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Chômage partiel : Muriel Pénicaud a-t-elle raison de dire que six salariés du privé sur dix sont payés par l’Etat ?

Depuis les mesures de confinement mises en place par le gouvernement, de nombreux salariés sont concernés par le chômage partiel, parce que leur entreprise doit rester fermée ou alors a dû réduire ses activités.

Article rédigé par franceinfo - Perrine Roguet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Muriel Penicaud en mai 2020 près de Paris.  (CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / EPA POOL)

L’Etat paie-t-il les salaires de plus de la moitié des salariés du secteur privé, en raison du chômage partiel ? C’est ce qu’affirme Muriel Pénicaud, ministre du Travail, dans la matinale de BFM TV vendredi 15 mai : "Ça montre la gravité de la situation, que six salariés sur dix du secteur privé soient payés par l’Etat". Cela n’est pas tout à fait vrai. La cellule Vrai du faux vous explique pourquoi.

Plus de la moitié des salariés du privé font l’objet d’une demande de chômage partiel

Selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 12,3 mllions de salariés font l’objet d’une demande de mise en chômage partiel à la date du 12 mai 2020. Cela implique qu'ils ne travaillent pas, en raison de l'inactivité ou de la baisse significative d’activité de leur entreprise, due au confinement et aux mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Ce chiffre prend en compte les salariés français dans leur globalité, que ce soit dans les secteurs privés ou publics.

Dans le même rapport, on trouve la répartition de salariés faisant l’objet de cette demande, par secteur d’activité. L’administration publique, l’enseignement et l’action sociale qui englobent les salariés du secteur public représentent 7,2% de ces demandes. Pour arriver au ratio que donne Muriel Pénicaud sur les salariés du secteur privé, il faut donc retirer ce pourcentage du total des demandes. Un peu plus de 890 714 salariés du public, donc fonctionnaires, font l’objet d’une demande de chômage partiel. Il reste donc 11,4 millions de salariés du secteur privé concernés par une demande de chômage partiel.

Pour arriver à six salariés sur dix, il faut regarder combien de salariés compte le secteur privé en France. La Dares effectue, tous les trimestres, un recensement de l’emploi salarié en France. Ses derniers chiffres, publiés le 10 mars 2020, prennent en compte le dernier trimestre de l’année 2019. Dans un tableau, la Dares rapporte que le secteur privé emploie 19,7 millions de salariés. Actuellement, 11,4 millions d'entre eux font l’objet d’une demande de chômage partiel par leur employeur.

La proportion de salariés du secteur privé sous une demande de chômage partiel qu’annonce Muriel Pénicaud est donc exacte. Cependant le chiffre reste évolutif puisque de nouvelles demandes sont effectuées tous les jours. 

Un chômage partiel demandé n'est pas toujours un chômage partiel effectué 

Peut-on pour autant considérer que l’Etat paye le salaire de ces salariés ? C’est là que les choses se compliquent. Le chômage partiel est assumé entièrement par l’Etat à hauteur de 84% du salaire, mais seulement après une procédure en deux temps. D’abord, une entreprise fait une demande pour placer certains ou tous ces salariés en chômage partiel. C’est ce chiffre qui est communiqué par la Dares toutes les semaines. Ce chiffre pourrait d’ailleurs encore être revu à la hausse d’après la Dares que nous avons contactée, car les entreprises ont 30 jours pour faire cette demande. Pour une demande sur le mois de mars par exemple, une entreprise peut formuler la demande jusqu’à la fin du mois d’avril. 

Ensuite, les entreprises ont un an pour déclarer les heures effectivement placées en chômage partiel. C’est à ce moment là qu’elles rectifient la différence entre des besoins de chômage partiel anticipés et un chômage partiel effectif. Pour le mois de mars, la Dares estime que seuls 48% des salariés ayant fait l’objet d’une demande de chômage partiel ont effectivement été placés en chômage partiel. Mercredi 20 mai sur Cnews, Muriel Pénicaud annonce la publication d’une enquête, le jour même, commandée à la Dares. Elle revient notamment sur le chômage partiel effectif au mois d’avril. Pour se faire, la Dares s’est appuyée sur l’aide de plusieurs autres organismes. Entre le 1er et le 12 mai, les entreprises d’au moins 10 salariés, dans le secteur privé, en dehors du monde agricole ont été interrogées. La Dares note que "le nombre de salariés ayant été au chômage partiel (complet ou non) au cours du mois d’avril peut être estimé à 8,6 millions". Pour ce même mois, elle considère que 11,8 millions de salariés du secteur privé étaient susceptibles d’être placés au chômage partiel. A ce jour, on peut donc estimer que 73% des demandes de chômage partiel pour le mois d’avril ont été effectives.

Les salariés n’ont pas forcément été au chômage partiel pendant tout le mois. Près de "832 millions d’heures" ont été chômées, c’est un peu moins de trois semaines de chômage partiel effectif en moyenne. Là encore, la Dares appelle à la prudence sur ces chiffres, puisque les entreprises ont un an pour déclarer les heures. Elle indique qu’habituellement, ce genre de calculs sont effectués dans un délai de huit mois pour être consolidés.

Dans cette procédure, si un salarié est au chômage partiel pour le mois de mars par exemple, le salaire qui lui est versé à la fin du mois sort des caisses de l’entreprise. C’est seulement après la déclaration des heures de l’entreprise à l’Etat que l’Etat rembourse la somme avancée. Un remboursement qui, selon la ministre du Travail, dans la même interview, s’effectue "sous dix jours". Quand Muriel Pénicaud dit que "six salariés sur dix du privé [sont] payés par l’Etat", elle anticipe donc des chiffres qui ne sont pas encore quantifiables. Une entreprise pourrait avoir sur-estimé ou sous-estimé son besoin de chômage partiel.

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