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Coronavirus : sept questions sur le tocilizumab, ce traitement qui montre des résultats prometteurs pour les cas sévères

Dans une première étude de l'AP-HP, cet anti-inflammatoire a permis une amélioration "significative" des chances de survie des malades. Mais ces résultats ont encore besoin d'être confirmés.

Article rédigé par franceinfo
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Une infirmière au chevet d'un malade du Covid-19 au sein de l'unité de soins intensifs de l'hôpital privé des Peupliers, à Paris, le 7 avril 2020. (THOMAS COEX / AFP)

Comme pour toutes les pistes de traitement contre le Covid-19, l'annonce suscite beaucoup d'espoirs. L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a annoncé, lundi 27 avril, avoir obtenu des résultats prometteurs en administrant à des patients un anti-inflammatoire, le tocilizumab, dans le cadre d'un premier essai clinique sur 129 patients.

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Le traitement "améliore significativement le pronostic" de ces malades, qui sont moins nombreux à devoir être placés en réanimation et à décéder, expliquent les chercheurs. Franceinfo vous explique en quoi consiste ce traitement et ce que l'on peut en espérer.

1Pourquoi les résultats sont encourageants ?

Dans le cadre de cet essai mené dans plusieurs hôpitaux de l'AP-HP, les chercheurs ont suivi 129 patients qui présentaient des formes moyennes ou graves du Covid-19 mais "ne nécessitant pas de réanimation". Ils ont été scindés en deux groupes : en plus du traitement habituel – "l'oxygène, les antibiotiques, les anticoagulants..." détaille Olivier Hermine, un des coordinateurs de l'étude , 65 d'entre eux ont reçu du tocilizumab.

Un mois jour pour jour après le début de l'essai, les entrées en réanimation et les décès représentent une "proportion significativement plus faible" du groupe traité au tocilizumab, a dévoilé l'AP-HP lundi. "On a diminué de façon significative ce nombre de patients qui passent en réanimation ou qui meurent, a résumé Olivier Hermine lors d'une conférence de presse. On sait que quand on ne va pas en réanimation, on a beaucoup plus de chances de survivre." 

Cependant, les chercheurs n'ont pas communiqué le décompte précis des entrées en réanimation et de la mortalité dans les deux groupes de patients. On ignore dans quelle ampleur le traitement a permis d'améliorer leur état. Les résultats détaillés de cet essai "vont être soumis pour publication dans un journal à comité de lecture", explique l'AP-HP, et ne seront dévoilés qu'une fois qu'ils auront obtenu cette validation, s'ils l'obtiennent. "On ne peut pas donner les résultats au grand public sans qu'ils aient été évalués", a justifié Philippe Gabriel Steg, vice-président de l'AP-HP en charge de la recherche, mardi sur franceinfo. En conférence de presse lundi, il disait espérer une publication "dans quelques jours".

Mais selon lui, il s'agit de "la première démonstration rigoureuse, exemplaire, par une méthodologie indiscutable d'essai randomisé contrôlé, d'un bénéfice clinique chez les malades sévères Covid", tous traitements confondus. Ce résultat justifie, à ses yeux, l'annonce avant même de pouvoir en révéler tous les détails : il affirme qu'il est éthiquement impossible de "garder pour soi" la découverte d'un traitement efficace en cette période d'épidémie.

2A quoi sert ce traitement ?

Il a été testé dans le cadre d'un essai plus large de plusieurs traitements, pour lequel n'étaient sélectionnées que des substances "déjà existantes, et qui doivent être disponibles largement". Le tocilizumab existe depuis 2010 et sert principalement à traiter des malades de la polyarthrite rhumatoïde : environ 10 000 personnes suivent ce traitement en France, a expliqué lundi Xavier Mariette, autre coordinateur de l'étude. "On connaît donc très bien l'efficacité de ce médicament dans ce contexte, et la tolérance chez ces patients", s'est-il félicité.

Administré par perfusion, le tocilizumab appartient à la catégorie des anticorps monoclonaux, produits par le système immunitaire et clonés pour être utilisés de façon thérapeutique.

3Contre quel phénomène permet-il de lutter ?

