Covid-19 : enquête sur le P4 de Wuhan, ce laboratoire en partie financé par la France où a été identifié le virus
Voulu et construit avec l’aide de la France, le très sensible laboratoire de virologie P4 de Wuhan a peu à peu échappé au contrôle des scientifiques français. Selon la cellule investigation de Radio France, un vaccin contre le Covid-19 y a récemment été testé.
On dit de Wuhan, 11 millions d'habitants, que c’est la plus française des villes de Chine. On y trouve un musée de l'Urbanisme français et une gare TGV dont le toit évoque un oiseau migrateur. Anne-Isabelle Sigros, qui était cheffe de chantier pour l'agence d’architecture AREP, s’en souvient : "On était dans des marais et des champs. On a planté la gare là, et aujourd’hui la ville l’a rejointe".
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Sur la rive nord, on trouve encore des traces de la concession française, non loin du désormais célèbre marché couvert aux poissons de Huanan. Sur l’autre rive, les avenues rectilignes, qui filent vers l'aéroport, aboutissent à une zone industrielle où prospèrent une centaine d'entreprises françaises, parmi lesquelles Peugeot-Dongfeng, Renault, Eurocopter, Schneider Electric, L'Oréal ou encore Pernod-Ricard...
Une coopération prometteuse
Dans les années 2000, la coopération franco-chinoise à Wuhan se poursuit dans le domaine médical. En 2003, le SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère frappe la Chine. Le pays a besoin d’aide. Le président Jiang Zemin, dont le mandat s'achève, est un ami du docteur Chen Zhu. Ce Shanghaien francophile a été formé à l'Hôpital Saint-Louis, dans les services d’un proche de Jacques Chirac, le professeur Degos. Lorsque Hu Jin Tao succède à Jiang Zemin, Jean-Pierre Raffarin va rencontrer le médecin. Puis, en octobre 2004, lors d’un voyage à Pékin, Jacques Chirac scelle une alliance avec son homologue chinois. Les deux pays décident de s’associer pour lutter contre les maladies infectieuses émergentes. Ce partenariat semble d’autant plus nécessaire qu'un autre virus, celui de la grippe aviaire, le H5N1, vient frapper la Chine.
L’idée du P4 prend forme
De là va naître l’idée de construire à Wuhan, en collaboration avec la France, un laboratoire de type P4. Autrement dit de très haute sécurité biologique, pour l'étude de virus pathogènes inconnus pour lesquels on n'a pas de vaccin. Il existe une trentaine de ces structures dans le monde, dont certaines sont labélisées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Mais le projet provoque des résistances. D’abord, des experts français en guerre bactériologique se montrent réticents. Nous sommes dans l’après 11-septembre. Le SGDSN (secrétariat général à la Défense et à la Sécurité nationale) redoute qu’un P4 puisse se transformer en arsenal biologique.
À cela s’ajoute un autre grief de la part de la France. La Chine refuse de lui préciser ce que sont devenus les laboratoires mobiles de biologie P3 qui avaient été financés par le gouvernement Raffarin après l'épidémie de SRAS. "Les Français ont été un peu refroidis par le manque de transparence des Chinois", explique Antoine Izambard, auteur du livre Les liaisons dangereuses. "Leurs explications sont restées opaques sur l'utilisation qu'ils pouvaient faire de ces P3. Certains dans l'administration française pensaient donc que la Chine ferait sûrement un usage similaire du P4. Cela suscitait énormément de craintes".
Les travaux démarrent
Mais peu à peu, ces réserves vont être levées. Et en 2004, un accord signé par Michel Barnier, ministre la Santé de Jacques Chirac, lance le projet du P4 chinois. Il reste à trouver un lieu. Puisque Shanghai est trop peuplée, ce laboratoire sera installé en périphérie de Wuhan. En 2008, un comité de pilotage est créé. Il sera dirigé par un Français, le Lyonnais Alain Mérieux, et le docteur Chen Zhu. En 2010, l'administration Sarkozy annonce à l'OMS que les travaux commencent.
Une quinzaine de PME françaises très spécialisées prêtent alors leur concours pour construire le laboratoire. "Ces labos P4, c'est vraiment de la technologie de top niveau, comparables à celle des sous-marins nucléaires français pour ce qui est de l'étanchéité de certaines pièces", précise encore Antoine Izambard. Mais ce sont des entreprises chinoises qui assureront l’essentiel de la construction, ce qui n’est pas toujours du goût des Français. Technip par exemple, refusera de certifier le bâtiment.
