Covid-19 : dans les comptes de Michel et Myriam, gérants de deux cinémas, dont le chiffre d'affaires a chuté de 62%
Les salles gérées par Michel Ferry et Myriam Djebour sont à l'arrêt depuis le 29 octobre, après une première fermeture au printemps.
"Pour l'instant, on tient le coup. Mais ça va dépendre de combien de temps ça dure." Michel Ferry, 55 ans, et Myriam Djebour, 44 ans, mariés depuis deux ans et parents d'une petite fille de 3 ans, sont à la tête de deux cinémas : les Carmes à Orléans (Loiret) et le Select à Granville (Manche). Comme toutes les salles de France, leur activité est à l'arrêt depuis le 29 octobre, après une première fermeture pour raisons sanitaires au printemps. "La culture est sous cloche", s'émeut Myriam.
Les Carmes sont une institution à Orléans. C'est le cinéma d'art et d'essai de la ville. Michel, qui a travaillé derrière la caméra comme assistant de réalisateurs comme Louis Malle puis comme documentariste, en a fait l'acquisition en octobre 2013, avec le programmateur Pierre de Gardebosc. L'entreprise était alors en redressement judiciaire. Il avait été contacté par les salariés, dont Myriam faisait partie, qui étaient en quête d'un repreneur. Il en est l'actionnaire principal. Myriam et deux de ses collègues sont ses salariés, mais aussi ses associés. Devenus un couple à la ville, Michel et Myriam ont acquis le Select en 2016 pour 1,2 million d'euros. Un investissement réalisé en partenariat avec le distributeur Jour2Fête (Un pays qui se tient sage, Merci patron !...) en recourant essentiellement à l'emprunt. Mais avec le Covid-19, les plans de financement du couple sont totalement chamboulés.
"Nous avons été fermés pendant la période la plus importante de l'année"
Michel et Myriam ouvrent leur comptabilité. La chute du chiffre d'affaires en 2020 est vertigineuse. En 2019, le cinéma Les Carmes, à Orléans, a généré 865 351 euros, en TTC, c'est-à-dire avant paiement du personnel, des distributeurs, des charges et des taxes. En 2020, leur chiffre d'affaires a été divisé par plus de deux, à 368 628 euros. Au Select, le cinéma de Granville, les recettes ont été divisées par trois, passant de 908 032,31 euros en 2019 à 301 302,09 euros en 2020.
Cette dégringolade est due aux fermetures ordonnées au printemps, puis à partir du 29 octobre. Sur la période octobre-décembre, le Select n'a produit que 19% du chiffre d'affaires réalisé sur la même période en 2019, et Les Carmes, 26%. "C'est dramatique, parce que nous avons été fermés pendant la période la plus importante de l'année", explique Michel.
"L'annulation de la sortie de 'Mulan' nous a porté un grand coup"
La fermeture n'explique pas ces pertes à elle seule. L'été n'a pas fait recette non plus. Sur les mois de juillet et août, Les Carmes ont généré 22% moins d'argent qu'en 2019. Au Select, c'est encore pire : la bascule est de -65%. Le public ne s'est pas bousculé pour revenir devant les grands écrans. En cause, la peur du virus, mais aussi la décision des distributeurs de décaler, voire de retirer des salles les blockbusters de l'été. "L'annulation de la sortie de Mulan nous a porté un grand coup à Granville. C'est un cinéma grand public. Et c'est le film avec lequel on pouvait espérer attirer les spectateurs", juge Myriam. Annoncée au départ pour l'été, la superproduction de Disney a fini sur sa plateforme de streaming Disney+. Au total, les deux cinémas ont fait 172 864 entrées de moins qu'en 2019, soit une baisse de 62%.
"Même sans public, nous devons faire tourner les machines"
Pour compenser les pertes, Michel et Myriam ont agrandi leur étal de vente de DVD dans le hall des Carmes. "Mais c'est symbolique. Ça ne représente rien par rapport à ce que l'on perd", affirme Michel. De fait, les DVD ont rapporté 3 978,63 euros en 2020, soit seulement 814,63 euros de plus qu'en 2019. A titre de comparaison, 86 017 euros de confiseries et de pop-corn avaient été vendus en 2019, pour les deux cinémas. En 2020, c'est près de trois fois moins : 28 469 euros de sucreries ont été écoulées.
