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Coronavirus : pourquoi l'Allemagne semble-t-elle mieux gérer l'épidémie que la France ?

Franceinfo a comparé la situation française avec celle de notre voisin outre-Rhin autour de trois critères : la politique sanitaire, l'état du système hospitalier et le financement de la recherche. 

Article rédigé par Juliette Campion - Noémie Leclercq
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Un infirmier à l'hôpital universitaire d'Essen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 1er avril 2020.  (INA FASSBENDER / AFP)

Alors que le Covid-19 sévit en Europe depuis bientôt deux mois, l'Allemagne affiche un taux de mortalité bien plus faible que ses voisins. Selon le dernier bilan de l'Institut Robert-Koch (RKI), du vendredi 3 avril, 1 017 Allemands sont morts du virus, pour 79 696 cas recensés (soit un taux de mortalité de 1,3%). Dans le même temps, la France affiche un bilan bien plus lourd avec 4 503 morts à l'hôpital pour 59 105 cas recensés (soit 7,6% de mortalité), selon les données rendues publiques le 2 avril. 

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De plus, les hôpitaux allemands sont encore loin d'être saturés. A tel point que, depuis la mi-mars, plusieurs dizaines de malades de la région Grand Est sont transférés par l'armée allemande vers les hôpitaux des régions frontalières, comme la Sarre ou la Rhénanie-Palatinat. L'Allemagne fait figure de modèle dans sa prise en charge de l'épidémie. Stratégie sanitaire, systèmes hospitaliers et avancée de la recherche : franceinfo a identifié trois domaines de comparaison entre les deux pays pour savoir où se situe l'Hexagone par rapport à son voisin. 

Deux stratégies sanitaires très différentes

En Allemagne. Le pays a commencé très tôt à faire tester ses habitants. "Les tests sont le pilier de la stratégie allemande", analyse Laurent Desbonnets, correspondant de France Télévisions outre-Rhin. Dès le premier cas avéré en Bavière, à la mi-janvier, une politique massive de dépistage a été mise en place, à l'initiative de l'Institut Robert-Koch, établissement de référence pour la recherche appliquée et la santé publique en Allemagne. "Le gouvernement s'appuie sur les laboratoires indépendants, disséminés sur le territoire. Dès janvier, il leur a communiqué à chacun le modèle pour réaliser le test", décrit Laurent Desbonnets. 

"Je crois que l'Allemagne a très rapidement pris conscience du début de l'épidémie. Nous l'avons fait deux ou trois semaines plus tôt que certains de nos voisins. Nous y sommes arrivés parce que nous avons énormément diagnostiqué, beaucoup testé", explique le professeur Christian Drosten, directeur de l'Institut de virologie de la Charité à Berlin, à l'hebdomadaire Die Zeit (en allemand). 

Chaque semaine, entre 300 000 et 500 000 personnes sont testées en Allemagne. Et le gouvernement d'Angela Merkel ne compte pas s'arrêter là : un document du ministère de l'Intérieur, révélé le week-end dernier par plusieurs médias, prescrit une stratégie inspirée de la Corée du Sud, avec pas moins de 200 000 tests par jour. Les tests ciblent principalement deux catégories de personnes : celles qui présentent des symptômes de la maladie (même bénins) et toutes celles qui ont été en contact avec des malades.

Ces tests sont réalisés dans les centres hospitaliers et chez les généralistes, parfois aussi directement sur les patients installés dans leur véhicule. L'objectif ? Isoler les malades le plus vite possible."N'importe qui testé positif se retrouve strictement confiné", explique Laurent Desbonnets. Car en Allemagne, il n'y a pas de confinement strict, même si, dans les faits, les règles sont presque les mêmes qu'en France : seuls les commerces de première nécessité sont ouverts, et les déplacements sont drastiquement limités. "Le fait que l'on identifie autant de personnes infectées nous permet de limiter leurs contacts, donc de limiter le nombre de morts", explique le professeur Thomas Schulz, médecin à l'institut de virologie de Hanovre (Allemagne), interrogé par franceinfo.

