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Enquête Covid-19 : le chien viverrin, nouveau suspect dans la diffusion du virus

De nouvelles données relancent la thèse d’une propagation naturelle du Covid-19. Elles montrent que peu avant la fermeture du marché de Wuhan, on y vendait des chiens viverrins. Un mammifère susceptible d’être le chaînon manquant entre l’homme et la chauve-souris.
Radio France
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Le chien viverrin pourrait être le chaînon manquant dans la transmission du Covid entre la chauve-souris et l’homme. (NICOLAS DEWITT / RADIO FRANCE)

La chercheuse en biologie de l’évolution au CNRS Florence Débarre traque sur Internet, samedi 4 mars, des échantillons prélevés au marché de Huanan, à Wuhan, début 2020. Elle a pris l’habitude de le faire sur son temps libre depuis un an. Elle ne trouve rien de déterminant quand soudain, elle reste en arrêt. Ces échantillons, qui avaient été produits par le Centre chinois de contrôle de prévention des maladies (CCCPM) et mentionnés dans une étude publiée en février 2022, apparaissent sur la base de données publique et gratuite Gisaid (Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data), fondée par un groupe de chercheurs internationaux. 

Le chien viverrin : chaînon manquant ?

La chercheuse partage alors ces données avec des collègues répartis à travers le monde. Le vendredi 10 mars, l'évidence s’impose : “Tous les résultats révèlent la présence de chiens viverrins au marché de Wuhan, explique la chercheuse. On vient de trouver la preuve scientifique qu'il y en avait bien.” Ces chiens sont de petits animaux qui ressemblent à un raton-laveur, et dont la fourrure est très appréciée. Mais ils ont surtout la particularité d’être des mammifères susceptibles d’être infectés par le Sars-CoV-2. Or, souligne Florence Débarre, “ils peuvent avoir été des hôtes intermédiaires entre les chauves-souris - réservoirs du virus - et les humains. Dans la liste des suspects, le chien viverrin était très haut”, conclut-elle.

Des nouvelles données confortent l’hypothèse de la transmission du Covid-19 à l’homme par l’animal. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

La veille, l’équipe de Florence Débarre avait contacté l’un des auteurs chinois de l'étude pour lui demander l’autorisation d’analyser les données. Elle l’informe ensuite du résultat et prévient aussi l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quelques heures plus tard, un événement mystérieux va se produire. Le samedi 11 mars au petit matin, les données ne sont plus accessibles sur la base Gisaid. Par chance, dans la nuit, Florence Débarre avait demandé à ses collègues de les télécharger. “À ce moment-là, on n’avait pas terminé, car la masse de données était très importante, 600 gigaoctets. Ça prenait du temps, souligne-t-elle. Et à partir du moment où on avait annoncé le résultat, il y avait une possibilité qu'elles disparaissent.” C’est donc ce qui s’est passé. Mais l’équipe respire, elle a eu le temps de les sauvegarder. 

Une avancée majeure

Plusieurs scientifiques de son équipe sont alors convoqués par l’OMS pour présenter leurs résultats. Jean-Claude Manuguerra, virologue de l’Institut Pasteur et co-président du SAGO (un conseil scientifique créé par l’OMS pour enquêter notamment sur l’origine du Sars-Cov-2) est convié à cette réunion. “C'était la fin d'un week-end où j'avais travaillé. J'étais fatigué, je voulais me relaxer un peu. Et finalement, on a enchaîné deux réunions, dont une le dimanche. Mais j'étais content parce que cette découverte était une avancée majeure pour notre compréhension du début de l'épidémie.” Lui aussi est impressionné par ce qu’il découvre. “Ce qui est un peu inespéré, c’est qu'on retrouve au même endroit une forte quantité de Sars-Cov-2 et une forte quantité d'ADN d'espèces animales dont certaines sont sensibles au coronavirus, et en particulier au Sars-Cov-2.” Les données recueillies permettent de réaliser une carte qui localise différentes zones du marché. “Dans certaines, on trouve beaucoup de virus et beaucoup d'ADN de chiens viverrins. Et on en trouve beaucoup moins dans d'autres endroits où il n'y a pas ces espèces-là. Cela suggère fortement qu’il y avait des animaux infectés”, estime le virologue de l’Institut Pasteur.

