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Handicap : pourquoi l'école n'est-elle toujours pas aussi inclusive que l'exige la loi de 2005 ?

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Une classe inclusive ouverte aux élèves handicapés du collège Lamartine de Bischheim (Bas-Rhin), le 17 septembre 2020. (JEAN-MARC LOOS / MAXPPP)
Si Emmanuel Macron a vanté mercredi l'augmentation du nombre d'élèves en situation de handicap dans les classes, le bilan quantitatif ne peut pas être le seul indicateur de la réussite de l’école inclusive.

Il assure avoir mené une "révolution silencieuse" pour l'inclusion à l'école. Lors de la sixième Conférence nationale du handicap (CNH), mercredi 26 avril, Emmanuel Macron a vanté la politique menée par son gouvernement concernant le handicap et l'école. "Nous avons aujourd'hui 430 000 élèves en situation de handicap qui sont à l'école (…) Jamais auparavant, il n'y avait eu autant d'enfants handicapés à l'école", a affirmé le chef de l'Etat. Selon un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, ce chiffre a plus que triplé en près de vingt ans (134 000 en 2004).

Mais l'argument quantitatif n'est pas, pour autant, synonyme de qualité. Au point que l'école n'est aujourd'hui pas aussi inclusive que ce qu'exige la loi de 2005. Ce texte de référence sur les droits des personnes en situation de handicap entérine le principe d'inclusion plutôt que d'intégration. En clair, on considère qu'un enfant "à besoins éducatifs particuliers" est un élève comme les autres et que c'est au personnel éducatif de s'adapter.

La scolarisation d'un enfant ou adolescent en situation de handicap dans une classe ordinaire n'est pour autant pas systématique : la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) peut aussi décider de l'orienter vers un établissement médico-social. Emmanuel Macron admet d'ailleurs que "nous ne sommes pas à la hauteur de l'idéal d'égalité que nous avons gravé au fronton de la République." Une manière d'entendre l'avis sévère du Conseil de l'Europe rendu mi-avril ? Le comité européen des droits sociaux (CEDS) a en effet reproché à la France de ne pas remédier efficacement aux problèmes liés à l'inclusion des élèves en situation de handicap.

AESH, un métier "invisible et à l'abandon"

Comment expliquer que la France soit tancée, alors que l'accès à la scolarisation des personnes en situation de handicap a largement progressé ces dernières années ? La réponse se trouve essentiellement dans le manque de formation, de temps et de reconnaissance envers les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et les enseignants. Un rapport de la Défenseure des droits, publié en août 2022, l'explique dès son introduction : "La difficulté principale porte sur l'accompagnement humain qui repose sur les accompagnants des élèves en situation de handicap."

Nassera travaille comme AESH dans une école primaire de la Loire et dénonce "un corps de métier invisible et à l'abandon". "La profession va mal et tout le monde en pâtit : nous, les enseignants, les parents et bien sûr les enfants", déplore la quinquagénaire. Depuis ses débuts en 2011, elle n'a bénéficié d'aucune formation continue. Il existe pourtant bien une formation d'adaptation à l'emploi de 60 heures, mais elle est jugée insuffisante par la profession. "On est amenés à accompagner des élèves aux besoins très différents : dysorthographie, troubles de l'attention, difficultés à se déplacer…", énumère Manuel Guyader, AESH et représentant SUD Education.

"On devrait avoir une formation en permanence car notre travail nécessite de se remettre en question en permanence."

Manuel Guyader, représentant SUD Education

à franceinfo

Autre problème : de nombreuses AESH (la profession est très largement féminine) prennent leur poste en établissement avant même d'avoir reçu le moindre enseignement en la matière. "La formation commence parfois cinq mois plus tard, donc on s'auto-forme", s'indigne Manuel Guyader.

"On a besoin de temps pour créer du lien"

En dépit de nombreuses grèves et manifestations ces dernières années, les AESH sont toujours soumis à un statut précaire. Agents de l'Etat, ils travaillent une vingtaine d'heures par semaine et touchent environ 800 euros par mois. "Certaines cumulent avec un autre emploi car elles n'ont pas le choix, mais elles sont exténuées", explique Nassira. Dans une série d'annonces, Emmanuel Macron a promis que les AESH qui le souhaitent pourraient justement passer à 35 heures dès la rentrée 2023.

