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Coronavirus : comment sera décidé le tri des patients admis en réanimation si les hôpitaux arrivent à saturation ?

L'épidémie de Covid-19 continue de s'accélérer en France et certains hôpitaux, notamment dans la région Grand Est, sont déjà saturés. Des équipes soignantes rapportent avoir déjà procédé à des choix douloureux entre certains malades.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une équipe médicale de l'hôpital de Mulhouse (Haut-Rhin) amène un patient souffrant du Covid-19 à un hélicoptère pour qu'il soit pris en charge dans un autre établissement, le 17 mars 2020. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

"J'en fais des cauchemars." Anne Geffroy-Wernet, présidente du SNPHARe (Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi), a fait part à franceinfo, mercredi 18 mars, de sa vive inquiétude face à la situation rapportée par le quotidien Le Parisien (article abonnés) : dans certains hôpitaux du Grand Est, des soignants rapportent avoir été contraints, parfois, de faire un tri parmi les patients admis en réanimation. Les établissements hospitaliers de cette région, la plus touchée de France par le coronavirus, sont saturés en raison de l'arrivée d'un grand nombre de malades.

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"Nous avons dû prendre cette décision pour une personne de 70 ans qui souffrait d'autres maladies et parce que nous n'avions pas assez de places", raconte au Parisien une infirmière de la région, sans parler toutefois d'une situation devenue chronique dans son hôpital.

"Sauver le maximum de personnes qui ont les chances de survivre"

En résumé, là-bas, comme partout ailleurs, les places en réanimation sont limitées, comme le nombre de respirateurs. Et si ces derniers venaient à manquer à cause de l'afflux massifs de malades, un tri entre eux devra être réalisé. Sur quels critères ? "Le président a dit que nous étions en état de guerre, ça veut dire qu'on va faire une médecine de guerre. Dans la médecine civile, on met tout en œuvre pour sauver les personnes. Dans la médecine de guerre, il faut sauver le maximum de personnes qui ont les chances de survivre", résume auprès du site d'informations Les Jours (en accès gratuit pendant le confinement), Yannick Gottwalles, chef de pôle des urgences de l'hôpital Pasteur à Colmar (Haut-Rhin).

La professeure Lila Bouadma, du service de Réanimation médicale et infectieuse à l’Hôpital Bichat, nuance ses propos auprès de franceinfo. "Etre en guerre contre le coronavirus ne signifie pas être en guerre contre le patient", insiste-t-elle.

On ne va pas trier comme dans les films catastrophe, où on va mettre un collier rouge à un patient, un collier bleu à un autre.

Lila Bouadma, service de réanimation de l'hôpital Bichat

à franceinfo

"Si l'on est débordés, mais j'espère que cela n'arrivera pas, peut-être que l'on fera de la médecine qui est un peu dégradée avec des médecins qui ont moins l'expérience de la réanimation, mais on assurera quand même notre rôle de réanimateurs en les aidant", affirme-t-elle, rassurante. Et de souligner : "Il n'y a aucun patient qui va être abandonné sur le bord du chemin."

"Dans toutes les situations, nous avons un critère : celui du juste soin pour le juste patient", expose dans les colonnes du Monde (article abonnés) Alexandre Demoule, réanimateur à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. "La réanimation, ce sont de gros moyens et des traitements qui peuvent être très invasifs. Quand vous les instituez, l'objectif est que le patient survive dans de bonnes conditions et ressorte avec une autonomie et une qualité de vie raisonnables", explique-t-il.

"Il faut que la réanimation soit utile au patient"

Autrement dit, le choix entre les patients sera aiguillé par leurs chances de se rétablir. Cela dépend notamment de l'état antérieur du malade et de son état clinique, relève Lila Bouadma. "Il faut que la réanimation soit utile au patient, qu'elle lui apporte un réel bénéfice. Cela n'a pas beaucoup de sens de lui apporter des soins si l'on sait que son état est trop sévère pour faire de la réanimation", abonde-t-elle. Impossible de dresser une typologie des patients admissibles en réanimation en cas de surchauffe, selon Anne Geffroy-Wernet, en poste au centre hospitalier de Perpignan (Pyrénées-Orientales).

