Covid-19 : moins concentrés, plus bagarreurs et soucieux… Les enfants sont eux aussi bouleversés par la pandémie
Depuis la rentrée de septembre, les élèves reprennent des habitudes que les six mois précédents avaient estompées. Mais les professionnels de l'enfance constatent les dégâts de la crise sanitaire sur l'attention, la gestion des émotions ou encore les apprentissages.
"Quand est-ce qu'on va pouvoir reprendre le sport ?" Cette question, Florence, enseignante en Bretagne, l'entend tous les jours dans la bouche de ses élèves de CM2. Une interrogation qui reste sans réponse. Comme elle, vous avez été nombreux à répondre à notre appel à témoignages, pour nous raconter comment les enfants vivaient la pandémie de Covid-19, que vous soyez enseignant, psychologue, animateur ou accompagnant scolaire.
Car si la pandémie n'est pas simple à vivre pour les adultes, elle est, pour les enfants, surtout source de confusion. Pour Arnaud Bobet, psychologue au Mans, la crise sanitaire a exacerbé les angoisses de certains.
"Au départ, ils viennent rarement pour des problèmes liés au Covid-19. Mais quand on creuse, on voit que ce contexte ne leur permet pas de gérer un stress supplémentaire qui, habituellement, aurait été contenu."
Arnaud Bobet, psychologueà franceinfo
Le praticien a vu ses demandes de rendez-vous "multipliées par cinq" ces derniers mois. Le délai d'attente moyen est passé de "quinze jours à un mois" pour recevoir un nouvel enfant.
Les enseignants recueillent aussi souvent la parole de ces jeunes enfants perturbés : "Un élève m'a parlé de manière très précise des problèmes financiers de ses parents, générés par le Covid-19. A 4 ou 5 ans, ce n'est vraiment pas un âge où l'on doit être soucieux à cause de ces problématiques. C'est violent de voir des enfants aussi jeunes qui ont conscience de ces conséquences", souligne Bénédicte Le Falher, professeure des écoles en grande section à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).
La pandémie, une source d'insécurité
Des angoisses nourries parfois par des contradictions entre ce qu'ils entendent à la maison et à l'école sur l'épidémie. "Ils ont plein de questions sur la maladie, ses origines. Le complotisme reste minoritaire, souligne Bruno Valette, enseignant spécialisé pour les élèves en difficulté à Trappes (Yvelines). Ça commence à arriver chez quelques CM1-CM2, mais ils répètent surtout ce qu'ils ont entendu à la maison. Paradoxalement, il n'y a aucun problème de port du masque ou de lavage des mains." Difficile pour les enfants de choisir qui croire entre "des professeurs qu'ils respectent et une famille qu'ils aiment. Il y a un conflit de loyauté en eux." Pour permettre à ses élèves d'évacuer ces "informations anxiogènes", Bruno Valette a instauré un temps d'échange, pendant lequel ils expriment leurs craintes et leurs points de vue.
Le psychologue Arnaud Bobet dresse le même constat : "Cela renforce le sentiment d'insécurité. Chez certains, on voit monter une colère. Ils comprennent la maladie, le fait que les règles sont faites pour les protéger. Mais ils arrivent à un moment où ces règles les font plus souffrir qu'autre chose. Cette ambivalence n'est pas simple à gérer pour un enfant."
"Entre l'école et la maison, les deux paroles sacrées pour l'enfant s'opposent."
Arnaud Bobet, psychologueà franceinfo
Certains impondérables peuvent aussi perturber les élèves. "Le télétravail, c'est très compliqué à comprendre pour un enfant. Son parent est à la maison, mais n'est pas disponible pour lui. J'ai en tête le cas d'une mère qui avait annoncé qu'elle reprendrait en entreprise. Mais cela n'a pas pu être possible. Pour les enfants, ça a été dur à accepter. La parole de l'adulte est renversée par ces bouleversements successifs", développe le psychologue.