Le chef de l'Etat a spécifié que cet accompagnement pourrait s'étendre hors du temps scolaire, comme pendant la restauration ou l'aide aux devoirs. "C'est du mépris ! Nous rajouter des heures de périscolaire pour un mini-bonus de salaire, alors que notre boulot est déjà usant", se désole Nassera. Pour Manuel Guyader, ce serait même "un énorme recul".

"La seule solution à ce temps incomplet, c'est reconnaître qu'il est l'équivalent d'un temps plein car nous avons aussi des heures de travail en dehors de la salle de classe."

Manuel Guyader, représentant SUD Education

franceinfo

Dans le viseur des AESH, il y aussi les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial), créés en 2019 et chargés de mieux répartir l'intervention des AESH dans chaque territoire. "On nous balade de gauche à droite. Avant, j'avais 8 heures pour accompagner un élève. Maintenant, on a beaucoup plus d'enfants et peu d'heures pour chacun d'eux. Or, pour les aider, on a besoin de créer du lien, et donc de temps", rappelle Nassera.

Manque de moyens et classes surchargées

Si le nombre d'AESH a augmenté de 42% en cinq ans (132 000 professionnels), le personnel éducatif constate toujours une forte pénurie. "Des élèves se retrouvent sans AESH durant plusieurs mois. En début d'année, on a donc vu des parents d'élèves faire appel au privé", alerte Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, syndicat du second degré.

"On a des élèves qui ne bénéficient pas d'ordinateur. Ils se retrouvent sur liste d'attente alors que cela correspond clairement à un besoin pour eux", ajoute Manuel Guyader. Sans compter les classes surchargées, qui ne permettent pas l'accompagnement optimal des élèves en situation de handicap.

"30-35 élèves dans les classes de collèges et lycées, c'est devenu une norme... On souhaite un allègement des effectifs, et encore plus lorsqu'il y a une situation d'inclusion."

Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU

franceinfo

Dans le premier degré, Emmanuel Macron a annoncé mercredi la mise en place d'un "enseignant référent handicap". Mais pour Guislaine David, porte-parole et cosecrétaire générale du SNUipp-FSU, cette mission "ne répond pas aux difficultés rencontrées dans les classes". Peu d'explications ont par ailleurs été données sur les contours de cette nouvelle casquette.

Une spécialisation de certains profs ?

Comme les AESH, le corps enseignant s'estime largement démuni face à certaines situations. "J'ai eu un élève en CM1 qui avait été détecté dès la grande section comme ayant des troubles du comportement. Sa prise en charge relevait d'un Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), mais il n'y avait pas de place. Il explosait régulièrement en classe, jetait des chaises, frappait les autres élèves et m'insultait. Cela a été une souffrance pour tout le monde", relate Guislaine David.

Rose*, 25 ans, a bénéficié en master d'une formation à l'inclusion d'environ 25 heures. Elle regrette une approche trop théorique. "On devrait bien plus approfondir, notamment par le biais de stages d'observation en classe Ulis [unités localisées pour l'inclusion scolaire] ou dans des Itep. Là, on enseigne en classe sans avoir une idée concrète de ce qu'est le handicap", témoigne celle qui est devenue institutrice en 2021. Plus qu'une formation approfondie pour tous les professeurs, les syndicats militent pour une spécialisation de certains enseignants en classe ordinaire. "Il nous faudrait aussi plus de psychologues et d'infirmières scolaires", explique Guislaine David.

A l'école, le nombre satisfaisant d'élèves en situation de handicap n'est donc que l'arbre qui cache la forêt. Comme le pointe Sophie Vénétitay, à l'attention du chef de l'Etat : "Choisir cet angle, c'est passer sous silence les conditions de travail des adultes et les répercussions sur les enfants."

*Le prénom a été modifié à la demande de l'interlocutrice.

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