En France. Côté français, le rythme de dépistage n'a rien à voir avec celui de l'Allemagne, ce qui suscite l'indignation d'une partie du corps médical. Cela s'explique notamment par le manque de tests nasaux PCR, qui permettent une détection immédiate du virus, car ceux-ci sont majoritairement produits à l'étranger. "On est totalement incapables de tester à très grande échelle parce qu'il n'y a pas d'industrie de biologie moléculaire en France", explique Michel Bendahan, pharmacien biologiste, à L'Opinion (article abonnés).  

Pour rationner les kits de dépistage, les tests n'étaient pratiqués jusque récemment qu'en cas de symptômes graves, sur les personnes ayant été en "contact étroit" avec un cas confirmé ou ayant voyagé dans une "zone d'exposition à risque", comme l'expliquait Le Parisien, mi-mars. Mais le 16 mars, l'OMS a appelé les Etats à dépister massivement tous les cas suspects, obligeant la France à revoir sa doctrine. Les autorités sanitaires réalisaient alors 10 000 tests par jour. Le 24 mars, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a assuré que la France allait "démultiplier le nombre de tests sur le territoire", ce qu'il a répété quatre jours plus tard, affirmant vouloir parvenir à 30 000 tests quotidiens d'ici "une grosse semaine". Puis ce chiffre devrait être porté à "50 000 fin avril", a précisé le ministre, "60 000 en mai et 100 000 en juin". Des "drive-tests" ont d'ores et déjà été mis en place depuis la fin de la semaine dernière dans plusieurs villes. 

Des dépenses de santé plus élevées outre-Rhin

En Allemagne. "Nous avons peut-être le meilleur système de santé au monde", a déclaré Angela Merkel dans son discours télévisé, mercredi 18 mars. Il est vrai que l'Allemagne est particulièrement bien dotée en soins intensifs, avec 28 000 lits de réanimation, selon le ministre allemand de la Santé. Elle compte au total 6 lits pour "soins aigus" pour 1 000 habitants, soit l'un des taux les plus élevés des pays de l'OCDE. Au total, 25 000 sont équipés d'une assistance respiratoire. Il faut dire que les principaux fabricants mondiaux de respirateurs, Draeger et Löwenstein, sont implantés outre-Rhin. 

Comme l'explique franceinfo dans cet article, l'Allemagne fait également partie des Etats les mieux dotés de l'OCDE en lits pour "soins aigus", c'est-à-dire les lits d'hôpitaux régulièrement entretenus et dotés de personnel (hors psychiatrie et soins de longue durée). Le système allemand possède 6,02 lits pour 1 000 habitants et talonne ainsi la Corée du Sud et le Japon. 

Mais la pandémie révèle tout de même certaines faiblesses du système hospitalier allemand. "Ces derniers mois, certains lits de soins intensifs ont été fermés parce qu'il n'y avait pas assez de personnel" compétent disponible, a récemment décrit Reinhard Busse, spécialiste en économie de la santé à l'Université technique de Berlin. Depuis plusieurs années, quelque 17 000 postes d'infirmier ne sont pas pourvus. La situation est telle que nombre d'établissements, dont le grand CHU berlinois de La Charité, ont dû appeler à l'aide étudiants en médecine ou retraités du secteur.

Autre difficulté majeure dans un pays à la population vieillissante : le départ d'une grande partie des 200 000 aides-soignantes à domicile polonaises, ukrainiennes ou des pays baltes qui portent quotidiennement assistance à des personnes âgées, dont le nombre est estimé entre 300 000 et 500 000. Des départs qui font craindre un nouveau désastre sanitaire.

En France. Si le système hospitalier français est réputé comme l'un des plus performants en Europe, la vague épidémique survient alors que l'hôpital public traverse une crise sociale sans précédent depuis plus d'un an, mettant en tension des services qui fonctionnaient déjà à flux tendu.

Le nombre de lits disponibles est un indicateur intéressant pour situer la France par rapport à ses voisins. L'Hexagone est ainsi un peu en dessous de la moyenne des 35 pays "développés" membres de l'OCDE, avec 3,1 lits pour 1 000 habitants, soit moitié moins que l'Allemagne, selon les données d'Eurostat. Un chiffre en baisse de près de 10% sur dix ans, en raison du développement des opérations en ambulatoire (sans nuit à l'hôpital) et de réductions budgétaires. 

