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Baisse des salaires : "Il faut éviter qu'on aille dans cette spirale low cost" sinon on risque une "spirale déflationniste qui serait bien pire", estime un économiste

Chercheur au CNRS, Philippe Askenazy, incite plutôt à prolonger le chômage partiel. Les "fondamentaux" et les "besoins" de l'économie n'ont pas été "obérés" par son "arrêt brutal", dit-il, incitant à plutôt aller de l'avant. 

Article rédigé par franceinfo
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L'économiste Philippe Askenazy, le 2 octobre 2016. (LEEMAGE / AFP)

Les partenaires sociaux sont réunis à l'Élysée jeudi 4 juin après-midi avec Emmanuel Macron et Édouard Philippe pour discuter de solutions pour préserver l'emploi, durement touché par la récession liée à l'épidémie de coronavirus. Philippe Askenazy, économiste du travail, chercheur au CNRS, a estimé sur franceinfo que le dispositif de chômage partiel devait être maintenu. "Vu l'ampleur de la récession que l'on connaît aujourd'hui, les très grandes incertitudes, c'est le premier levier que doivent utiliser l'État et les entreprises", a-t-il déclaré. Il s'est également montré méfiant envers une baisse des salaires que pourraient imposer certaines entreprises en échange d'un maintien de l'emploi, pointant un risque de "déflation" : "Il faut éviter qu'on aille dans cette spirale low cost qui risque d'être extrêmement délétère."

franceinfo : Le chômage partiel est un dispositif absolument nécessaire pour amortir le choc ?

Philippe Askenazy : Oui, certainement. Et ce n'est pas qu'un choix particulier de la France. La France est même, d'une certaine manière, suiviste, puisque cela faisait partie du succès de la politique allemande lors de la récession de 2009 et qui est aujourd'hui mis en œuvre dans beaucoup de pays européens. Et dès à présent, l'Allemagne a prolongé le dispositif jusqu'à la fin 2020, en anticipant une période prolongée de difficultés pour les entreprises. Donc je pense que, vu l'ampleur de la récession que l'on connaît aujourd'hui, les très grandes incertitudes, c'est le premier levier que doivent utiliser l'État et les entreprises, surtout dans une perspective où l'on va avoir 700 000 jeunes qui vont arriver sur le marché du travail au mois de septembre.

Les entreprises risquent de demander aux salariés, comme certaines l'ont déjà fait, de travailler plus ou de baisser les salaires, qu'en pensez-vous ?

C'est le gouvernement lui-même qui a créé les accords de "performance collective", avec les ordonnances Macron de 2017, pour donner de la flexibilité aux entreprises. C'est normal d'une certaine manière qu'elles s'en saisissent. Je crois que c'est un enjeu très important, pour à la fois le monde des entreprises, les organisations syndicales et l'État, que ces accords soient bien calibrés. Le plus grand risque, en fait, c'est qu'en voulant aller vite, les entreprises, comme Ryanair l'a fait, mettent la pression sur les salariés et entraînent des baisses de salaires mais sans qu'il y ait une véritable logique productive, industrielle par derrière, et que ça se traduise comme on l'a déjà vu, d'un point de vue microéconomique, par une dégradation de la situation de l'entreprise parce que les meilleurs salariés, les salariés qui avaient les meilleures perspectives d'emploi, refusaient l'accord, préféraient se faire licencier avec des indemnités et retrouvaient des emplois par ailleurs. Et donc, les entreprises perdaient leurs meilleurs éléments, leurs meilleurs cadres. Et puis, il y a un autre danger qui, je pense, est bien plus macroéconomique. Si effectivement, des centaines et des centaines d'entreprises font ces accords qui induisent une baisse des salaires, on risque d'avoir un phénomène macroéconomique qui s'appelle la déflation. Et rentrer dans une spirale déflationniste serait bien pire.

Tout le monde dit que pour la relance, il faut la consommation. Et on sait qu'il y a déjà un problème de pouvoir d'achat en France. Il ne serait qu'accru par cela. Qu'en pensez-vous ?

Oui, certainement. En plus, il y a, on commence à le voir, des difficultés sur le marché immobilier. Donc, si on ajoute krach sur krach, en quelque sorte, on risque effectivement d'avoir un prolongement de la crise. C'est une crise assez particulière, liée à un arrêt brutal de l'économie, mais ça ne signifie pas que les fondamentaux de la capacité de l'économie française, en termes notamment de services, se sont obérés sur le long terme. Ça ne signifie pas que les besoins d'assurer la transition énergétique, l'adaptation de notre économie aux enjeux à la fois démographiques comme climatiques ne sont pas encore présents.

Il faut être plutôt dans un positionnement non pas ultra défensif, mais essayer de penser l'étape suivante. 

Philippe Askenazy, économiste du travail, chercheur au CNRS

à franceinfo

Et là, c'est l'État qui a lancé cette démarche avec les partenaires sociaux. Il faut éviter qu'on aille dans cette spirale low cost, en quelque sorte, qui risque d'être extrêmement délétère.

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