Pas de preuve irréfutable

Lors d’une conférence de presse le 17 mars, l’OMS se montre plus réservée. Certes, elle fait état d'une “avancée importante”, mais elle ajoute que “les données n’apportent pas de réponse définitive sur la façon dont la pandémie a débuté”. Une prudence partagée par Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS à l’université d’Aix-Marseille et spécialiste des virus émergents. “L’information-clé, c’est que dans ces échantillons, il y a des fragments génétiques qui correspondant à des mammifères qui, pendant longtemps, ont été considérés comme non vendus sur le marché. Et parmi ces animaux, figure le chien viverrin. Cela prouve donc qu’il y avait bien là des hôtes intermédiaires potentiels [entre la chauve-souris et l’homme].” Mais il note cependant que “ces données ne prouvent pas que ces chiens étaient infectés par ce virus”. En effet, les prélèvements effectués “sont des prélèvements environnementaux, précise-t-il, effectués sur le sol, sur des étals ou sur des cages”. Et le chercheur de citer un exemple : “Si vous êtes malade du Covid et que vous toussez sur des poissons, en faisant un prélèvement sur les poissons, on va trouver du matériel génétique de poisson mais aussi du Covid. Cela ne prouve pas pour autant que les poissons étaient porteurs du Covid et qu’ils l’ont transmis dans la poissonnerie.”

“Pour avoir une preuve indubitable, il faudrait retrouver des animaux infectés”, explique Jean-Claude Manuguerra. Une mission quasiment impossible, car il est peu probable que le virus continue à circuler dans ces espèces-là. Florence Débarre, comme d’autres scientifiques, considère tout de même que cette découverte devrait être le point de départ de nouvelles recherches plus ciblées. “Il faudrait faire des prélèvements de chiens viverrins sauvages, ou élevés dans des fermes, pour voir s'ils sont proches ou non de ceux qu'on a trouvés sur le marché. On pourrait également, suggère-t-elle, remonter les chaînes d'approvisionnement de ces animaux, parce que les étals du marché de Wuhan sont identifiés et on sait qui les gérait.”

Une possible fuite de laboratoire

Mais pour que ces recherches soient menées, encore faudrait-il que la Chine accepte de coopérer, ce qui n’est toujours pas le cas. Pékin persiste à soutenir que le virus aurait pu être importé des États-Unis via des produits surgelés et que le marché de Wuhan a été un amplificateur de la pandémie, et non pas l’épicentre. En l’absence d’indices supplémentaires, selon le virologue Jean-Claude Manuguerra, “les indices les plus solides plaident tout de même en faveur de la piste de la transmission du virus de l’animal à l’homme”. Mais celle d’une fuite de laboratoire n’est pas balayée pour autant. Même l’OMS, qui l’avait écartée dans un premier temps, l’a récemment réintégrée dans la liste des hypothèses à envisager.

Cette piste, que les scientifiques préfèrent appeler “accident de recherche”, a été aussi relancée en février dernier par les déclarations du patron du FBI, la qualifiant de “très probable”. Une déclaration qui est intervenue quelques jours après que le département américain de l’Énergie l’avait soutenue, en l’assortissant cependant d’un niveau de confiance “faible” (sur une échelle allant de faible, à modéré et fort).

Le directeur du FBI a déclaré le 28 février 2023 que la pandémie de Covid était probablement causée par une fuite de laboratoire de Wuhan. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

Ces propos laissent cependant de nombreux scientifiques sceptiques et amers. Car ils reposent sur un rapport dont le contenu demeure secret. “Ce document est classifié et son existence n'est connue que par des sources qui l'ont vu et qui en ont parlé à un journaliste du 'Wall Street Journal'. On ne connaît donc pas les arguments qui ont été utilisés pour arriver à cette conclusion”, regrette Florence Débarre du CNRS. Même agacement chez Jean-Claude Manuguerra, le co-président de SAGO : “On a un département américain de l’Énergie qui conclut son rapport par l’existence d’une hypothèse faible. Dans ces cas-là : tu te tais ou tu montres ce que tu as !”, s’indigne-t-il, en ajoutant : “Quand on leur demande si on peut avoir accès à ces rapports, c’est non ! Or toute agence, tout scientifique, toute institution qui a des informations qui peuvent aider à connaître l'origine du virus doivent les rendre publiques. C'est moralement inacceptable de ne pas le faire.”

L’OMS a d’ailleurs officiellement demandé aux États-Unis de partager leurs informations. Une demande apparemment entendue par le président Joe Biden qui a promulgué une loi fin mars, permettant de rendre publics les documents concernant les origines de la pandémie. Mais il a, dans le même temps, précisé que cela devait se faire “dans le respect de la sécurité nationale”, ce qui fait craindre que les Américains ne publient pas toutes les informations nécessaires, sous couvert de secret militaire. Mais si les États-Unis sont montrés du doigt, les scientifiques regrettent tout autant l’opacité de la Chine. “Il faut qu'il y ait des enquêtes pour documenter l’hypothèse de l'accident de recherche. Cela nécessite de pouvoir pénétrer dans les laboratoires, d'avoir accès aux données, de pouvoir regarder toutes celles qui sont revenues des séquenceurs, etc. Si ce travail d'enquête n'est pas fait, on ne peut pas documenter cette hypothèse”, souligne Étienne Decroly de l’université Aix-Marseille. Et de ce côté, en trois ans, on n’a pas avancé. 

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