Quand des soignants à bout préfèrent quitter l’hôpital
Cela faisait longtemps que Lucie n’avait pas emprunté le chemin qui la mène aux urgences de l’hôpital. Pendant des années, cette infirmière l’a pourtant parcouru avec conviction : “ça faisait partie de ma culture, ça faisait partie de mes idéaux de travailler à l’hôpital sur l’aspect social et pour l’aide à l’autre, un lieu où la connotation de rendement ou d’investissement est censée être absente.
J’ai passé des moments extraordinaires dans cet endroit, j’ai vécu des grandes joies des grandes tristesse aussi. Des nuits atroces à courir partout mais avec toujours le même plaisir d’y retourner et cette satisfaction d’avoir bien, ou du moins le mieux possible, fait notre travail.”
"Je dois faire le deuil de mon métier d'infirmière"
Pendant 6 ans, Lucie consacre ses nuits à soigner les patients des urgences, où les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles. Mais c’est une agression, alors qu’elle est enceinte, qui va entrainer son départ de l’hôpital. Après avoir exercé en libéral, aujourd’hui, Lucie passe un nouveau cap professionnel, en se lançant dans une carrière dans l’immobilier.
Un choix loin très diffcile pour la jeune femme : “c’est compliqué, je suis en plein deuil en fait. Deuil d’être infirmière parce que c’est vraiment quelque chose d’ancré en moi depuis toujours. Pour moi aujourd’hui, on n’est plus dans l’aspect social et solidaire dans lequel on était à une époque. Je pense que même si aujourd’hui je pouvais, je ne le ferais pas.”
Alors que Lucie a quitté l’hôpital, son mari, lui-même médecin urgentiste, a continué pendant quelques années d’enchaîner les gardes. Julien Tabarly revient sur cette période : “J’ai eu l’impression d’habiter plus à l’hôpital qu’à mon domicile. C’était les gardes qui s’enchaînent et après énormément de déplacements, beaucoup d’administratif, on formait aussi le personnel. En tant qu’urgentistes ont a été élevés comme ça, élevés à bosser, bosser, bosser, on n’a pas compté les heures et on a toujours trouvé ça normal.”
"Ma fille m'a dit qu'elle avait peur de m'oublier"
Un moment qui a aussi été difficile pour Lucy : “au final on passait parfois 10 jours sans se voir, avec nos 2 emplois du temps et des enfants à gérer... et à un moment donné il a fallu lui faire entendre que ce n’était pas normal.”
La prise de conscience arrive tardivement se rappelle Julien : ” J’ai eu ma fille au téléphone qui m’a dit papa j’ai peur de finir par t’oublier avec sa petite voix. Elle avait 4 ans à l’époque et c’est ça qui m’avait fait avoir un peu le déclic puisque je m’étais rendu compte que je n’allais pas être là le soir-même, ni le lendemain, ni le surlendemain mais 4 jours après. En fait, on n’oublie de vivre à côté."
Soigner plus sereinement dans le privé
Après 10 ans de service d’urgence, pour retrouver une vie de famille, Julien décide à son tour de quitter le service public pour pratiquer dans une clinique privée. “Je suis libéral, je fais mon activité et je peux soigner les gens de manière différente, je n’ai plus la lourdeur de l’administration qui était vraiment finalement une des choses les plus pesantes.
Je n’ai plus cette sensation de ne jamais être écouté, de ne pas être entendu. Je me sens plus libre et donc plus libre de soigner en fait.” Profiter de leur famille mais aussi soigner sereinement ses patients, comme Julien et Lucy, de plus en plus de soignants font désormais le choix de quitter l’hôpital.
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