: Reportage "Allô ? Il y a un vélo sous un bus là !" : on a passé une journée sur la ligne du 15 avec le Samu d'Ille-et-Vilaine
"Vous avez demandé le 15, ne quittez pas." Il est 11h52, mercredi 11 janvier, quand Christophe Le Cam décroche un appel au Samu d'Ille-et-Vilaine, après moins de 15 secondes d'attente. "Allô ? Il y a un vélo sous un bus là, le cycliste est en sang !", s'époumone un passant au bout du fil. En moins de deux minutes, l'assistant de régulation médicale (ARM) demande l'envoi d'un camion de pompiers pour intervenir au plus vite. A 12h21, la victime, blessée à la tête, sera transférée dans l'hôpital le plus proche.
Tous les jours, des centaines de courses contre la montre comme celle-ci se jouent dans les bureaux du Samu 35, à quelques pas du CHU de Rennes. Durant la semaine, le nombre d'appels oscille entre 1 200 et 1 400 par jour. Ce chiffre peut dépasser les 2 000 lors des week-ends et des périodes de fortes épidémies, comme celles de grippe, de bronchiolite et de Covid-19 qui touchent la France cet hiver.
Et cette tendance n'est pas près de s'arrêter. Depuis 2019, le nombre d'appels a augmenté de 25%, porté par "les campagnes de communication et l'appauvrissement de certains secteurs en médecins généralistes", explique le professeur Louis Soulat, chef des urgences de l'hôpital.
Accidents, virus, bobos, infarctus... Comment les cent Samu de France gèrent-ils des situations toujours plus nombreuses et variées, alors que les services d'urgences sont en difficulté ? Nous avons passé une journée avec les équipes du Samu d'Ille-et-Vilaine, sur la ligne du 15.
"Elle a volé un carreau de chocolat il y a 50 ans"
12h06. Une voix fluette s'échappe du combiné. "J'ai volé un morceau de chocolat", murmure une dame âgée. "Ce n'est pas grave madame Morel*, il y a prescription", répond calmement Christophe Le Cam, en pantalon blanc et polo floqué bleu "Samu". "Elle, c'est une habituée", sourit-il, une fois l'appel terminé. "Elle a volé un carreau de chocolat il y a 50 ans et, depuis, elle nous appelle plusieurs fois par jour..."
Comme Christophe Le Cam, une cinquantaine d'ARM travaillent au Samu de Rennes. Formés pendant un an, ce sont eux qui décrochent en premier le téléphone lorsque vous composez le 15. "C'est le cœur du Samu, explique leur superviseur, Frédéric Boucher-Roulleau. Ils forment un duo qui ne fait qu'un avec le médecin." Leur mission ? Recueillir en quelques secondes les informations indispensables pour rediriger l'appelant vers le soignant adéquat. "Chaque journée et chaque appel sont différents", ajoute Frédéric Boucher-Roulleau, qui, comme partout en France, cherche à recruter de nouveaux ARM pour faire face à la hausse de l'activité.
12h17. Une dame appelle depuis un téléphone fixe. Le nom et l'adresse de la propriétaire de la ligne s'affichent automatiquement sur les écrans du Samu. L'ARM n'a plus qu'à se faire confirmer l'identité et le lieu par la personne au bout du fil. "J'appelle pour ma maman. Elle tousse énormément, elle est couchée et amorphe...", explique l'appelante. Le médecin traitant ne répond pas, "alors j'appelle le 15", lance-t-elle. Christophe Le Cam décide de rediriger l'appel vers les médecins généralistes, assis à quelques mètres de là.
Au CHU de Rennes, la médecine de ville et la médecine d'urgence travaillent au même endroit, sur une plateforme de Service d'accès aux soins (SAS), expérimentée depuis deux ans. Dans la pièce aux larges baies vitrées, deux îlots de bureaux regroupent les assistants de régulation médicale. Quelques décorations de Noël sont toujours en place, aux côtés de grandes cartes du département accrochées au mur. Un autre îlot centralise les médecins urgentistes, formés aux interventions comportant des risques vitaux, avec un assistant dédié à l'envoi des véhicules du Smur (structures mobiles d'urgence et de réanimation), pouvant aller de la voiture à l'hélicoptère. Enfin, un dernier îlot rassemble les médecins généralistes, en tenue de ville, accompagnés d'une infirmière psychiatrique.
"Avec le SAS, on donne une réponse adaptée quel que soit le problème de santé, et on repositionne le médecin traitant au cœur du système."
Louis Soulat, chef des urgences du CHU de Rennesà franceinfo
12h20. "Mais qu'est-ce que vous feriez à ma place ?", demande une voix devenue familière. "Il faut relativiser, madame Morel", lance Christophe Le Cam, sans perdre patience, mais en mettant fin rapidement à ce nouvel appel intempestif.
12h21. Cette fois, c'est la police qui appelle directement le 15. Un agent vient de trouver un homme allongé sur la chaussée, et qui n'arrive plus à se relever. On l'entend maugréer de loin dans le combiné. En un clic, les pompiers sont envoyés pour venir lui porter assistance.
Une sonnerie résonne dans la salle. "J'ai besoin d'une équipe pour une douleur thoracique", lance un agent dans le haut-parleur. Il faut aller le plus vite possible pour éviter un infarctus mortel. En quelques secondes, le pilote d'hélicoptère et l'équipe médicale sont mobilisés. Sur l'écran, des petits stades de football illuminent une carte : c'est sur l'un de ces terrains que l'équipe va atterrir. Au loin, on entend déjà les pales de l'appareil fendre l'air.