En période de fermeture, les projecteurs doivent quand même fonctionner au moins deux fois par semaine. "Eh oui, même sans public, nous devons continuer à les faire tourner. Ce sont des machines qui ne sont pas faites pour être arrêtées", explique Myriam. Les projecteurs n'aiment pas le froid non plus, il faut chauffer les cabines et les salles. Michel et Myriam l'ont découvert à leurs dépens en décembre. Les connexions électriques de l'un des projecteurs de Granville avaient rouillé. Coût du remplacement : 30 000 euros.
Résultat, les factures d'électricité restent presque aussi salées qu'en temps normal. A Granville, les factures EDF de 2020 atteignent 19 592 euros. A peine 6 000 euros de moins qu'en 2019. Et à Orléans, elles ont légèrement augmenté de 16 217 euros en 2019 à 17 847 euros en 2020. Mais cette hausse s'explique aussi en partie par les travaux de construction d'une quatrième salle réalisés dans le courant de l'année.
Les autres charges n'ont pas vraiment baissé non plus. A Orléans, la mairie, propriétaire des locaux, a bien décidé de faire grâce du loyer de 2 700 euros par mois, depuis mars. Mais à Granville, l'emprunt qui a permis de racheter les lieux en 2016 doit continuer d'être remboursé, après un moratoire de six mois. Les échéances de 10 000 euros par mois ont repris en octobre.
Après le premier confinement, à leur réouverture, le 22 juin, les deux cinémas avaient mangé leur trésorerie. Et avec elle, la part qui devait revenir aux distributeurs à la fin de l'année. Pour rentrer tant bien que mal dans leurs frais, l'ensemble du personnel, dont Myriam fait partie aux Carmes, est au chômage partiel. Contrairement aux années précédentes, aucun saisonnier n'a été appelé en renfort pendant les périodes de vacances. Et Michel et Myriam ont dû se résoudre à mettre un terme au contrat d'un de leurs quatre salariés au cinéma de Granville. Michel a passé tout son été en Normandie, pour tenir la caisse du Select. C'est lui qui venait ouvrir les portes tous les jours à 14 heures et qui les refermait le soir en partant.
"Sur les deux mois de juillet et août, il ne s'est accordé qu'un jour de congé, un dimanche. Moralement, ça pèse, cela signifie pas de vacances, pas de répit au moment où c'était possible. On a aussi l'impression d'un stop and go épuisant. Un coup, il faut s'y mettre de façon intense et hop, un coup on ferme. C'est très très rude."
Myriam Djebourà franceinfo
Les aides ? "Ça ne suffit pas"
Il faut dire que les aides de l'Etat sont bien maigres par rapport aux pertes des deux cinémas. De mars à octobre, chacune des deux salles a perçu 1 500 euros par mois du fonds de solidarité mis en place par le gouvernement. En novembre, cette compensation a été portée à 10 000 euros. Ce qui fait 44 000 euros au total (à fin novembre). A cette somme s'ajoute une aide de 6 700 euros versée par la région Normandie. Les deux cinémas ont également touché des compensations du Centre national du cinéma (CNC), pour un montant total de près de 100 000 euros. Mais ces subventions sont très loin de combler le trou financier créé par la crise. "Ça ne suffit pas", lâche Michel.
Avec Myriam, ils ont contracté deux prêts garantis par l'Etat (PGE), de 225 000 euros chacun, pour leurs deux cinémas, dès le mois de mars. "Je les avais pris au cas où j'en aurais besoin. Pour l'instant, je n'ai pas eu à trop taper dedans. Mais c'est très tendu. Et si je dois les utiliser, alors je me retrouverai avec le même taux d'endettement qu'il y a quatre ans. C'est un retour en arrière et ça donne l'impression que ces dernières années n'ont servi à rien en termes de trésorerie et de remboursement", précise Michel.
Au-delà du très lourd impact financier provoqué par la pandémie, Michel et Myriam regardent avec inquiétude les nouvelles habitudes prises depuis un an par les amateurs de cinéma. "Les gens se sont tellement habitués à regarder les films chez eux, sur des plateformes comme Netflix ou Amazon, qu'on aura un gros travail à faire pour les ramener dans les salles de cinéma. Particulièrement sur les jeunes générations", redoute Michel. Myriam est plus optimiste que son mari. "Vous savez, quand vous allez voir un film au cinéma, vous gardez les images dans la tête pendant des semaines. Et ça, c'est quelque chose que la télévision et internet ne sont pas capables de procurer."
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