Covid-19 : de l'hypervigilance à la lassitude, comment les mesures de lutte contre la pandémie jouent avec notre santé mentale
Reconfinement total puis local, gestes barrières, relâchements et reprises épidémiques... Un an après un premier confinement généralisé inédit pour lutter contre la propagation du coronavirus, sommes-nous trop usés par la pandémie pour rester vigilants ?
Un an déjà. Vous souvenez-vous du printemps 2020 ? Le confinement entré en vigueur le 17 mars n'était que la première phase de cette année pas comme les autres, marquée depuis par d'autres mesures sanitaires face à l'épidémie de Covid-19. Les nouvelles restrictions annoncées par le gouvernement jeudi 18 mars sont l'occasion de se remémorer nos comportements d'il y a un an et les changements qui se sont opérés dans nos vies. Si les restrictions sont toujours en vigueur à divers degrés en fonction des territoires pour tenter d'endiguer la pandémie, nous avons fait du chemin. Et pas toujours dans la bonne direction.
La précaution des débuts
Faire la queue pour entrer au supermarché. Enlever les chaussures sur le palier, déposer les sacs de courses dans le couloir et laisser mijoter 48 heures. Se laver les mains en rentrant, se débarrasser des emballages, se relaver les mains. Ou décontaminer les provisions à l'eau de javel... A Nantes (Loire-Atlantique) où il vit, Jocelyn Raude a vu comme chacun de nous les pâtes, le sucre et la farine disparaître des rayons. Cette panique collective, l'enseignant-chercheur en psychologie sociale à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) l'explique par notre "aversion à l'incertitude".
"Ce qui nous fait le plus peur, c'est ce que l'on ne connaît et ne comprend pas. Et là, nous arrive un virus dont on ne sait à l'époque quasiment rien..."
Jocelyn Raude, psychologueà franceinfo
Associé au projet Coviprev, mis en place dès le 23 mars 2020 par Santé publique France pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale des Français face à la crise sanitaire, il regarde sans jugement ces êtres hypervigilants que nous étions il y a un an, répondant collectivement à l'anxiété "par des comportements de précautions extrêmes et mimétiques qui sont un peu absurdes", note-t-il rétrospectivement.
A l'époque, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, prend la parole tous les soirs pour égrener le nombre de victimes. "A en croire le traitement médiatique de la situation de l'époque, c'est comme s'il y avait un risque imminent de mort pour quiconque contractait la maladie", abonde Abdel Halim Boudoukha, professeur en psychologie clinique et pathologique à l'université de Nantes. Lui aussi s'est lancé dès mars, avec une équipe du Laboratoire de psychologie des Pays de la Loire dans une étude sur nos comportements. "Aujourd'hui, la perception du risque est revenue à quelque chose de plus équilibré", constate-t-il, notamment parce que nos connaissances sur la maladie et ses modes de transmissions se sont rapidement étoffées.
Le relâchement progressif
Boire un verre en terrasse par tablée de six. Enfiler le masque pour payer ou aller aux toilettes. Inscrire son nom dans un registre, pointer l'heure d'arrivée au restaurant. Porter le masque dans le TGV, direction les vacances, pour savourer (enfin) la liberté retrouvée, à la mer, à la montagne ou à la campagne... Le déconfinement, enclenché le 11 mai, a donné aux Français l'occasion de souffler pendant quelques mois, avant l'arrivée, dès la rentrée de septembre, de la redoutée (mais attendue) deuxième vague. Cette parenthèse a mis en lumière la flexibilité de la population vis-à-vis des gestes barrières : "Quand la circulation virale est plus élevée, on observe une meilleure adhésion, un meilleur suivi des mesures de prévention. A l'inverse, quand la situation épidémiologique se calme, on observe un relâchement", décrypte Jocelyn Raude. Or, depuis la rentrée et l'annonce du deuxième confinement, en octobre, les études montrent "un relâchement progressif et surtout une décorrélation au fil du temps entre ces dynamiques épidémiques et l'adoption et l'adhésion aux mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics".
Pointant une forme de "banalisation de la maladie", il nuance cependant, en rappelant que certaines restrictions rencontrent encore un taux très élevé d'approbation, comme le port du masque dans les lieux de promiscuité tels que les transports en commun ou les commerces. Mais il s'effondre dès que vous allez dans les parcs ou les rues peu passantes. "Les gens appliquent les mesures quand ils en comprennent l'intérêt et c'est vrai qu'on a un peu appliqué un principe de précaution extrême sur le port du masque en extérieur, quand les données scientifiques, notamment celles de l'Institut Pasteur, vont dans le sens d'un faible risque de contamination dans ces conditions", explique-t-il.
La fatigue pandémique
Retour à la case départ. L'automne débute à peine que les Français découvrent le couvre-feu. Nous ne sommes plus "en guerre", ni "en vacances", mais simplement privés de sortie. La saison des soirées raclette ne se tiendra presqu'exclusivement que dans la clandestinité. Le confinement aménagé – avec ouverture des écoles – se mue en un couvre-feu, avancé à 18 heures au début du mois de janvier. Métro-boulot et grosse fatigue. "Les Français ont bien compris la volonté politique de tout faire pour diminuer les interactions sociales en face à face", pointe la géographe Lise Bourdeau-Lepage, qui a étudié l'impact du confinement sur le quotidien des Français. "Mais en être privé cela contribue à renforcer un mal-être, qui est en progression."
"Certains vont donc prendre le risque de ne pas respecter le couvre-feu et décider de passer la soirée chez des amis."