"Le Samu est là pour protéger nos urgences"
13h08. Un assistant de régulation médicale transmet un appel à Tarik Cherfaoui, médecin urgentiste. "J'ai une douleur thoracique côté droit en continu depuis hier et je tousse du sang", s'inquiète une jeune femme de 25 ans, qui a composé le 15 depuis son lieu de travail. Le médecin la questionne sur ses problèmes de santé. Il note une douleur aux jambes, particulièrement sur celle de droite. Afin d'éliminer le risque d'embolie pulmonaire, une ambulance est envoyée sur place.
Le relais est alors passé à l'assistante chargée de la gestion des ambulances privées du département. Sur son écran, des petites voitures progressent sur une carte, avec leur vitesse et le temps d'attente estimé avant d'arriver à destination. En cas d'urgence vitale, l'une d'entre elles peut être déroutée pour intervenir au plus vite.
13h16. Un homme appelle pour son collègue qui ne parle pas français. "On était en formation, il s'est levé de sa chaise et il est tombé, s'alarme l'interlocuteur. Il était tout pâle et il transpirait." Après quelques questions, Tarik Cherfaoui privilégie la piste du malaise vagal et décide d'envoyer SOS Médecins à son domicile. "Il y a un peu de monde aux urgences, on va éviter de le faire attendre des heures sur un brancard", explique le chef de service adjoint.
Sur l'un des quatre écrans du bureau du médecin, on peut suivre en direct l'affluence des urgences du CHU de Rennes, situées à quelques centaines de mètres des locaux du Samu. Toutes les informations concernant les patients sont notées, y compris le temps d'attente avant la prise en charge. Pour plusieurs d'entre eux, ce délai dépasse allègrement les 24 heures. "Le Samu est aussi là pour protéger nos urgences", souligne le chef de service adjoint. D'autant que le département compte encore plusieurs services d'urgences fermés la nuit pour cause de manque de personnel.
"Il y a encore des choses à améliorer"
13h41. Une jeune femme de 20 ans a fait un malaise. "Elle n'était pas très bien après le repas. Elle s'est mise à pleurer, alors je lui ai fait des papouilles dans le dos et elle est tombée dans mes bras", raconte l'une de ses amies au téléphone. Le médecin urgentiste veut s'assurer que la jeune femme reste accompagnée, et qu'elle puisse consulter un médecin généraliste dans la journée.
"Avec la plateforme SAS, on peut voir tous les créneaux disponibles dans le secteur", se félicite Tarik Cherfaoui en cliquant sur le site dédié. Il va vite déchanter : "Par contre, la plateforme n'est pas reliée automatiquement à notre logiciel, il faut taper le numéro comme n'importe quel patient et prendre un rendez-vous avec le secrétariat", peste-t-il.
Le médecin urgentiste devra s'y reprendre à deux fois avant de tomber sur une musique d'attente. "Je veux bien écouter du Sinatra, mais on a d'autres urgences à gérer, souffle-t-il. Il y a encore des choses à améliorer."
15h24. Un assistant de régulation médicale redirige un appel vers les deux médecins généralistes du Samu. "Je suis fatigué du matin au soir, je suis à la limite de l'évanouissement", souffle un homme au bout du fil. Ses paroles sont confuses. "Est-ce que vous avez bu de l'alcool ?", demande Gérard Duchène, médecin généraliste à la retraite. "Oui", reconnaît l'appelant sans louvoyer. Sa fiche indique un passage à l'hôpital la semaine dernière. "C'était comme une prison, j'ai pété les plombs", se lamente le quinquagénaire.
"Je suis une vraie pipelette"
15h52. Le voisin d'une dame âgée appelle. Cette dernière n'arrive pas à joindre son médecin traitant au téléphone. "J'ai du mal à respirer", lance-t-elle, sans difficulté apparente. "Ça a l'air d'aller mieux", lui répond le médecin généraliste du Samu. "Ah oui, je parle toujours vite, je suis une vraie pipelette", rétorque la dame de 82 ans, avant de détailler ses difficultés techniques avec le câble de son téléphone. "Bon, vous n'êtes pas en danger, vous pouvez rappeler votre médecin traitant pour prendre un rendez-vous tranquillement", la rassure Gérard Duchène avant de raccrocher. "Là, c'est calme, mais quand on a cent personnes en liste d'attente, on essaye de limiter ce genre d'appel sans gravité", soupire-t-il.
17h04. Le rythme des appels commence à s'accélérer, après une journée relativement calme. Cette fois, c'est un commissariat de police qui signale des difficultés respiratoires pour un détenu. "Il vient d'arriver en cellule et il est devenu tout rouge", expose une policière, avant de signaler que l'homme en question n'a qu'un seul poumon. L'assistante de régulation médicale, Orianne Muller-Tanguy, transmet l'appel en priorité aux médecins d'urgence.
Alors que la nuit tombe, le service du Samu redouble d'activité. Un sapin de Noël en plastique diffuse une lumière douce dans la pièce animée. Derrière Orianne Muller-Tanguy, une cafetière tourne elle aussi à plein régime. 17h11. Un nouvel appel entrant vient d'apparaître sur les ordinateurs.
* Le nom de cette personne a été modifié.
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