: Témoignages La galère des personnes handicapées pour payer leur fauteuil roulant : "Comment font les gens sans moyens, sans énergie ?"
"Les personnes valides ne payent pas pour marcher. Pourquoi est-ce que, nous, personnes handicapées, on devrait se ruiner pour nous déplacer ?" Depuis cinq ans, Maud Pochic utilise un fauteuil roulant dès qu'elle sort de chez elle. Atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos, une maladie invalidante qui occasionne fatigue et douleurs chroniques, cette étudiante de 24 ans a opté pour la location d'un modèle standard, le même qui dépanne les accidentés dans les hôpitaux ou les personnes âgées dans les Ehpad. "Il est entièrement pris en charge par la Sécu, mais c'est du bas de gamme absolu", décrit-elle.
Son fauteuil manuel est une enclume roulante de 16 kg, "pas du tout maniable", qui lui abîme le corps et qui l'épuise. "Les trois quarts du temps, j'ai besoin de quelqu'un pour me pousser, alors je renonce à sortir. Ça me prive de mon autonomie et ça nuit à mes études et à ma vie sociale", déplore la jeune habitante de Saint-Avertin, près de Tours (Indre-et-Loire). A l'aube de sa vie active, elle lorgne désormais sur l'achat d'un modèle adapté à sa situation, toujours manuel, mais deux fois plus léger et maniable.
"Ce nouveau fauteuil, c'est simple : c'est la clé de mon inclusion."
Maud Pochic, étudianteà franceinfo
Mais à quel prix ? Le devis affiche 3 700 euros. "Et encore, je vise le minimum d'adaptation, sinon j'en aurais facilement pour 5 000 euros", insiste l'étudiante. Or, pour l'achat d'un fauteuil manuel, la Sécurité sociale ne rembourse qu'environ 600 euros. "Après le passage de ma mutuelle, il me restera 1 700 euros à sortir de ma poche", calcule la jeune femme. "Je n'en ai pas les moyens." Depuis des mois, la voilà condamnée, comme tant d'autres utilisateurs qui ont répondu à notre appel à témoignages, à chercher une solution ailleurs. Une aide départementale, peut-être, un coup de pouce familial ou une réforme gouvernementale.
Une bonne nouvelle pour 2025 ?
En ce mardi 3 décembre, journée internationale des personnes handicapées, la question de la prise en charge des fauteuils roulants en France aurait pu être une affaire ancienne. En avril 2023, face aux prix "si exorbitants" de ces véhicules, Emmanuel Macron avait annoncé qu'ils seraient "intégralement remboursés (...) dès 2024". "Une mesure de justice sociale", avait argué le président de la République. Vingt mois et une dissolution plus tard, la concrétisation se fait attendre.
Une ébauche a bien été présentée en début d'année, mais le texte a fait bondir les acteurs du secteur. Le projet prévoyait une prise en charge complète pour certains modèles (facturés jusqu'à 2 600 euros pour un fauteuil manuel et 18 000 euros pour un électrique) et une absence totale de remboursement pour tous ceux qui dépasseraient ces plafonds. Or, les fauteuils adaptés, comme celui que convoite Maud Pochic, excèdent souvent ces montants.
"Beaucoup d'utilisateurs en situation de handicap auraient été exclus et auraient vu leur situation empirer, ne pouvant plus prétendre à rien", assure Malika Boubekeur, de l'association APF France handicap.
"Le système actuel est insatisfaisant. Il faut l'améliorer, pas l'aggraver."
Malika Boubekeur, conseillère nationale de l'AFP France handicapà franceinfo
Que va devenir l'engagement du chef de l'Etat sous le gouvernement de Michel Barnier ? Le cabinet de la ministre déléguée chargée des Personnes en situation de handicap promet de l'honorer dans les prochaines semaines. "La concertation a repris et nous espérons faire aboutir le dossier avant la fin de l'année, pour une mise en place effective d'ici septembre 2025", détaillent les équipes de Charlotte Parmentier-Lecocq. "On veut parvenir à un remboursement intégral des fauteuils, avec des garde-fous pour éviter des trous dans la raquette."
Sans attendre de savoir à quelle sauce la réforme sera servie, le député écologiste Sébastien Peytavie a déposé en septembre une proposition de loi sur le remboursement intégral des fauteuils roulants par l'Assurance-maladie. Quitte à court-circuiter l'exécutif. Il entend ainsi garantir que chaque modèle, quel que soit son prix, soit entièrement pris en charge. Mais les modalités de financement et d'application de sa mesure demeurent encore incertaines. Sa proposition de loi, adoptée à l'unanimité en commission le 27 novembre, sera débattue mardi 3 ou mercredi 4 décembre à l'Assemblée nationale.
Prêts bancaires et cagnottes en ligne
Une prise en charge totale "dès 2024" ? La promesse présidentielle avait résonné jusqu'à Isle-Aubigny, une petite commune rurale de l'Aube. Claire Andriot s'y était accrochée. Voilà huit ans que cette femme de 49 ans use le même fauteuil manuel, qui grince, perd des morceaux et lui brise le dos. "Je ne peux plus le voir en peinture", enrage-t-elle. En théorie, cette rescapée d'un accident de la route aurait pu prétendre à un renouvellement au bout de cinq ans, comme le permet la Sécurité sociale. Sauf que la facture s'annonçait salée et qu'elle a décidé de retarder l'échéance.
