Coronavirus : pourquoi la situation à Mayotte est inquiétante
Alors que l'épidémie de Covid-19 s'accélère dans le 101e département français, le confinement pousse la population dans une extrême précarité et met en relief les problèmes structurels dont souffre Mayotte.
Le 7 mai dernier, après presque huit semaines d'un confinement destiné à lutter contre l'épidémie de Covid-19, Edouard Philippe annonçait le retour progressif à la normale sur le territoire français. A une exception près : "A Mayotte, le nombre de cas est faible, mais il est en augmentation. Nous avons décidé de retarder le déconfinement, pour nous donner tous les moyens de maîtriser l'épidémie", déclarait le Premier ministre.
De fait, le 101e département français est le seul où l'épidémie continue de progresser, en décalage avec le reste de la France. Le tout premier cas de Covid-19 y a été confirmé le 14 mars, trois jours avant le confinement, alors qu'au niveau national, on en comptait déjà 4 500.
Mayotte a ensuite dépassé le cap des 500 cas confirmés le 30 avril, et l'épidémie de Covid-19 continue d'accélérer. Jeudi 14 mai, l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte dénombrait 1 210 cas confirmés et 50 personnes hospitalisées, dont 10 en réanimation.
"L'épidémie est devant nous", estime Julien Thiria, directeur de la santé publique à l'ARS de Mayotte. Alors que les premières hypothèses prévoyaient un pic de l'épidémie vers le 20 mai, les dernières modélisations plaideraient plutôt pour un pic début juin. Et, le 13 mai, le Conseil scientifique a recommandé le maintien du confinement jusqu'au déclin de l'épidémie. Franceinfo vous explique pourquoi la situation de l'archipel suscite l'inquiétude.
Des mesures d'exception prises en urgence
Mayotte ne dispose que d'un hôpital, à Mamoudzou, la préfecture. Il peut accueillir, en temps normal, 16 personnes en réanimation. Mais selon les scénarios d'une épidémie virulente affectant l'île dans les prochaines semaines, les besoins de places en réanimation pourraient être deux fois plus élevés, explique l'ARS.
Pour faire face à un embrasement épidémique, les autorités sanitaires ont pris des mesures exceptionnelles. "Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'accueillir 38 patients en réanimation, explique Julien Thiria. Et pour désengorger les services de Mayotte, nous avons mis en place des transferts par avion de patients vers La Réunion." Pour l'instant, 25 de ces transferts, appelés "évasan" pour "évacuations sanitaires", ont été réalisés, principalement pour des patients en civière, certains non concernés par le Covid, permettant de dégager de la place au Centre hospitalier de Mayotte (CHM). "Aujourd'hui, les services sont en tension, mais pas encore saturés", précise Julien Thiria.
Un constat que confirme Christophe Caralp, responsable du pôle urgences et réanimation du CHM. "On a une activité par vagues, qui mettent en tension nos équipes pendant 24 heures", décrit-il.
On arrive à gérer avec les places disponibles, mais il y a maintenant la crainte de recevoir des vagues plus importantes et plus fréquentes.
Christophe Caralp, chef des urgencesà franceinfo
Les chambres de l'hôpital sont aussi engorgées par une épidémie de dengue particulièrement intense cette année. Avec des symptômes parfois proches de ceux du coronavirus, la dengue a conduit 340 personnes dans les services d'hospitalisation depuis janvier, dont 22 en réanimation, et fait 16 victimes. "Jamais Mayotte n'avait connu une épidémie d'une telle intensité", observe Julien Thiria.
Le 8 mai, le ministère des Outre-mer a également décidé de l'envoi de forces de santé supplémentaires et de l'installation d'un module de l'hôpital de campagne mobilisé dans le Haut-Rhin par l'armée. Il devrait comporter 10 lits de réanimation, mais, étant bientôt installé dans un bâtiment du CHM en substitut de ce qui existe déjà, cela correspondrait à quatre lits supplémentaires, indique l'ARS.
Enfin, le porte-hélicoptère Mistral a effectué le 11 mai sa dernière rotation vers Mayotte, acheminant 500 tonnes de fret, dont du matériel médical, comme des solutions hydroalcooliques. "Il nous a aussi apporté un hélicoptère destiné à l'hôpital, pour faciliter les transferts entre les centres de soin et le CHM, et éviter les embouteillages en cas d'urgence", détaille Julien Thiria.
