Anesthésiste de Besançon : cinq questions sur les 17 nouveaux cas d'empoisonnements qui relancent l'affaire
Déjà mis en examen pour sept empoisonnements en 2017, le docteur Frédéric Péchier est désormais mis en cause dans 17 nouveaux cas, dont sept se sont soldés par la mort des patients. Il continue de clamer son innocence.
Il était déjà mis en examen pour sept cas d'empoisonnement de patients. L'anesthésiste Frédéric Péchier a été mis en examen, jeudi 16 mai, pour 17 nouveaux cas "d'empoisonnement sur personnes vulnérables", entre 2008 et 2016 à la clinique Saint-Vincent de Besançon (Doubs). Le médecin est donc désormais suspecté d'avoir commis un total de 24 empoisonnements, dont 9 mortels. Ces faits sont passibles de la réclusion à perpétuité.
Franceinfo fait le point sur les nouvelles accusations qui pèsent sur ce médecin.
1De quoi était-il accusé jusqu'ici ?
Dans la première "affaire Péchier", les sept cas d'empoisonnement identifiés étaient ceux de patients âgés de 37 à 53 ans, qui avaient subi, entre 2008 et 2017, des interventions chirurgicales ne présentant pas de difficultés particulières dans deux cliniques privées de la ville. Ils avaient pourtant fait des arrêts cardiaques. Deux d'entre eux sont morts, les cinq autres ont pu être réanimés.
Le docteur Péchier, qui n'était pas en charge de ces patients, avait été appelé pour secourir certains d'entre eux. L'enquête, menée par l'Agence régionale de santé puis par la police de Besançon, a établi que des doses potentiellement létales de potassium et d'anesthésiques avaient été administrées volontairement, provoquant les arrêts cardiaques. Frédéric Péchier risque la réclusion criminelle à perpétuité.
2Quels sont les nouveaux éléments ?
Au moment de sa mise en examen, le parquet de Besançon avait ouvert discrètement, en février 2017, une enquête préliminaire visant d'autres faits : 66 signalements "d'événements indésirables graves" (EIG) survenus dans la clinique Saint-Vincent, entre octobre 2008 à novembre 2016. Selon la Haute autorité de santé, un EIG est un événement "inattendu au regard de l'état de santé et de la pathologie du patient dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital ou encore la survenue probable d'un déficit fonctionnel". Les professionnels de santé ont l'obligation de les signaler aux autorités.
Pendant deux ans, les enquêteurs ont mené, "avec une particulière minutie", selon les mots du procureur Etienne Manteaux, "une centaine d'auditions", recevant "toutes les personnes qui avaient participé aux 66 interventions chirurgicales suspectes". Les dossiers médicaux ont été saisis, puis analysés par un médecin légiste et un anesthésiste. Des analyses toxicologiques ont été menées sur le matériel médical utilisé, ainsi que sur quatre patients décédés, exhumés en décembre 2018. "Pour une majorité de ces EIG, il n'est pas démontré qu'il y a eu un acte malveillant", a déclaré le procureur. Au total, 17 dossiers sur les 66 ont été remis aux juges d'instruction.
Derrière ces nouveaux dossiers figurent des patients, âgés de 4 à 80 ans, opérés "pour des chirurgies bénignes". Si les victimes ont pu être réanimées dans la majeure partie des cas, sept sont mortes. Mercredi, à la veille de la conférence de presse du procureur, France Bleu Besançon avait donné quelques précisions sur le cas de l'enfant de 4 ans. Opéré des amygdales en 2016, Teddy a fait deux arrêts cardiaques, avant d'être réanimé. Ses parents ont déposé une plainte contre X début 2017, puis contre le docteur Frédéric Péchier mardi 14 mai.
3Quel était son mode opératoire présumé ?
Lors de sa conférence de presse, le procureur a indiqué que le suspect était soupçonné d'avoir "pollué les poches d'hydratation ou les poches de paracétamol", avec des anesthésiques locaux ou du potassium. "Le poison s'écoule au goutte à goutte et provoque un arrêt cardiaque. Ce procédé se révèle particulièrement habile parce qu'en cas d'arrêt cardiaque, il va être recherché des causes organiques ou une éventuelle erreur humaine, mais personne à la clinique Saint-Vincent n'a imaginé une pollution des poches", a analysé le procureur. Par conséquent, "ces poches n'étaient pas conservées", a poursuivi le magistrat. "Dès lors que personne n'imaginait un empoisonnement, il n'était recherché dans le sang que les anesthésiques locaux administrés pendant l'opération. Cela passait toujours inaperçu", a-t-il indiqué.
Mais le parquet assure cependant avoir réuni des "éléments probants", constituant "un faisceau concordant". Les analyses toxicologiques de deux poches exceptionnellement conservées ont révélé des doses toxiques de potassium et de lidocaïne. Des doses toxiques d'anesthésiques locaux, non utilisés pendant les opérations, ont également été relevées dans deux autopsies de patients décédés. Les expertises et les témoignages ont également permis de retenir des cas suspects.
Pour le procureur, le docteur Péchier est "le dénominateur commun" de ces EIG. Il a évoqué "l'omniprésence" de l'anesthésiste lors de la réanimation de ces patients, sa capacité à "faire des diagnostics précoces dans des situations médicales où rien ne permettait à ce stade de suspecter un surdosage en potassium ou aux anesthésiques locaux" et le fait qu'il est "le seul anesthésiste présent de 2008 à 2016 dans la clinique à ne pas être concerné par un EIG". Etienne Manteaux a toutefois reconnu que "l'auteur de ces empoisonnements n'a jamais été pris sur le fait". "Nous avons affaire à un professionnel de santé particulièrement habile qui a agi lorsque personne ne se trouvait dans les salles d'anesthésie, qui a su varier dans le temps la nature des poisons administrés pour ne pas éveiller les soupçons", a-t-il affirmé.
4Quel serait son mobile, selon les enquêteurs ?
Dans un premier temps, les enquêteurs le soupçonnaient d'avoir agi en "pompier pyromane". Il aurait sciemment modifié les poches d'injection de confrères afin de provoquer des incidents opératoires pour exercer, ensuite, ses talents de réanimateur.
Mais le procureur a privilégié un autre mobile lors de sa conférence de presse, en évoquant un médecin "en conflit aigu avec ses collègues". Face aux enquêteurs, Frédéric Péchier a d'ailleurs estimé que ces EIG étaient "la résultante des limites professionnelles de ses ex-collègues".
5Comment se défend-il ?
Depuis le début de l'affaire, Frédéric Péchier nie ces empoisonnements. "Pourquoi je ferais un truc pareil ? Je m’amuserais à injecter des produits toxiques à des personnes pour, ensuite, aller les réanimer ? C’est complètement aberrant", s'indignait-il dans L'Est républicain en 2017. Selon le procureur, lors de sa garde à vue de 2019, il a d'abord dénoncé un complot, puis pointé l'incompétence de ses collègues. Frédéric Péchier a finalement "admis que des actes criminels, des empoisonnements ont bien été commis". "Il a clairement réaffirmé qu'il n'en était pas l'auteur", a indiqué le procureur, sans donner le nom d'un éventuel autre suspect.
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