Confronté à une surcharge des services de réanimation, le gouvernement souhaite augmenter le nombre de lits, "pour atteindre un objectif de 14 000 à 14 500 lits de réanimation sur tout le territoire national", a indiqué Olivier Véran, samedi 28 mars,  contre 5 000 lits actuellement. En Ile-de-France, la situation est de plus en plus tendue : sur 1 500 places dans les services de réanimation de la région parisienne, 1 300 sont actuellement occupées. Par endroits, comme en Seine-Saint-Denis, les hôpitaux sont déjà saturés.

Les statistiques 2019 de l'OCDE indiquent que la France se place en troisième position mondiale pour les dépenses de santé calculées par rapport au pourcentage du produit intérieur brut. Mais elle tombe à la douzième place lorsqu'on rapporte ces dépenses au nombre d'habitants. "En 2018, selon l'OCDE, les dépenses de santé par habitant représentaient 5 847 dollars (5 200 euros) en Allemagne, 4 931 dollars (4 300 euros) en France", relève Le Monde diplomatique (article abonnés)

Un budget recherche en augmentation en France… mais pas à la hauteur de l'Allemagne

En Allemagne. Si le pays a été si réactif dans sa politique de dépistage, c'est aussi parce qu'on doit la découverte du premier test mondial de détection du Covid-19 à l'un de ses ressortissants, le scientifique Olfert Landt, et son équipe de chercheurs. Le 17 janvier, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) officialisait la validation de ce test, avant même le protocole chinois (approuvé le 24 janvier). Fin février, Olfert Landt affirmait à CNN (article en anglais) avoir produit 4 millions de tests. 

L'Allemagne est l'un des leaders de l'OCDE en matière de dépenses dans le domaine de la recherche. Et le ministère allemand de la Recherche compte accélérer les choses. Il a déclaré vouloir débloquer 150 millions d'euros pour soutenir la mise en place d'un réseau permettant d'améliorer les échanges entre laboratoires et hôpitaux universitaires. Ce réseau aura aussi pour mission de compiler des données sur tous les patients atteints du Covid-19 afin d'avoir une vue d'ensemble de leurs antécédents médicaux et de leur constitution, et d'aider à concevoir un vaccin.

En France. Le budget 2020 de la recherche en France a été "sanctuarisé", c'est-à-dire qu'il n'a pas baissé par rapport à l'année précédente. Il atteint 25,49 milliards d'euros, soit 500 millions d'euros de plus que l'an dernier. Déjà, en 2019, le budget était en hausse. "Ces augmentations sont par définition positives, mais beaucoup de rapports ont rappelé qu'une nation comme la France, pour se comparer et se maintenir par rapport à ses voisins, devrait faire un effort bien plus considérable", explique David Larousserie, journaliste scientifique au Monde, sur France Culture

Par rapport à l'Allemagne, les dépenses de recherche, publiques et privées confondues, sont vraiment différentes. Plus de 90 milliards d'euros par an [en Allemagne], 50 milliards en France.

David Larousserie, journaliste au "Monde"

Sur France Culture

Un constat partagé par Samuel Alizon, directeur de recherche sur les maladies infectieuses au CNRS. "Le financement de la recherche et du développement en France est risible par rapport à l'Allemagne", affirme-t-il à franceinfo. Il pilote depuis peu les recherches sur un modèle prédictif, qui consiste à explorer les différents scénarios de sortie du confinement. "Les Britanniques ont fait beaucoup de modélisations de l'après-confinement. En France, rien n'a été lancé. On s'y est donc mis avec mon équipe, début mars, alors que ce n'est pas notre cœur de métier", déplore le chercheur. 

"Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheurs de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Or, la science ne marche pas comme cela. Cela prend du temps et de la réflexion", renchérit Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus, dans une interview donnée au Monde (article abonnés). Le scientifique dénonce "le temps perdu" sur la recherche concernant le Covid-19 à cause d'une baisse des investissements. Ses études sur les coronavirus ont débuté en 2002, quelques mois avant que l'épidémie de Sras n'émerge en Chine. Mais, comme l'explique LCI, qui cite Bruno Canard, les crédits ont fondu au fur et à mesure que cette épidémie se retirait de l'actualité, dès l'été 2003. 

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