Des carences sanitaires et une crise alimentaire
Malgré ces mesures, Mayotte hérite d'un contexte criblé de carences sanitaires et économiques, que la crise actuelle ne fait qu'exacerber. Dans un rapport publié en février 2020, le Défenseur des droits pointait des "carences structurelles" en matière d'accès à la santé, avec "20 médecins généralistes pour une population estimée à 250 000 habitants, une absence de médecin scolaire, et un ratio de 1,6 lit d'hôpital pour 1 000 habitants (contre 6 lits/1 000 habitants en métropole)".
Plus de 80% des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et un tiers de la population n'a pas accès à l'eau courante. Pour Julien Thiria, de l'ARS, "nous avons un facteur protecteur, qui est que la moitié de la population a moins de 18 ans, et on sait que les jeunes sont moins touchés par le Covid-19. Mais on a d'autres facteurs aggravants, comme l'obésité ou le diabète." A Mayotte, près d'une personne sur dix est diabétique, soit deux fois plus que le niveau national, pour une des maladies chroniques les plus fréquentes dans les causes de comorbidités du Covid-19.
Mais par-dessus tout, la crise sanitaire est doublée d'une crise alimentaire apparue au fil des semaines. Le confinement a provoqué la disparition d'un large pan de l'économie informelle, plongeant les nombreuses familles qui en vivaient dans une précarité extrême.
Daniel Gros est retraité de l'Education nationale et habite dans un quartier pauvre de Mamoudzou. Il arpente régulièrement les bidonvilles pour raconter sur son blog les difficultés du confinement. "Les enfants ne mangent pas à leur faim, alors qu'avant, il y avait l'école, où ils pouvaient manger", témoigne-t-il.
La situation socio-économique de Mayotte a été aggravée par le confinement.
Daniel Gros, blogueurà franceinfo
A l'hôpital, le docteur Caralp dresse un état des lieux préoccupant. "Le confinement a entraîné des problèmes de dénutrition, chez les enfants notamment. On constate aussi une augmentation des violences intrafamiliales", déplore-t-il.
En première ligne, les associations sont sollicitées notamment par la préfecture pour distribuer des vivres. Mais il leur est difficile de réaliser un recensement exhaustif de la population dans le besoin. Et les distributions alimentaires ont parfois donné lieu à des scènes de cohue où des dizaines de personnes s'agglutinaient les unes aux autres, plus angoissées de ne pas pouvoir manger que d'attraper ou de transmettre le virus. Pour Daniel Gros, "tout le monde se démène, mais les besoins sont tellement immenses que la meilleure volonté du monde ne peut pas tous les régler".
Un confinement parfois impossible
Le confinement est aussi rendu difficile par les conditions d'hébergement. Alors que le thermomètre oscille ces jours-ci entre 25 et 30 °C, près de la moitié des logements sont faits de tôle, parfois sur de très petites surfaces et sans fenêtre. Surmonter un confinement de plus de deux mois y semble impossible. "Le virus est trop abstrait par rapport à ces difficultés", estime Daniel Gros.
D'ailleurs, avec le temps, Anne Giraud, sage-femme libérale à Mayotte, voit ses patientes revenir. "Au début, les gens ont plus ou moins respecté le confinement, on voyait moins de gens en consultation. Mais maintenant, les patients viennent un peu plus."
Ils nous disent que même s'ils voulaient rester confinés chez eux, ça ne serait pas possible.
Anne Giraud, sage-femmeà franceinfo
Avec le ramadan, la rupture du jeûne le soir multiplie aussi les rassemblements en famille ou entre voisins.
Le département fait également face à de nombreux actes de délinquance. Des magasins sont pillés, des routes sont coupées, et des émeutes opposent régulièrement des groupes de jeunes aux forces de l'ordre. Des problèmes qui ne sont pas nouveaux à Mayotte, mais qui sont exacerbés par la crise sanitaire et le confinement.
Résultat, les Mahorais sont exaspérés. Estelle Youssouffa, du Collectif des citoyens de Mayotte, résumait la situation, sur franceinfo, le 9 mai : "On est avec une épidémie de dengue, une épidémie de coronavirus, et par-dessus une anarchie avec des pillages, des coupeurs de route, des personnes qui rompent le confinement et qui se lancent dans des agressions sur les personnes, des incendies volontaires. On a une très forte angoisse, celle de voir notre département basculer."
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