Le 31 janvier 2015 le chantier se termine enfin. Dans son livre, Antoine Izambard décrit un endroit austère. "Au bout d’une route à six voies", écrit-il, on trouve "un immense immeuble en briques rouges en construction, [destiné à accueillir 250 chercheurs en résidence], un autre hautement sécurisé que l'on prendrait pour une prison [un bunker de quatre étages avec quatre labos étanches], et un dernier blanc et rectangulaire sur lequel est écrit ' Wuhan Institute of Virology'."
Les Chinois reprennent le contrôle
En 2015, Alain Mérieux quitte la coprésidence de la Commission mixte qui supervisait le projet. À l’époque, il explique au micro de Radio France à Pékin : "J'abandonne la coprésidence du P4 qui est un outil très chinois. Il leur appartient, même s’il a été développé avec l’assistance technique de la France". Mais il ne s’agit pas pour autant de couper tous les liens. "Entre le P4 de Lyon et le P4 de Wuhan, précise-t-il, nous voulons établir une coopération étroite. En Chine, il y a beaucoup d'animaux, l'aviculture, les problèmes de cochons, qui eux-mêmes sont des transporteurs de virus. Il est impensable que la Chine n'ait pas un laboratoire de haute sécurité pour isoler des germes nouveaux dont beaucoup sont d'étiologie inconnue."
Une collaboration en trompe l’œil
Le 23 février 2017, l'ex Premier ministre Bernard Cazeneuve et la ministre de la Santé Marisol Touraine annoncent que 50 chercheurs français viendront en résidence au P4 de Wuhan pendant cinq ans. La France s’engage alors à lui apporter une expertise technique, ainsi que des formations pour améliorer le niveau de biosécurité du laboratoire, et à lancer un programme de recherche commun. Mais les chercheurs français ne viendront jamais. "C'est dommage dans la mesure où on avait lancé le projet avec l'espoir qu'il apporterait de la connaissance partagée, regrette Marisol Touraine. On ne pouvait pas évidemment anticiper l'épidémie actuelle. Mais en février 2017, on misait sur les espoirs de cette coopération".
Quoi qu’il en soit, la mise en exploitation du labo a lieu en janvier 2018. Elle coïncide avec la première visite d'État d’Emmanuel Macron à Pékin. Mais dès le début un doute s’installe sur sa fiabilité. Selon le Washington Post, en janvier 2018, des membres de l’ambassade américaine visitent les locaux et alertent Washington de l’insuffisance des mesures de sécurité prises dans un lieu où l’on étudie les coronavirus issus de chauves-souris.
Autre déconvenue : la coopération franco-chinoise espérée entre le P4 Jean Mérieux-Inserm de Lyon Bron et celui de Wuhan ne démarrera jamais vraiment. Alain Mérieux lui-même le confirme à la cellule investigation de Radio France : "On peut dire sans dévoiler un secret d'État que depuis 2016, il n'y a pas eu de réunion du comité franco-chinois sur les maladies infectieuses", reconnaît-il. Contrairement aux promesses initiales, les Chinois travaillent donc sans regard extérieur de chercheurs français. "Le laboratoire est loin de tourner à plein régime", précise encore Antoine Izambard. "Ils ont construit un immense immeuble qui doit accueillir 250 chercheurs, mais ils ne sont pas encore là. En temps normal, il n'y a que quelques chercheurs chinois de l’Institut de virologie de Wuhan qui mènent des recherches sur des animaux en lien avec trois maladies , Ebola, la fièvre hémorragique Congo Crimée, et le NIPAH [un virus véhiculé par les porcs et les chauves-souris]".
Une nouvelle occasion manquée
Avant la crise du Covid-19, une autre collaboration a semblé vouloir prendre forme. En 2019, le président chinois Xi Jinping demande à l'un des vice-présidents du comité permanent de l'Assemblée populaire d’imaginer ce que pourrait être un bouclier sanitaire pour la province du Yunnan. Là-bas, de nombreux hommes côtoient les animaux sauvages. De cette promiscuité naît un risque d’apparition de nouveaux virus transmissibles à l’homme. "C'est un grand pays qui a pas mal bouleversé ses écosystèmes avec cultures et élevages gigantesques", confirme Gilles Salvat, docteur vétérinaire et directeur général de la recherche à l'ANSES. "C'est vrai que c'est une source de virus à cause des interactions animaux sauvages et domestiques, sur un pays continent avec tous les climats".