Rien n'est écrit pour l'instant et je crois que rien ne sera vraiment écrit. Ce sera du cas par cas, situation par situation.

Anne Geffroy-Wernet, présidente du SNPHARe

à franceinfo

La priorisation des malades est, en réalité, déjà pratiquée de façon habituelle. "En temps normal, (...) les urgentistes et les réanimateurs ont l'habitude de trier les patients, non seulement pour déterminer une liste d'attente pour la prise en charge, mais aussi pour interroger au regard du pronostic l'indication thérapeutique de la réanimation", écrit dans une tribune publiée sur le site du Monde Frédérique Leichter-Flack, maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre et membre du comité d'éthique du CNRS. "En temps normal, ces pratiques de tri, de priorisation, d'arbitrages thérapeutiques restent dans le huis clos du colloque médical, poursuit l'autrice du livre Qui vivra qui mourra. Quand on ne peut pas sauver tout le monde (éd. Albin Michel, 2015). Mais ce tri devient plus visible et plus "spectaculaire" en raison de la pandémie, juge-t-elle.

Une décision collégiale

Les équipes médicales se retrouvent alors sous le feu des projecteurs alors que ce travail collégial se fait quotidiennement. Ce travail est réalisé, selon la loi, par deux médecins, "un médecin réanimateur et une personne qui n'est pas directement en contact avec le service de réanimation", explique Lila Bouadma. Cet autre médecin est "souvent, soit le médecin urgentiste (quand cela se passe la nuit et que le patient arrive aux urgences), soit – quand le patient est déjà dans notre service – un médecin traitant, que cela soit un médecin hospitalier ou un médecin de ville", poursuit-elle. "Et quand le patient n'a pas de médecin référent, nous pouvons prendre un médecin de l'hôpital qui connaît particulièrement bien la pathologie pour lequel le patient vient."

Ce sont pas uniquement les médecins du service de réanimation qui décident. Nous faisons toujours appel à quelqu'un d'extérieur pour que la décision ne repose pas sur une seule équipe.

Lila Bouadma

à franceinfo

Interrogé sur ces questions mercredi 18 mars dans l'émission "Quotidien", le ministre de la Santé Olivier Veran s'est refusé à parler de "tri". Mais si des choix difficiles doivent être pris, le ministre a demandé l'instauration d'une "cellule ethique" dans chaque établissement pour "guider le choix des médecins". Elles sera composée "de médecins, de philosophes, de sociologues". 

Même si le personnel soignant a l'habitude de faire des choix entre les patients et est formé à cela, Anne Geffroy-Wernet redoute la vague qui s'annonce et son lot de "décisions horribles". "Si nous sommes amenés à devoir faire de nombreux tris entre les patients, il faut s'attendre à un très grand nombre de syndromes post-traumatiques chez le personnel soignant", prévient-elle.

"Il va y avoir des morts parce que le Covid-19 est une pathologie grave, concède Lila Bouadma, indiquant qu'une assistance psychologique est déjà prévue dans son établissement. Il y a des soignants, peut-être les plus jeunes, qui vont craquer parce que la charge de travail sera énorme, parce qu'il sont moins habitués aux morts, parce que la situation est stressante. Mais un certain nombre de psychiatres et de psychologues nous ont proposé leur aide parce que tout le monde ne réagit pas de la même façon à une situation aussi exceptionnelle."

"On a fait tout ce que l'on pouvait pour se préparer"

Pour l'instant, en dépit de quelques situations signalées, la question de la priorisation des malades du Covid-19 admis en service de réanimation n'est pas encore généralisée en France. Et Anne Geffroy-Wernet espère toujours que le pays parviendra à éviter le pire. "Pour ne pas avoir à faire de tri entre les patients, il ne faut pas que les gens se déplacent, insiste-t-elle. C'est le principal message à faire passer."

Lila Bouadma va dans le même sens. "On a fait tout ce que l'on pouvait pour se préparer. C'est maintenant aux Français de nous aider, lance-t-elle. Il faut que chacun fasse un effort et suive les consignes pour que le débordement connu en Italie n'arrive pas en France."

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