"Même un coloriage devient laborieux"
Autre problème lié à l'épidémie de Covid-19 : le confinement a fait exploser le temps d'écran de nombreux enfants. "On peut comprendre les parents, quelle alternative avaient-ils ? C'est difficile de refuser quand on ne peut pas aller dehors, quand toutes les activités sont annulées", souligne Arnaud Bobet. Mais une fois de retour à l'école, les conséquences de cette sédentarité restent. "Même un coloriage devient laborieux, souligne Margot Toth, professeure des écoles en maternelle à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Le moindre bruit extérieur à la classe va focaliser toute leur attention. Ils sont moins concentrés, très vite parasités."
Tous les enseignants interrogés par franceinfo notent un besoin massif pour les élèves de se défouler. Pour éviter le brassage des classes, chacune dispose de son propre espace dans la cour. "Mais les fratries ne comprennent pas pourquoi elles n'ont pas le droit de se voir à l'école, alors qu'elles vivent ensemble", pointe Margot Toth. En charge des élèves de grande section, elle est catégorique sur l'énergie qu'ils doivent évacuer : "Dans la cour, ils crient beaucoup plus, ils hurlent même. Le fait d'avoir un espace réduit n'est pas simple pour eux. La moindre contrariété génère des pleurs. Il y a beaucoup plus de petits conflits."
"Ils ont besoin d'interagir avec les autres. Sans l’école, ils ne se défoulent pas."
Bruno Valette, professeur des écoles spécialiséà franceinfo
Selon cet enseignant en réseau prioritaire renforcé, la restriction des échanges et des activités signifie moins d'interactions sociales, moins de développement du langage et une moins bonne gestion des émotions. De son point de vue, le confinement du mois de novembre a été très dur à vivre. Et les conséquences se paient sur le plan scolaire.
Chez les plus jeunes, une "régression"
"On voit ressurgir des problématiques qui en janvier, surtout en grande section, sont normalement maîtrisées." Chaque matin, Margot Toth doit à nouveau essuyer les pleurs de certains enfants, stressés à l'idée de laisser leurs parents. Un décalage qui peut s'expliquer par la durée du confinement : "Six mois sans école, à 3 ou 4 ans, c'est énorme !" rappelle Bénédicte Le Falher.
"Enfiler son manteau, remplir une tasse sans qu'elle déborde... Tous ces apprentissages de motricité fine ont été un peu oubliés et, depuis septembre, il faut revoir pas mal de choses."
Bénédicte Le Falher, enseignante en grande sectionà franceinfo
Le fait de vivre en vase clos avec la famille a donné lieu à moins d'efforts : "Ils ont été parfois moins sollicités. Quand ils sont avec leurs parents, ces derniers les connaissent, savent comment ils s'expriment. Les enfants vont donc faire moins d'efforts pour formuler leurs demandes par rapport au contexte scolaire. Ils ont aussi parfois plus de mal avec le partage", poursuit l'enseignante de région parisienne.
Et lorsque les enfants ont un handicap (autisme, hyperactivité, troubles psychotiques), l'écart est encore plus visible. Claire Smigielski est infirmière dans une unité pédopsychiatrique destinée aux enfants de 3 à 7 ans en Haute-Savoie. Tous les jours, elle constate les dégâts du confinement sur ses jeunes patients : "Il y a des enfants qui ne sont toujours pas revenus à l'état dans lequel ils étaient il y a un an. Ce qu'on pensait acquis a disparu, ils se replient beaucoup sur eux-mêmes."
Le manque d'activité, le manque de sorties, ça les a fait complètement régresser."
Claire Smigielski, infirmière en pédopsychiatrieà franceinfo
En raison du protocole sanitaire, le suivi de ces enfants est toujours plus compliqué. Impossible désormais pour les équipes médico-psychologiques de leur rendre visite à l'école. "On ne peut plus voir sur le terrain ce qui ne fonctionne pas et dialoguer avec les enseignants, se désole l'infirmière. Comment les aider si on ne peut pas les voir au quotidien ?"
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