Créer un centre de surveillance sur la grande région pourrait donc permettre de prévenir le développement de nouveaux virus, de type coronavirus par exemple. Une fois de plus, c'est le Docteur Chen Zhu qui porte ce projet. Il en parle à son ami Alain Mérieux. Ce dernier l’évoque avec Philippe Etienne qui est alors conseiller diplomatique du président Macron. Selon un média chinois en ligne, China-info.com, un projet prend forme. Il consiste à créer un réseau sentinelle qui réunirait les Instituts Pasteur France, avec des antennes de la fondation Mérieux au Laos, au Cambodge, et au Bangladesh.
Mais une fois de plus, l’enthousiasme sera de courte durée. Le 24 mars, Xi Xinping, Emmanuel Macron et leurs épouses dînent à la Villa Kerylos sur la côte d’Azur. Le lendemain, le communiqué final ne fait aucune mention de ce projet. Il ne sera pas non plus évoqué lors du voyage officiel en Chine d'Emmanuel Macron en novembre 2019. Il est vrai qu’un autre sujet sensible focalise l’attention. La peste porcine est arrivée en France, et les éleveurs font pression pour pouvoir continuer à exporter en Chine. Le bouclier sanitaire sera donc remisé à plus tard…
Un essai de vaccin sur des humains
Le P4 de Wuhan ne sera cependant pas resté inactif lors de l’apparition du Covid- 19. C’est là que, selon deux sources fiables, bien que non confirmées par les autorités chinoises, à la fin décembre 2019, le professeur Shi Zhengli a identifié le nouveau coronavirus à partir d’échantillons prélevés sur cinq malades des hôpitaux municipaux de Wuhan. Le 3 janvier, le séquençage complet de son génome commence dans un autre laboratoire, le P3 de la clinique centrale de Santé publique de Shanghai, qui le partagera ensuite avec d’autres pays. Dans le même temps, le P4 de Wuhan travaille sur un singe cobaye infecté, dans le but d’obtenir un sérum. "Les Chinois sont de bons candidats pour produire un vaccin", estime Gilles Salvat. "Ils ont des étudiants dans le monde entier. Ils ont 40 chercheurs sur un sujet quand nous on en a deux. Leur puissance de feu est redoutable en matière d'innovation et de biologie", commente-t-il.
Officiellement le P4 ferme le 23 janvier, lorsque le confinement est prononcé à Wuhan. Mais selon plusieurs sources françaises et chinoises contactées par la cellule investigation de Radio France, à la mi-mars, un essai de vaccin a eu lieu en partenariat avec une société de biotechnologie chinoise. Selon nos informations, un virus a d’abord été inoculé à des singes, avant d’être inactivé puis injecté à des personnels volontaires de l’institut dont dépend le laboratoire. "Les premiers inoculés sont des volontaires et ça s'est bien passé", nous a confirmé le docteur Zhao Yan qui codirige l'Hôpital Zhongnan de Wuhan : "Il y a des médecins qui participent. Je sais qu'il y a eu une première série d'un petit nombre, et une deuxième série d'essai est en cours sur un nombre relativement important". Selon Frédéric Tangy de l’institut Pasteur, cependant, pour ce type de vaccin à virus inactivé, "il y a un risque d'exacerbation de la maladie. C’est une catastrophe. C’est la pire des choses à faire".
Le P4 dans la course mondiale
Le P4 est donc engagé dans une course au vaccin, tout comme le sont d’autres pays. Le 16 mars, la société américaine Moderna de Cambridge dirigée par le Français Stéphane Bancel annonce elle aussi qu’elle a commencé un essai clinique à Seattle sur 45 patients sains. Sanofi travaille également avec une équipe militaire américaine. Quant à l’institut Pasteur, il doit démarrer en juillet un essai clinique sur des volontaires avec un vaccin dérivé de celui de la rougeole.
Mais là encore, la prudence doit rester de mise, puisqu’il faut trois phases d'essais concluants, avec un pourcentage important de guérisons sur plus de 60 à 70% de patients d’origine et d’âges différents, avant d’approuver un vaccin.
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