Lise Bourdeau-Lepage, géographeà franceinfo
Les conditions de vie des Français jouent ainsi un rôle-clé dans la difficulté à supporter – et donc à appliquer – les restrictions imposées pour lutter contre la pandémie, insiste Lise Boudeau-Lepage, d'autant plus que ces mesures s'inscrivent dans la durée. Et de citer notamment le cas des urbains, souvent stigmatisés à l'occasion de rassemblements dans les parcs ou, comme encore récemment, sur les quais de la Seine, à Paris. Des bouffées d'air et de sociabilisation indispensable pour lutter contre un phénomène déjà bien connu : la fatigue pandémique.
Un terme qui désigne "les conséquences des situations de stress liées à la crise sanitaire, dans laquelle on va retrouver des privations de liberté et tous les gestes et les comportements adoptés de sorte à limiter la propagation du virus, couplé à l'exposition de manière chronique et prolongée à des informations anxiogènes", résume Abdel Halim Boudoukha. "Ce n'est pas parce qu'il faut se laver les mains et ne pas se faire la bise que l'on commence à avoir des comportements révoltés, poursuit le psychologue. Mais parce que pour les plus vulnérables – les jeunes et les personnes âgées – l'équilibre de vie est rompu." Abdel Halim Boudoukha met ainsi en garde contre les effets dévastateurs de la fatigue pandémique, déjà quantifiables par une augmentation de la prise d'anxiolytiques et d'antidépresseurs par les citoyens français. "Ce comportement s'explique et il faut pouvoir le penser sans être dans une criminalisation, une incrimination ou un dénigrement", plaide le psychologue, qui se désole de l'utilisation du terme "covidiot" pour décrire une population en souffrance.
Dès la fin du premier confinement, une étude poussée sur l'acceptabilité des différentes mesures mettait déjà en exergue la lassitude des moins de 25 ans, bien plus vulnérables face à ces privations de liberté et donc moins enclins à les respecter. "On leur impose dans la durée des mesures qui ne sont pas celles qu'ils auraient choisies spontanément, et ce alors qu'ils sont les moins à risque face à l'épidémie. Bien sûr, ils font preuve d'altruisme, mais il est clair que les restrictions sont faites pour protéger les plus âgés", explique Bruno Ventelou, économiste de la santé et chercheur au sein du département environnement santé à la Aix-Marseille School of Economics et co-auteur de cette étude. Ainsi, les plus de 60 ans demeurent aujourd'hui les plus assidus en terme de respect des règles. "A chaque fois que l'on baisse l'âge de 10 ans, on constate graduellement une petite diminution du respect des comportements. Cela ne concerne donc pas que les jeunes", nuance Jocelyn Raude.
L'inévitable confusion
Les Alpes-Maritimes ? Confinées le week-end. Partout ? Non, sur le littoral. Et au-delà ? Parfois. Le port du masque ? Obligatoire partout ? En ville ? Dans quelles communes ? Dans quelles rues ? A la plage ? Oui à Nice. Mais pas à la Grande-Motte. "Le couvre-feu renforcé sur le plan local en fonction de la situation épidémiologique est vraiment quelque chose pour lequel les Français étaient d'accord depuis longtemps", explique Jocelyn Raude. Face au Covid-19, la tradition centralisée à la française a fini par montrer ses limites. Et de poursuivre : "A partir de mai-juin, on a vu l'appréciation des Français évoluer vers l'idée que ça n'avait pas de sens d'appliquer les mêmes règles partout." Dès lors, les mesures locales s'imposent : plus justes et pragmatiques, elles sont aussi – "et c'est leur principal défaut" – moins lisibles.
Outre l'adaptation des mesures en fonction de la situation sanitaire, beaucoup plaident aussi pour un ajustement des restrictions en fonction des publics concernés. C'est le cas de Bruno Ventelou, qui dresse le parallèle avec le concept de décision partagée : une doctrine utilisée en médecine visant à adapter le traitement en concertation avec le patient afin de s'assurer de son acceptabilité. "Sauf qu'ici, le patient, c'est la société", explique-t-il. Pour sa part, l'OMS préconise également une concertation avec la population et la mise en place de mesures localisées. "Adapter les politiques de restriction, on le fait déjà : c'est dans ce sens-là que les personnes âgées on eu à nouveau droit a des visites, dès lors que l'on a constaté un phénomène de glissement, avec des ainés qui se laissaient mourir fautes de relations sociales. Le gouvernement entend ces particularités", remarque Abdel Halim Boudoukha.
"On a compris que la durée de la pandémie conduirait au fait que le remède cause plus de dégâts, notamment psychologiques, que le mal."
Abdel Halim Boudoukha, psychologueà franceinfo
"Au début, ce qui structurait la peur, c'était l'infection, conclut Jocelyn Raude. Progressivement, cette peur s'est transformée. Aujourd'hui, ce qui fait le plus peur au gens, ce n'est plus de tomber malade, bien que ce soit encore le cas pour 50% des personnes interrogées, mais pour 90 % d'entre nous, c'est plus les effets de l'épidémie et des mesures de prévention sur l'état social et économique du pays : les emplois, l'activité économique, l'insertion professionnelle des jeunes..." Des craintes qui entrent en compte dans les décisions des pouvoirs publiques, au grand dam d'une partie du personnel soignant, qui alerte sur la reprise épidémique. Mais si beaucoup d'entre nous vivent encore sous le coup de couvre-feu ou de confinement partiel, une chose est certaine : nous ne sommes plus les mêmes qu'en mars 2020.
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