Covid-19 : le couvre-feu avancé à 18 heures est-il efficace ?
Le décalage du couvre-feu deux heures plus tôt a été décrété dans 25 départements, pour freiner la propagation du coronavirus. Toutefois, l'efficacité de cette mesure pose question.
Deux heures de moins de liberté, mais pour quoi faire ? Alors que la carte des départements soumis à un couvre-feu avancé ne cesse de se remplir, la question de l'efficacité de la mesure se pose. Depuis mardi 12 janvier, 25 départements au total sont placés sous couvre-feu de 18 heures à 6 heures. Quinze d'entre eux ont franchi le pas dès le 2 janvier. Les Alpes-Maritimes, la Moselle ou encore le Jura ont vu depuis dix jours leur vie ralentir à 18 heures, soit deux heures plus tôt que le reste de l'Hexagone.
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La mesure, qui bride le chiffre d'affaires des commerçants et oblige les habitants à réadapter leur quotidien, est loin de faire l'unanimité. Pourtant, compte tenu de l'accéleration épidémique et de la détection de plusieurs cas de contamination aux variants du virus détectés au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, elle pourrait être élargie à d'autres territoires. Un conseil de défense sanitaire est prévu mercredi 13 janvier, à la veille d'une nouvelle conférence de presse gouvernementale planifiée jeudi. Franceinfo fait un point sur les effets connus et attendus du couvre-feu anticipé.
Absence de consensus scientifique
Dès la fin 2020, l'annonce de la mesure a fait grincer des dents plusieurs scientifiques et élus. La pertinence d'avancer de deux heures l'heure de début du couvre-feu est loin de faire l'unanimité : si des épidémiologistes comme Yves Buisson, sur RMC, ont salué "une solution qui a fait ses preuves", l'effet concret de cette restriction est inconnu. "Un couvre-feu avancé à 18 heures ne changera pas grand-chose. Cela va embêter les gens et ne va pas beaucoup réduire le nombre de personnes qui se croisent et qui se contaminent", estime l'épidémiologiste Catherine Hill, dans les colonnes du Parisien. "On ne peut pas nous prouver scientifiquement qu'entre 18 heures et 20 heures, il y a une amélioration dans le cadre de l'épidémie sanitaire", a abondé Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, samedi sur RTL.
"On n'est pas tous d'accord, même en tant qu'infectiologues."
Eric Cua, infectiologue au CHU de Nice (Alpes-Maritimes)à franceinfo
L'objectif de la mesure, qui est "de naturellement limiter les contacts des gens" en rendant plus complexe "le fait de rencontrer de nouvelles personnes", comme l'explique Jean-Stéphane Dhersin, mathématicien et responsable de la plateforme Modcov19 de coordination de la modélisation de l'épidémie au CNRS à franceinfo, est pourtant pertinent. "Moins on a de contacts, moins on a de chances de se trouver contaminé. C'est assez logique, mais après est-ce que c'est suffisant ou pas, c'est la question", pointe Michèle Legeas, spécialiste en analyse et gestion des situations à risque sanitaire et enseignante à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).
Les preuves scientifiques font défaut à ce sujet : les contaminations liées aux réunions familiales ou amicales ainsi empêchées sont peut-être contrebalancées par les contaminations qui se déroulent dans les transports en commun avant 18 heures ou dans les lieux tiers. Le couvre-feu anticipé peut en effet conduire davantage de personnes à prendre les transports en commun en même temps ou encore à faire leurs courses au même moment dans les supermarchés. "On n'a pas de données chiffrées qui puissent nous permettre de savoir clairement quels sont les effets du couvre-feu avancé", regrette Emmanuel Rusch, épidémiologiste. "L'hypothèse qu'on fait, c'est qu'avec deux heures de restrictions supplémentaires, on réduit les échanges à risque".
Trop tôt pour tirer des conclusions
Dix jours après la mise en place de la mesure dans 15 départements, les premiers effets de ce couvre-feu anticipé sont scrutés. "Les résultats sont assez contrastés" selon les départements, analyse le président de la Conférence nationale de santé. Et surtout, ils nécessitent d'être consolidés : "Il faut attendre une quinzaine de jours, donc 10 jours ce n'est pas suffisant", explique-t-il, d'autant plus que les indicateurs scrutés ont pu être sensiblement modifiés par l'effet du réveillon de la Saint-Sylvestre et par la circulation de nouveaux variants du virus, qui restent de grandes inconnues.
"Ce que l'on peut constater, c'est que dans certains départements on peut avoir une forme de stabilisation de l'évolution du taux d'incidence. C'est le cas dans les Ardennes, par exemple. C'est un peu tôt pour dire qu'on a un ralentissement, mais on peut parler de stabilisation", poursuit-il, tout en précisant : "après, est-ce-que c'est lié à ce couvre-feu, ça je serais bien incapable de le dire". Le tableau épidémique est très complexe à appréhender, d'autant plus que tous les départements ne suivent pas la même inflexion : "Dans d'autres départements comme la Haute-Marne, cela continue à augmenter malgré le couvre-feu", note l'épidémiologiste. C'est également le cas dans les Alpes-Maritimes : le taux d'incidence continue de grimper et est passé de 341 pour 100 000 habitants pour la semaine du 28 décembre au 3 janvier à 465 pour la semaine du 4 au 10 janvier (contre 163 en moyenne sur le territoire français).
Et les indicateurs hospitaliers ne sont guère meilleurs : 85% des lits d'hôpitaux des Alpes-Maritimes étaient occupés par des patients Covid-19 le 11 janvier selon l'analyse de Covid Tracker. "De ce que je vois à l'hôpital de Nice et de ce que je sais des hôpitaux de la région, de Grasse ou d'Antibes, on n'a pas du tout vu les bénéfices de ce couvre-feu à 18 heures, c'est clair et net", lâche l'infectiologue Eric Cua du CHU de Nice, interrogé par franceinfo. "L'hôpital est en extrême tension", poursuit le médecin. Le nombre d'hospitalisations pour Covid-19 ne décroît pas, malgré la mesure. Toutefois, la moitié des patients hospitalisés "sont des gens d'Ehpad, donc pour qui ce couvre-feu à 18 heures n'a pas changé grand-chose".
Une balance difficile
Pour l'infectiologue, il faut frapper fort et revenir à un confinement strict au moins au niveau local "avant qu'il ne soit trop tard", afin de préserver le système hospitalier. Une solution demandée par plusieurs médecins, dont l'infectiologue Gilles Pialoux et l'association PandemIA, dans une tribune publiée lundi dans Le Monde. Mais le couvre-feu avancé à 18 heures, qui constitue une solution "d'entre-deux", comme la qualifie Michèle Legeas, n'est pas pour autant à déconsidérer.
"Il y a vraiment urgence. Notre système de santé est de nouveau en train de se tendre, et en même temps il faut pouvoir expliquer les éléments qui justifient les restrictions des libertés et des droits de l'homme", explique Emmanuel Rusch. La politique de santé actuelle ne consiste plus à tenter d'endiguer la progression de l'épidémie, mais à la freiner. "Ce qu'on essaie d'éviter, c'est l'inondation", analyse Michèle Legeas. Si la solution du couvre-feu avancé le permet, même de façon moins efficace qu'un confinement strict, elle peut se justifier, explique-t-elle : "Il va nous falloir énormément de patience, on est loin de voir le bout du tunnel." La gestion de la crise doit être également appréhendée de manière psychologique et sociale sur le long terme.
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