"Quand on nous a promis le remboursement intégral, j'ai attendu, en me disant que ce serait l'affaire de quelques mois", raconte cette mère célibataire. En vain. En septembre, elle a fini par passer commande d'un fauteuil neuf. Le même modèle, aucune folie. "Son prix est de 5 500 euros. Une fois la Sécu et la mutuelle passées, il me reste 3 600 euros à ma charge", s'estomaque-t-elle. "J'ai dû suspendre la commande dix jours plus tard, car une panne de voiture m'a mise dans le rouge. Comment voulez-vous faire avec 1 000 euros d'allocation aux adultes handicapés, une maison à finir de payer et trois enfants étudiants à aider ?"
"Comment voulez-vous vivre correctement dans un fauteuil à bout ? J'en ai marre, c'est rabaissant."
Claire Andriot, mère de familleà franceinfo
Avec les modèles électriques, l'addition est encore plus lourde, avec des restes à charge jusqu'à cinq chiffres. Marceau Steinbach en sait quelque chose. Après avoir "sollicité toutes les aides possibles" pour son fauteuil à 34 000 euros, ce jovial Marseillais de 60 ans s'est retrouvé avec une douloureuse d'environ 18 000 euros. "Je n'ai pas le choix : depuis que je suis en fauteuil, j'ai développé une obésité morbide. Il me faut des modèles bariatriques, qui coûtent trois fois plus cher. Je rêverais de rouler en 2 CV, mais non, je dois me payer un tracteur." Ce chargé de clientèle en invalidité a dû piocher dans ses bas de laine et contracter un crédit bancaire "de plus de 10 000 euros" avec son conjoint. "Sans lui, je ne sais pas où je serais", témoigne-t-il.
Fabienne Bénassis, elle, s'est résolue à lancer une cagnotte en ligne pour acquérir un modèle à 29 000 euros. "Mon fauteuil est tellement fatigué qu'il bloque et m'envoie n'importe où, sans parler des batteries qui rendent l'âme. Je n'ose plus prendre le bus ou le métro", témoigne cette habitante de Cesson-Sévigné, dans l'agglomération de Rennes. Elle a déjà reçu près de 9 000 euros de dons de sa famille, de ses amis et de leur entourage, qui ne suffiront pas à couvrir son reste à charge. A 51 ans, elle envisage d'emprunter auprès de ses proches. "Les fauteuils coûtent de plus en plus cher, mais les aides ne bougent pas", déplore cette bénéficiaire de l'allocation aux adultes handicapés. "Ces contraintes financières m'angoissent beaucoup et le stress aggrave ma maladie."
Forcés de batailler avec l'administration
Davantage que le reste à charge, c'est parfois la lutte administrative pour obtenir des financements qui accable le plus les personnes en fauteuil. Assurance-maladie, mutuelle, maison départementale des personnes handicapées, fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique... "C'est un parcours du combattant", soupire Isabelle Terrasson, une infirmière hospitalière de 40 ans, qui raconte avoir dû batailler deux ans et demi jusqu'à la prise en charge complète de son fauteuil en 2022. "En attendant, je me déplaçais avec un fauteuil complètement inadapté, qui a m'a valu plusieurs lésions articulaires", souligne-t-elle, depuis Dammartin-en-Serve, dans les Yvelines.
"J'ai travaillé sous morphine avec un fauteuil qui m'a détruit l'épaule. Je pleurais tous les jours."
Isabelle Terrasson, infirmièreà franceinfo
Les plus jeunes ne sont pas épargnés. Tous les jours, Séverine Sucra voit son fils Maceo, âgé de 19 ans, se déformer dans un fauteuil électrique qui n'est plus à sa taille. "Il l'a eu à 15 ans et a connu une très forte poussée de croissance depuis", décrit cette psychothérapeute de la région toulousaine, qui a initié des démarches de renouvellement il y a deux ans. "L'Assurance-maladie a d'abord refusé d'en financer un nouveau", déplore-t-elle.
"Il a fallu que je dépose un recours et que je menace de saisir la justice pour finir par avoir gain de cause, fin septembre."
Séverine Sucra, mère d'un garçon handicapéà franceinfo
Et de regretter : "Entre-temps, son dos s'est tordu, ses hanches décalées et les efforts de kiné ont été réduits à néant."
Pour faire face aux dépenses liées au handicap de leur fils, Séverine Sucra et son compagnon ont fondé une association, Hissez Haut Maceo. "C'est beaucoup de charge mentale pour moi, mais cela nous permet d'organiser des événements caritatifs et de bénéficier de dons défiscalisés", décrit-elle. Grâce à cette organisation, le couple règle les factures et surnage. "Mais comment font les gens seuls, sans moyens, sans énergie ? Je me demande si tout n'est pas fait pour nous avoir par épuisement et qu'on abandonne."
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