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Coronavirus : devrions-nous finalement tous porter un masque ?

L'Académie nationale de médecine a recommandé, début avril, de rendre obligatoire le port du masque lors du déconfinement de la population, rompant avec le discours martelé jusque-là par les autorités sanitaires. 

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Des passants portent un masque dans une rue d'Aurillac (Cantal), le 17 mars 2020. (MAXPPP)

Vous couvrez-vous le nez et la bouche lorsque vous sortez faire les courses en cette période de confinement ? Que vous répondiez oui ou non à cette question, difficile de vous en vouloir, tant les discours des autorités sur le sujet ont varié ces dernières semaines.

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Prenez Olivier Véran. Le 21 mars, il était catégorique : "Une personne qui marche dans la rue pour aller faire ses courses n'a pas besoin de porter un masque, parce que le virus se transmet essentiellement par les mains." Deux semaines plus tard, dans un entretien à Brut, samedi 4 avril, il déclare que la France "doit être capable de produire des masques pour des personnes qui ne sont pas des soignants, (...) voire demain proposer à tout le monde de porter une protection".

Les recommandations évoluent avec la pandémie

Le ministre de la Santé n'est pas le seul à avoir changé de discours au sujet de l'efficacité du port du masque par le grand public pour lutter contre le Covid-19. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) elle-même ne sait pas vraiment sur quel pied danser. Dans une vidéo publiée sur YouTube début mars, une responsable des programmes d'urgence de l'organisation assurait que porter un masque sans ressentir de symptômes de la maladie pouvait être contre-productif, car l'objet pouvait "donner un faux sentiment de protection" et "même être une source d'infection si vous l'utilisez mal". Changement de ton, un mois plus tard, lorsque le directeur de ce même département de l'OMS a estimé que l'utilisation de masques, même artisanaux, par le grand public n'était "pas une mauvaise idée en soi".

Pourquoi une telle évolution ? D'abord pour une raison politique : au moment où les soignants, en première ligne face à la maladie, faisaient part de leur détresse face au manque de matériel, et particulièrement de masques, les effets d'un appel général à se couvrir le visage auraient pu être désastreux pour le personnel médical. "La politique de masques a été ajustée à nos capacités. Nous allons maintenant être en capacité de produire et d'importer massivement pour répondre à l'ensemble des besoins", a ainsi reconnu un conseiller du gouvernement, cité par Le Monde.

Ensuite, parce que l'ampleur de la pandémie a poussé les spécialistes du sujet à recommander des mesures drastiques, explique à franceinfo le professeur Yves Buisson, qui coordonne la cellule de veille scientifique sur le Covid-19 au sein de l'Académie nationale de médecine. Cette institution, chargée de conseiller le gouvernement en matière de santé publique, a fait sensation la semaine dernière en recommandant le port obligatoire du masque pour tous lors de levée du confinement.

Si nous avions fait cette recommandation il y a un mois, alors que tout le monde allait et venait librement dans l'insouciance, tout le monde aurait ri et parlé d'hyper précaution.

Professeur Yves Buisson

à franceinfo

"Ni les gouvernants ni les épidémiologistes n'envisageaient cela, on pensait que les mesures prises à l'époque pour endiguer les contaminations pouvaient suffire, poursuit ce spécialiste. Cette idée est venue progressivement, à mesure que nous constations le développement rapide de l'épidémie et sa forte mortalité. L'idée, maintenant, c'est d'employer les grands moyens."

La crainte d'une contamination par aérosols

Ce changement de doctrine s'explique aussi par de nouvelles interrogations. Après avoir longtemps insisté sur l'importance du lavage régulier des mains pour lutter contre le Covid-19, la communauté scientifique se penche désormais sur la transmission du coronavirus par les aérosols, c'est-à-dire les très fines particules que nous expulsons en expirant ou en parlant. On suspecte que "le virus puisse se transmettre quand les gens ne font que parler, plutôt que seulement lorsqu'ils éternuent ou toussent", a ainsi déclaré vendredi Anthony Fauci, expert reconnu des maladies infectieuses et conseiller de Donald Trump pour cette crise sanitaire.

"Lorsque l'on parle, on émet des grosses gouttelettes (d'une taille supérieure à 5 microns), qui retombent rapidement, et des particules très fines (moins de 5 microns) qui vont flotter dans l'air pendant quelques heures", détaille le professeur Yves Buisson. "Lorsque l'on marche dans la rue, il n'y a aucun risque, car ces particules très fines sont emportées par des déplacements d'air. Dans des espaces très confinés, comme des ascenseurs, des magasins, ou les transports en commun, ces aérosols peuvent se concentrer, rester un certain temps en suspension et jouer un rôle, même secondaire, dans la transmission du virus."

Sans être certaine, la transmission du virus par aérosol est possible. C'est cette suspicion qui pousse à prendre des précautions.

Jean-Paul Stahl, professeur d'infectiologie au CHU de Grenoble

à franceinfo

Même moins efficace qu'un masque chirurgical ou un masque FFP2, une simple protection en tissu du nez et du visage pourrait tout de même avoir la vertu de non seulement arrêter les postillons, mais aussi diminuer fortement l'émission d'aérosols. "C'est un acte altruiste : il ne s'agit pas de se protéger soi, mais de protéger les autres. Cela peut avoir un grand intérêt si vous êtes en période d'incubation et donc susceptible de contaminer d'autres personnes sans vous-même ressentir de symptômes", rebondit Yves Buisson.

Des règles à respecter avant de se masquer

Le membre de l'Académie de médecine souligne toutefois que cette mesure n'a d'intérêt que si elle est massivement appliquée, d'où l'idée de la rendre obligatoire lors de la levée du confinement. Cette méthode est d'ailleurs déjà appliquée dans des pays comme le Vietnam, Israël, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, certaines zones de Chine, ou encore à Nice (Alpes-Maritimes) ou Sceaux (Hauts-de-Seine).

Prudence tout de même, si vous décidez désormais de vous couvrir le nez et la bouche pour aller faire les courses : mal manipuler un masque, qu'il soit artisanal ou qu'il obéisse à des normes strictes, peut exposer à la contamination. "Vous pouvez avoir reçu des postillons sur votre masque, puis le manipuler avec vos mains avant de toucher votre visage et ainsi être infecté", prévient le professeur Jean-Paul Stahl.

Pour prévenir ces risques, il convient de se laver les mains avant et après toute manipulation du masque, et de le manipuler par les élastiques ou les lanières qui permettent de le maintenir en place. L'Association française de normalisation (Afnor), qui a publié un guide très précis pour fabriquer son propre masque, recommande également de le porter sur une peau nue, sans cheveux ni barbe. Il faut aussi éviter de le placer sous le menton ou sur le front le temps de fumer une cigarette : ces zones du visage pourraient avoir été exposées à des postillons, et repositionner le masque sur la bouche ne ferait qu'accélérer la contamination. Si vous utilisez un masque en tissu confectionné par vos soins, pensez enfin à le laver après chaque sortie, de préférence à 60 °C, et à le faire sécher totalement.

Les spécialistes sont enfin unanimes sur ce point : porter un masque ne doit pas donner le sentiment d'être mieux protégé contre le coronavirus, et l'ensemble de la population n'aurait d'intérêt à se couvrir le nez et la bouche que si elle continuait à respecter l'ensemble des gestes barrières pour lutter contre le Covid-19. "Le masque qui marche à tous les coups, c'est la distance", martèle Jean-Paul Stahl.

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