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Coronavirus : les professions libérales de santé s'inquiètent d'une possible pénurie de gants

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Personnel soignant retirant ses gants d'examen. (MICHÈLE CONSTANTINI
 / MAXPPP)

Eléments de protection indispensables, les gants d'examen deviennent de plus en plus difficiles à trouver pour les professionnels de santé qui exercent en libéral, dans un contexte où une reprise de l'épidémie de Covid-19 n'est pas exclue. 

"Si nous n'avons plus de gants, nous arrêterons de faire des tests PCR." Jean-Michel Elvira, ancien président de l'Onsil, l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux, remue ciel et terre pour trouver des gants d'examen pour son cabinet médical, où il officie avec sept collègues et effectue des tests de dépistage du Covid-19. Interrogé par franceinfo, cet infirmier libéral en Haute-Garonne juge "scandaleux" de "ne pas avoir des gants qu'on utilise en permanence et qui coûtent 10 centimes la paire à l'achat". 

Pour l'année 2020, la Malaysian Rubber Glove Manufacturers Association (Margma), un regroupement de fabricants de gants en caoutchouc malaisien d'où proviennent trois paires de gants en latex sur cinq vendues dans le monde, prévoit une augmentation de 20% de la demande mondiale. Les carnets de commandes de ses usines sont pleins jusqu'en 2021 alors que le coronavirus circule toujours et que certains secteurs d'activité restent fermés dans le pays, comme le rappelle l'ambassade de France à Kuala Lumpur.

Dans ces conditions, difficile de fournir tout le monde dans des délais raisonnables. Notamment la France, où infirmiers libéraux, laboratoires d'analyses mais aussi revendeurs peinent à se fournir en gants d'examen.

"Nos fournisseurs sont en rupture de stock"

"Depuis quatre semaines, les tests PCR à domicile s'accélèrent" constate Jean-Michel Elvira. Cette "explosion" des demandes liées aux sorties d'hôpital, mais aussi aux départs en vacances, contraint l'infirmier à travailler "dans des conditions déplorables", sans un équipement de protection individuelle (EPI) complet.

Hier [mardi 21 juillet], j'ai fait deux tests PCR. Pour le second, je n'ai pas mis de gants, alors que normalement il faut porter tout l'équipement.

Jean-Michel Elvira, infirmier libéral

à franceinfo

Economisant le moindre gant, il ne lui en restait, le 22 juillet, que dix paires, en latex, pour tenir jusqu'à sa prochaine livraison, qu'il espère rapide. Car après avoir appelé plusieurs fournisseurs sur le sol français, Jean-Michel Elvira a dû se rabattre sur un revendeur en Andorre.

Les deux principaux producteurs mondiaux de gants se trouvent autour de l'océan Indien. D'un côté, il y a la Chine, spécialiste des gants en vinyle et en nitrile médical, deux matières synthétiques. "Leurs ventes représentent plus de la moitié du marché mondial" précise, à franceinfo, Antoine Chonion, le dirigeant de Robé Medical, l'un des principaux vendeurs de produits médicaux en France. Ces deux types de gants offrent une alternative aux utilisateurs allergiques au latex. Même si les gants en nitrile présentent les mêmes qualités que ceux en latex, ces derniers semblent encore privilégiés par le monde médical.  

Et de l'autre, il y a la Malaisie, premier fabricant des gants en latex, ce caoutchouc naturel dont elle est une grande productrice. "Le caoutchouc est récolté et directement travaillé sur place pour préserver au maximum l'élasticité des gants", explique le revendeur. Cette année, le regroupement de fabricants de gants en caoutchouc malaisien Margma estime que la consommation mondiale devrait atteindre "330 milliards de paires de gants, et la Malaisie devrait en fournir environ 220 milliards" rapporte le site d'informations malaisien The Star (article en anglais).

Il y a une demande supplémentaire à affronter et c'est déjà un grand défi de répondre aux exigences actuelles.

Denis Low, président de la Margam

à "The Edge Market"

Cette production semble pourtant insuffisante face à la demande croissante. "Nos fournisseurs habituels sont en rupture de stock et les prix explosent" se désespère l'infirmier. "Nous les achetions entre quatre et cinq euros la boîte de 100. Aujourd'hui, ils coûtent entre 13 et 15 euros... Quand on en trouve", précise celui qui utilise entre cinq et 10 paires de gants par jour. Ce qui représente un budget conséquent pour tous les acteurs de santé en libéral. Pour le cabinet où exerce Jean-Michel Elvira, la consommation mensuelle de gants tourne autour d'une quarantaine de boîtes pour ses sept confrères et lui. Soit un budget qui est passé de 200 à 600 euros environ en à peine trois mois. 

"Pénurie mondiale", hausse des prix et fraude 

Car la hausse de la demande entraîne celle des prix. Si certains revendeurs augmentent leur prix de vente car les fabricants majorent les leurs, Robé Medical tente d'absorber au maximum cette inflation. "Les prix d'achat ont complètement explosé avec la demande qui s'est considérablement accrue, en plus de celle du milieu médical", constate Antoine Chonion, dirigeant de Robé Medical. Ce dernier avait envisagé un retour à la normale courant juillet et avait donc prévu ses stocks de gants en conséquence. Mais le virus étant toujours actif, Antoine Chonion est contraint de renouveler ses réserves plus rapidement que prévu et avec d'importantes difficultés dues à cette "pénurie mondiale touchant tous les secteurs". 