Ce traitement ne cible pas directement le coronavirus, mais une réaction immunitaire qu'il provoque chez certains patients et qui semble jouer un rôle clé dans l'aggravation des cas : les orages de cytokine. La réaction inflammatoire de l'organisme, qui permet normalement d'éliminer le virus, devient alors trop importante, au point d'affaiblir le système immunitaire et de provoquer des dommages pour les tissus touchés, en général les poumons. "Cet orage inflammatoire survient environ au 8e ou 10e jour de l'infection et va aggraver l'état respiratoire de ces patients", explique Xavier Mariette.

Les cytokines, au cœur de ce phénomène, sont les protéines "qui communiquent entre les différentes cellules pour activer le système inflammatoire", explique Xavier Mariette. Les chercheurs ont notamment ciblé une de ces cytokines, l'interleukine-6, dont on retrouve des concentrations "extrêmement élevées" chez les malades. D'où l'intérêt du tocilizumab, dont l'action consiste justement à "bloquer le récepteur de cette interleukine-6" pour empêcher la réaction inflammatoire. Il va donc "réussir à empêcher" les orages de cytokine.

4Pourra-t-il convenir à tous les patients ?

Les tests n'ont pour l'instant concerné qu'une catégorie bien précise de patients, choisis parce qu'ils n'étaient pas encore en réanimation, mais déjà atteints de formes graves de la maladie. "Ça concerne 5 à 10% des patients infectés par ce coronavirus, mais ce sont les patients les plus graves", a justifié Xavier Mariette lors de la conférence de presse des chercheurs lundi. Le tocilizumab présenterait-il le même intérêt pour des patients atteints de formes moins graves ? On l'ignore pour l'instant.

5Est-on certain que ça marche ?

Pour l'instant, les évaluations sont toujours en cours mais l'équipe responsable de cette étude s'est montrée très confiante : "La nature et la solidité de ces résultats a conduit les scientifiques à considérer qu'ils étaient communicables", a expliqué le directeur général de l'AP-HP, Martin Hirsch, lundi. Mais ils n'ont pas encore été validés par le comité scientifique d'une revue, une procédure indispensable qui est en cours.

Par ailleurs, ces recherches ne suffisent pas. Si d'autres études, notamment en Chine, d'une ampleur moindre et au protocole moins rigoureux, avaient déjà montré des résultats encourageants, "il faudra impérativement que d'autres essais contrôlés randomisés [c'est-à-dire avec deux groupes de patients répartis au hasard dont un ne reçoit pas le traitement] confirment ces premières données", a expliqué lundi Xavier Mariette. Un mois après le début de l'étude, l'état de santé des patients continue par ailleurs à être suivi, ont expliqué les chercheurs.

6Est-ce le seul remède possible contre les orages de cytokine ?

Pas forcément. L'efficacité du tocilizumab était testé dans le cadre d'une série d'essais cliniques de plusieurs traitements possibles, qui suivent le même protocole et portent tous sur des moyens potentiels de lutter contre les orages de cytokine. "D'autres essais" portant soit sur "d'autres inhibiteurs des récepteurs de l’interleukine-6" soit sur "d'autres immunomodulateurs" sont "actuellement en cours d'analyse", a indiqué l'AP-HP lundi. Mais le tocilizumab est le premier traitement à montrer de tels résultats.

7Pourquoi ces résultats sont-ils accueillis avec moins de méfiance que ceux du Dr Raoult sur la chloroquine ?

Si l'étude sur le tocilizumab ne permet de dire qu'il s'agit d'un remède miracle, elle est loin de présenter autant de failles que celles de Didier Raoult. Le cas de l'hydroxychloroquine, testée à l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, a particulièrement déchaîné les passions : ses études ont suscité un espoir chez une partie du grand public, de la classe politique et même chez des scientifiques, mais se sont attiré des critiques sévères d'une bonne partie de la communauté scientifique. 

La dernière étude de Didier Raoult n'a pas été soumise à un comité de lecture indépendant. Les critères de choix des patients et leur état avant le traitement n'ont pas été dévoilés alors qu'on sait que l'étude de l'AP-HP ne concerne que des patients hospitalisés sous respirateur, mais pas placé en réanimation. Et, surtout, aucun chiffre précis ne permet, dans l'étude sur l'hydroxychloroquine, de comparer la santé des patients avec celle de malades comparable et n'ayant pas reçu le médicament – tandis que l'AP-HP a également suivi un groupe de patients ne recevant pas de tocilizumab, et fonde son optimisme sur cette comparaison. Enfin, le tocilizumab ne présente pas les mêmes effets secondaires graves, notamment cardiaques, que l'hydroxychloroquine. 

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