiciaire de tout leur personnel. Mais la procédure est complexe. Au gouvernement, on promet de nouvelles mesures pour accélérer les processus. A l'avenir, "c'est la personne qui souhaite être recrutée qui devra attester qu'elle n'a pas d'antécédents judiciaires", promet Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée des Personnes en situation de handicap. "Cela va éviter des pertes de temps et c'est plus efficace."
Parmi nos sources :
Dossier de la représentante spéciale de l'ONU sur les multiples formes de violence et de discrimination auxquelles sont confrontés les enfants en situation de handicap
Méta-analyse parue dans The Lancet quantifiant la prévalence et le risque accru de violences envers les enfants en situation de handicap.
Le rapport 2023 de la Ciivise, qui révèle l'ampleur des violences sexuelles subies par les enfants en situation de handicap.
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