A chaque commande, les prix augmentent de 20 à 30%. Les conteneurs commandés en janvier à un prix normal ont doublé à l'arrivée. En tant que fidèles clients, nous avons encore des prix raisonnables, mais c'est compliqué de gérer une pénurie.

Antoine Chonion, revendeur

à franceinfo

Cette difficulté d'approvisionnement touche la plupart des revendeurs de l'Hexagone. "Depuis environ deux mois et demi, je reçois une vingtaine d'appels par jour pour des demandes de quantités colossales de gants, s'étonne un fournisseur en Pyrénées-Orientales, contacté par franceinfo. Je n'avais jamais vu ça." Pour tenter de répondre à cette demande exponentielle, il s'est tourné vers son fournisseur en Malaisie, lui demandant quand il pourrait le livrer. "Il m'a répondu : 'Pas avant décembre ou janvier 2021.' Alors j'ai laissé tomber", reconnaît celui qui, aujourd'hui, garde ses dernières boîtes en réserve pour ses clients les plus fidèles. "Je n'ai aucun stock pour de nouvelles demandes". 

Alors les ventes s'effectuent au compte-gouttes. Les quantités à l'achat sont "limitées" et "réservées" aux professionnels de santé. "Nous étions les seuls en France à proposer des gants en juin", rappelle Antoine Chonion. "Nous privilégions nos ventes aux médecins de ville ou infirmières en libéral et les limitons à 10 boîtes maximum par acheteur. Mais c'est difficile de refuser à une maison de retraite ou à des pharmacies qui vont commander 10 fois 10 boîtes pour des aides-soignantes, alors nous tentons de trouver des solutions", souffle le dirigeant de Robé Médical, qui doit jongler avec des délais de livraison rallongés. "En Chine, ils sont un petit peu moins tendus, avec des délais autour de deux mois, alors qu'en Malaisie, les livraisons sont au mieux pour la fin de l'année" précise-t-il.  

L'émergence de fraudes est une autre conséquence de cette "pénurie". Le président du regroupement de fabricants de gants en caoutchouc malaisien a d'ailleurs alerté début juin. "Alors que la demande mondiale de gants continue de grimper en raison de la pandémie écrasante, des fraudeurs et des escrocs sont rapidement apparus et nuisent à la fois aux véritables vendeurs et acheteurs du secteur", a-t-il déclaré dans un communiqué cité par The Star

Le ministère de la Santé en alerte

Du côté du gouvernement, la direction générale de la santé (DGS), ayant constaté "une hausse de la consommation, entre cinq et 20 fois la demande normale selon le type d'EPI", a mis en place un "dispositif d'approvisionnement massif ", précise-t-elle à franceinfo. Ce dernier repose sur un pont aérien et maritime permettant notamment d'acheminer des gants vers la France. Le ministère de la Santé assure ainsi pouvoir répondre à la fois aux besoins des établissements de santé et reconstituer un stock.  

Si une pénurie est constatée, c'est aux établissements de faire remonter très rapidement leurs besoins aux ARS pour enclencher un flux de réapprovisionnement en urgence.

La direction générale de la santé

à franceinfo

Ce "stock de sécurité des EPI" est calculé pour "30 jours de consommation de crise" afin de permettre la prise en charge de "29 000 patients de réanimation et 36 000 patients d'hospitalisation", précise la DGS. Mais il concerne uniquement le périmètre logistique du ministère de la Santé. Les professions libérales ainsi que les laboratoires d'analyse, autre grands consommateurs de gants, doivent donc trouver leurs propres sources d'approvisionnement.

Afin de limiter la consommation de gants au strict usage nécessaire, la DGS a sollicité la Société française d'hygiène hospitalière (SF2H) courant mai afin d'édicter "des mesures d'utilisation de gants à mettre en place dans le cas d'une éventuelle pénurie", précise le Dr Bruno Grandbastien, président de la SF2H, à franceinfo. "Dans un contexte d'approvisionnement mondial tendu, nous ne sommes pas surpris d'avoir cette demande et nous avons émis un avis début juin."

La pénurie de gants est grandement liée à un mésusage des gants, utilisés en grande partie en dehors de la communauté de soins et en dehors des utilisations requises en milieu médical.

Bruno Grandbastien, président de la Société française d'hygiène hospitalière

à franceinfo

Dans ses recommandations, la SF2H, "sachant qu'il n'y a pas de solution alternative possible", insiste sur une "utilisation au plus juste des gants". "La réalisation d'un test PCR est un geste qui nécessite le port de gants car il y a un contact avec la muqueuse nasale. Tout comme la prise de sang. Mais il n'est pas utile de porter des gants pour la prise en charge d'un patient ou d'un résident d'un Ehpad par exemple", souligne le Dr Bruno GrandBastien.

"D'ailleurs un mésusage des gants à usage unique contribue à augmenter les risques d'autocontamination. Le recours à la friction hydroalcoolique est à privilégier", précise-t-il. Une solution plus efficace, notamment pour le grand public, et qui permet d'économiser les gants.  

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