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En Chine, Fang Fang, auteure de "Wuhan, ville close", est menacée : "Je ne peux plus publier quoi que ce soit"

L’écrivaine chinoise, qui a relaté son confinement à Wuhan au jour le jour du 25 janvier au 24 mars 2020, témoigne pour la première fois des pressions dont elle a fait l’objet, de la part des autorités comme de celles de l’ultra-gauche nationaliste chinoise.

Article rédigé par franceinfo - Dominique André. Traduction : Geneviève Imbot-Bichet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'écrivaine Fang Fang, auteure de "Wuhan, ville close" (Editions Stock)  (WU BAOJIAN)

Âgée de 64 ans, issue d'une famille aisée d'intellectuels, Fang Fang est une romancière connue dans son pays, où elle a remporté en 2010 le plus prestigieux prix littéraire. Mais depuis son récit quotidien du confinement à Wuhan au début 2020, publié en France par les éditions Stock sous le titre Wuhan, ville close, elle est la cible des ultra-nationalistes chinois et mise à l'écart de la vie culturelle. "Je ne peux plus publier quoi que ce soit", dit-elle à franceinfo.

franceinfo : Votre journal de quarantaine, écrit en plein confinement à Wuhan, épicentre de la pandémie de Covid-19, a fait parler de lui dans le monde entier. Il vous vaut, depuis, des menaces sur internet, et une certaine forme de mise au ban. Pourquoi ?

Fang Fang : Je sais qui est à l’origine de ces attaques en ligne et pourquoi elles ont été lancées. Je trouve tout cela ridicule. De telles méthodes sont très proches de celles utilisées durant la Révolution culturelle, et elles correspondent exactement à ce que les ultra-nationalistes attendent. Ils n'ont de cesse que de pousser à une nouvelle révolution culturelle. Cette cyberviolence est scandaleuse, elle restera comme une honte dans l'Histoire. Comment aurais-je pu ne pas être en colère et ne pas être blessée alors que les officiels ont choisi de laisser faire ?

"Cela montre à quel point les ultra-nationalistes sont profondément enracinés en Chine et en particulier parmi les fonctionnaires."

Fang Fang

à franceinfo

Désormais, je ne peux plus publier quoique ce soit dans une revue où un magazine, mes romans ne peuvent plus paraître ici en Chine et il est hors de question que je sois invitée à participer au moindre événement littéraire. C’est la première fois que ça m’arrive depuis 1982, date à laquelle j’ai commencé à publier. Avec le temps, tout le monde comprendra que les calomnies et les blessures que j’ai subies ne reposent que sur des mensonges. 

Dans Wuhan, ville close, vous relatez des faits, mais aussi vos impressions. Que reste-t-il en vous ?

C’est encore très lourd. Je vis à Wuhan depuis plus de soixante ans. Je connais donc, de près ou de loin, beaucoup de gens. Je n’ai pas cessé d’entendre parler de morts autour de moi, ce qui m’a beaucoup affectée. D’autant que les nouvelles de toutes ces morts sont tombées presque toutes en même temps. Pour les familles des victimes, les cicatrices resteront à vie.

"Je pense à toutes ces personnes décédées qui n’ont pas réussi à se faire soigner et qui sont mortes sans aucune préparation psychologique, n’imaginant pas un instant qu’elles ne survivraient pas."

Fang Fang

à franceinfo

Au début de l’épidémie, les informations manquaient de transparence. Les gens vivaient dans l’angoisse. Mais le premier jour du Nouvel An, j’ai appris qu’une équipe médicale venait d’arriver de Shanghai. Un nombre considérable de fonctionnaires ont été mobilisés pour apporter leur aide aux habitants. Grâce à un isolement strict et à un traitement plus efficace, le nombre de malades a diminué et le nombre de guérisons a augmenté. Au milieu et à la fin de l’épidémie, l’organisation et la présence de nombreux volontaires ont montré leur efficacité. Les choses sont rentrées peu à peu dans l’ordre à Wuhan.

Alors que les experts de l’Organisation mondiale de la santé arrivent à Wuhan pour enquêter sur les origines de la pandémie, dans quelle situation votre ville se trouve-t-elle ?

En apparence, la ville est redevenue comme avant. Les centres commerciaux et les restaurants ont rouvert. Nous sortons manger avec des amis et ne portons pas de masque dans la rue. Mais certaines choses, moins visibles, ne reviendront jamais. Les petites échoppes par exemple, qui ont fermé, les gens qui sont morts. La mentalité de bon nombre de gens, dont je fais partie, a également changé. Après toute catastrophe, il y a toujours des heureux rescapés et des malheureux naufragés. Sur les tenants et les aboutissants de cette catastrophe, donner une explication au peuple est absolument nécessaire.

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